Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 février 2021, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 21 décembre 2020 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. H... F... et Mme I... F... devant le tribunal administratif de Nantes ;
3°) d'enjoindre au conseil de M. F... de rembourser la somme de 1 200 euros mis à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les actes d'état-civil produits ne sont pas probants et ne permettent d'établir ni l'identité des demandeurs de visa, ni le lien de filiation avec M. H... F... ; le lien de filiation des enfants avec M. H... F... n'est pas mieux démontré par les éléments de possession d'état.
Par un mémoire en défense enregistré le 21 mai 2021, M. H... F... et Mme I... F..., représentés par Me Régent, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.
M. H... F... a été a été maintenu de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 mai 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Frank a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. H... F... est un ressortissant afghan né le 28 novembre 1988 à Kosthal (Afghanistan). Il s'est vu reconnaître la qualité de réfugié en 2016, et a sollicité la délivrance de visas d'entrée et de long séjour en France pour son épouse alléguée, Mme I... F..., et ses enfants allégués, E... F..., B... F..., D... F..., G... F..., C... F... et A... F... en qualité de membres de famille de réfugié. M. H... F... et Mme I... F... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre la décision du 8 juillet 2019 par laquelle l'autorité consulaire française à Islamabad (Pakistan) a refusé de délivrer les visas de long séjour demandés. Par un jugement du 21 décembre 2020, le tribunal administratif a annulé cette décision de la commission de recours et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger (...) qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 (...) sont applicables. / (...) / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. (...) ". Aux termes de l'article L. 721-3 du même code, alors en vigueur : " L'office est habilité à délivrer, après enquête s'il y a lieu, aux réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire les pièces nécessaires pour leur permettre soit d'exécuter les divers actes de la vie civile, soit de faire appliquer les dispositions de la législation interne ou des accords internationaux qui intéressent leur protection, notamment les pièces tenant lieu d'actes d'état civil. Le directeur général de l'office authentifie les actes et documents qui lui sont soumis. Les actes et documents qu'il établit ont la valeur d'actes authentiques. Ces diverses pièces suppléent à l'absence d'actes et de documents délivrés dans le pays d'origine. Les pièces délivrées par l'office ne sont pas soumises à l'enregistrement ni au droit de timbre ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code, alors en vigueur : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. " Aux termes de l'article L. 411-3 du même code, alors en vigueur : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ".
3. La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'une personne admise à la qualité de réfugié ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa. Par ailleurs, les actes établis par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides sur le fondement des dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en cas d'absence d'acte d'état civil ou de doute sur leur authenticité, et produits à l'appui d'une demande de visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, présentée pour les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire dans le cadre d'une réunification familiale, ont, dans les conditions qu'elles prévoient, valeur d'actes authentiques qui fait obstacle à ce que les autorités consulaires en contestent les mentions, sauf en cas de fraude à laquelle il appartient à l'autorité administrative de faire échec.
4. D'autre part, l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, prévoit par ailleurs, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
5. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier, et notamment des termes du courrier du 21 novembre 2019 de communication des motifs de la décision contestée, que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté les demandes de visa au motif que l'identité des intéressés et leur lien familial à l'égard de M. F... n'étaient pas établis.
6. S'agissant de Mme F..., a été produit, à l'appui de la demande de visa, le certificat de mariage tenant lieu d'acte d'état-civil que le directeur de l'Office français des réfugiés et des apatrides (OFPRA) a délivré à M. F... le 30 mars 2017, conformément aux dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, attestant de son mariage le 11 janvier 2004 à Achin (Afghanistan) avec Mme I... F..., née le 1er janvier 1986. Ont également été produits un certificat de naissance, une taskera et un passeport établis par les autorités afghanes. Le ministre soutient que l'identité de Mme F... n'est pas établie dès lors que sa date de naissance diffère selon le certificat de mariage établi par l'OFPRA, qui mentionne le 1er janvier 1986, et son passeport et sa taskera (documents d'identité afghans) qui mentionnent le 22 avril 1985. Toutefois, cette seule discordance ne suffit ni à démontrer que les actes produits par les requérants, qui émanent des autorités afghanes, seraient irréguliers, falsifiés ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondraient pas à la réalité, ni à démontrer le caractère frauduleux du certificat de mariage délivré par le directeur de l'OFPRA. Par ailleurs, le seul caractère tardif du certificat de naissance et de la taskera de Mme I... F... n'est pas de nature à ôter à ces documents toute valeur probante.
7. S'agissant des enfants E... F..., B... F..., D... F..., G... F..., C... F... et A... F..., ont été produits à l'appui des demandes de visas, et pour justifier de leur identité ainsi que du lien de filiation à l'égard de M. F..., des certificats de naissance, des taskeras et des passeports établis par les autorités afghanes. Pour remettre en cause le caractère probant de ces documents, le ministre de l'intérieur relève qu'ils ont été établis plusieurs années après les naissances et que les dates de naissance des enfants déclarées par M. F... à l'OFPRA diffèrent de celles figurant sur les documents d'état civil produits au soutien des demandes de visas. Toutefois ces circonstances ne suffisent pas à démontrer que les actes produits par les demandeurs de visa, qui émanent des autorités afghanes, seraient irréguliers, falsifiés ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondraient pas à la réalité, alors que les dates de naissance figurant sur ces documents sont concordantes. Par ailleurs, si le ministre soutient que les certificats de naissance des enfants ne sont pas datés, cette circonstance n'est pas de nature à retirer à ces actes leur valeur probante, notamment en l'absence de toute contradiction ou incohérence entre ces documents.
8. Par suite c'est par une inexacte application des dispositions précitées que la commission a rejeté les demandes de visa litigieuses au motif que l'identité des intéressés et leur lien familial allégué avec M. F... n'étaient pas établis.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. et Mme F..., la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant le recours dirigé contre la décision du 8 juillet 2019 par laquelle les autorités consulaires françaises à Islamabad (Pakistan) ont refusé de délivrer à Mme I... F... et aux enfants E... F..., B... F..., D... F..., G... F..., C... F... et A... F... un visa de long séjour en qualité de membres de famille de réfugié. Par voie de conséquence il n'est pas davantage fondé à demander au conseil des requérants de rembourser à l'Etat la somme mise à la charge de ce dernier au titre des frais engagés par les requérants en première instance.
Sur les frais liés au litige :
10. M. H... F... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Régent dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Régent, avocate des requérants, la somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Régent renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. H... F..., à Mme I... F... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 7 mars 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- Mme Buffet, présidente-assesseure,
- M. Frank, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 mars 2022.
Le rapporteur,
A. FRANKLe président,
J. FRANCFORT
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 21NT00437