Par une requête enregistrée le 18 juin 2019, M. D... F..., représenté par Me Dreyfuss, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1812413 du 19 avril 2019 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 4 juillet 2018 par laquelle le consul général de France à Fès (Maroc) a refusé de délivrer un visa de long séjour à l'enfant H... F..., ainsi que la décision du 31 octobre 2018 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours préalable formé contre cette décision ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité.
Il soutient que :
- la commission de recours a commis une erreur d'appréciation ; l'intérêt de l'enfant est de vivre auprès du titulaire de l'autorité parentale ; par une décision du 29 août 2017, le juge marocain aux affaires des mineurs l'a désigné, avec son épouse, comme tuteur de H... F... ; il dispose de ressources suffisantes pour accueillir H... F... ; son revenu s'élève à 2 315, 42 euros par mois ; les conditions d'accueil sont satisfaisantes, puisqu'il dispose d'un logement de 4 pièces d'une surface habitable de 80 m2.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 mars 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par le requérant n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu le rapport de M. Frank au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... F..., ressortissant marocain né le 4 décembre 1963, s'est vu confier l'enfant mineur H... F..., ressortissant marocain né le 27 juin 2002, dont il est le demi-frère. Les autorités consulaires françaises à Fès (Maroc) ayant refusé de délivrer au jeune H... un visa de long séjour par une décision du 4 juillet 2018, il a formé un recours devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Ce recours a été rejeté par une décision de la commission du 31 octobre 2018, notifiée par lettre du 5 novembre 2018. Le recours formé par M. F... contre ces décisions a été rejeté par un jugement du 19 avril 2019 du tribunal administratif de Nantes. M. F... relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En vertu des dispositions de l'article D. 211-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France prise sur recours préalable obligatoire du 5 novembre 2018, s'est substituée à la décision consulaire du 4 juillet 2018. Il suit de là que les conclusions à fin d'annulation de M. F... doivent être regardées comme étant dirigées contre la seule décision de la commission de recours et les moyens dirigés contre la décision de l'autorité consulaire doivent être écartés comme inopérants.
3. Pour refuser le visa de long séjour sollicité par M. F..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le motif tiré de ce que l'intéressé, allocataire de Pôle emploi, a déclaré avoir cinq enfants à charge et ne justifie pas disposer de moyens financiers et matériels suffisants pour lui permettre de prendre en charge dans des conditions satisfaisantes le demandeur, âgé de seize ans.
4. Aux termes de l'article 1er de la loi n° 15-01 relative à la prise en charge (la kafala) des enfants abandonnés, promulguée par le dahir n° 1-02-172 du 13 juin 2002 et publiée au Bulletin officiel du royaume marocain le 5 septembre 2002, la kafala judiciaire concerne des enfants orphelins, abandonnés, ou nés de parents soit inconnus soit de mauvaise conduite et n'assumant pas leur responsabilité de protection et d'orientation.
5. L'intérêt d'un enfant est en principe de vivre auprès de la personne qui, en vertu d'une décision de justice qui produit des effets juridiques en France, est titulaire à son égard de l'autorité parentale. Ainsi, dans le cas où un visa d'entrée et de long séjour en France est sollicité en vue de permettre à un enfant de rejoindre un ressortissant français ou étranger qui a reçu délégation de l'autorité parentale dans les conditions qui viennent d'être indiquées, ce visa ne peut en règle générale, eu égard notamment aux stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant, être refusé pour un motif tiré de ce que l'intérêt de l'enfant serait au contraire de demeurer auprès de ses parents ou d'autres membres de sa famille. En revanche et sous réserve de ne pas porter une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale, l'autorité chargée de la délivrance des visas peut se fonder, pour rejeter la demande dont elle est saisie, non seulement sur l'atteinte à l'ordre public qui pourrait résulter de l'accès de l'enfant au territoire national, mais aussi sur le motif tiré de ce que les conditions d'accueil de celui-ci en France seraient, compte tenu notamment des ressources et des conditions de logement du titulaire de l'autorité parentale, contraires à son intérêt.
6. Par une ordonnance n°29/17 du 29 août 2017, le juge aux affaires des mineurs du tribunal de première instance de Berkane (Maroc) a confié à M. F... et à son épouse, Mme B..., la prise en charge de l'enfant H..., en application de la loi n°15-01 précitée relative aux enfants orphelins et abandonnés. Il ressort des pièces du dossier que M. F... perçoit mensuellement une pension d'invalidité d'un montant de 741 euros, une allocation adulte handicapé d'un montant de 84 euros, une allocation de solidarité spécifique pour un montant de 494 euros ainsi que diverses prestations familiales, portant ses revenus mensuels à 2 315 euros. Si M. F... et son épouse ont déjà cinq enfants à charge et vivent dans un logement de 80 mètres carrés, cette circonstance, en l'espèce, n'est pas, à elle seule, contraire à l'intérêt de l'enfant H..., dont les parents sont décédés, de vivre auprès des membres de sa famille, titulaires de l'autorité parentale. Dans ces conditions, M. F... est fondé à soutenir que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'a pu légalement estimer que l'intérêt de l'enfant était de demeurer dans son pays d'origine et à en demander, pour ce motif, l'annulation.
7. Il résulte de tout ce qui précède, que M. F... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Il résulte de l'instruction que M. H... F..., né le 27 juin 2002, est âgé de plus de dix-huit ans à la date de la présente décision. Aucune disposition applicable à l'intéressé n'impose au juge de l'exécution de tenir compte d'un âge autre que celui atteint à la date de la présente décision. Dans ces conditions, et eu égard au motif d'annulation sur lequel repose le présent arrêt, l'exécution de celui-ci n'implique plus nécessairement que le ministre de l'intérieur délivre à l'intéressé un visa de long séjour. Par suite, il y a seulement lieu de prescrire le réexamen par l'autorité administrative, à l'issue d'une nouvelle instruction, de la demande de visa présentée par M. H... F... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes n° 1812413 du 19 avril 2019 et la décision du 31 octobre 2018 par laquelle la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a refusé d'accorder un visa de long séjour à M. H... F..., sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de procéder au réexamen de la demande de M. H... F... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... F... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 4 décembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme Buffet, présidente-assesseur,
- M. Frank, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 décembre 2020.
Le rapporteur,
A. FrankLe président,
T. CELERIER
Le greffier,
C. POPSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT02336