Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 28 août 2019, M. C... A... E... et Mme D... A... G... épouse A... E..., représentés par Me F..., demandent à la cour :
1°) d'ordonner, avant dire droit, à l'administration de produire les instructions faites aux consulats concernant le dispositif français de l'asile en faveur des chrétiens d'Orient et des autres minorités persécutées ;
2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa demandé ou de réexaminer la demande, dans un délai de quinze jours à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me F..., leur avocate, de la somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 et moyennant sa renonciation à percevoir la contribution versée par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Ils soutiennent que :
- la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France attaquée est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation de Mme A... G... au regard des critères permettant l'obtention d'un visa de long séjour au titre de l'asile pour les ressortissants irakiens appartenant à une minorité confessionnelle persécutée ;
- elle porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de leur vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle a été prise en violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de Mme A... G....
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 novembre 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il entend se référer à ses écritures de première instance et fait valoir qu'aucun des moyens invoqués par les requérants n'est fondé.
M. A... E... a été admis au bénéficie de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 juillet 2019 du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Nantes (section administrative).
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les observations de Me F..., pour M. et Mme A... E....
Une note en délibéré présentée pour M. et Mme A... E... a été enregistrée le 6 novembre 2020.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... E..., ressortissant irakien et de confession sabéenne mandéenne, a obtenu un visa de long séjour au titre de l'asile, le 25 novembre 2015, par l'autorité consulaire française à Bagdad (Irak). Entré en France le 24 décembre 2015, il a obtenu le statut de réfugié par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) du 16 mars 2016. Le 14 mai 2017, M. A... E... a épousé religieusement Mme A... G..., ressortissante irakienne également, qui réside en Jordanie depuis le 15 décembre 2016. Mme A... G... a demandé la délivrance d'un visa de long séjour aux fins de demander l'asile en France. L'autorité consulaire française à Amman (Jordanie) a refusé la délivrance du visa demandé. Saisie d'un recours formé contre cette décision consulaire, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France l'a rejeté par une décision du 14 décembre 2017. Par un jugement du 15 mars 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la requête tendant à l'annulation de cette décision de la commission de recours. M. A... E... et Mme A... G... relèvent appel de ce jugement.
2. La commission de recours a fondé sa décision sur le motif tiré de ce que l'éventuelle délivrance de visas en vue de déposer une demande d'asile en France, relève de mesures de faveur liées à la spécificité de la situation personnelle des demandeurs, dans le cadre d'orientations générales arrêtées par les autorités françaises et qu'en l'espèce, l'examen du recours, en l'état du dossier, n'a pas fait apparaître que la situation de Mme D... A... G... qui bénéficie du statut de réfugié en Jordanie, où elle réside, entre dans ce cadre.
3. Il ressort de ses écritures en défense que le ministre de l'intérieur admet que la commission de recours a fondé sa décision sur un fait matériellement inexact, dès lors que contrairement à ce qu'elle a retenu, Mme A... G... ne bénéficie pas du statut de réfugié en Jordanie.
4. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
5. Le ministre de l'intérieur invoque, dans ses écritures en défense de première instance auxquelles se réfère expressément son mémoire en défense en appel, un autre motif tiré de ce que l'éventuelle délivrance de visas en vue de déposer une demande d'asile en France, relève de mesures de faveur liées à la spécificité de la situation personnelle des demandeurs, dans le cadre d'orientations générales arrêtées par les autorités françaises et qu'en l'espèce, l'examen du recours, en l'état du dossier, n'a pas fait apparaître que la situation de Mme D... A... G... qui réside en Jordanie, entre dans ce cadre.
6. D'une part, aux termes du quatrième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 auquel renvoie le Préambule de la Constitution : " Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République ". Si le droit constitutionnel d'asile a pour corollaire le droit de solliciter en France la qualité de réfugié, les garanties attachées à ce droit reconnu aux étrangers se trouvant sur le territoire de la République n'emportent aucun droit à la délivrance d'un visa en vue de déposer une demande d'asile en France ou pour y demander le bénéfice de la protection subsidiaire prévue à l'article
L. 712-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. De même, l'invocation des stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales à raison de menaces susceptibles d'être encourues à l'étranger ne saurait impliquer de droit à la délivrance d'un visa d'entrée en France.
7. D'autre part, dans les cas où l'administration peut légalement disposer d'un large pouvoir d'appréciation pour prendre une mesure au bénéfice de laquelle l'intéressé ne peut faire valoir aucun droit, il est loisible à l'autorité compétente de définir des orientations générales pour l'octroi de ce type de mesures sans que l'intéressé puisse se prévaloir de telles orientations à l'appui d'un recours formé devant le juge administratif.
8. Il ressort des pièces du dossier, notamment de l'information du 14 août 2014 relative à l'accueil des ressortissants irakiens, que, pour l'instruction des demandes de visas présentées au titre de l'asile par des ressortissants irakiens déplacés ou menacés appartenant à des minorités persécutées en raison de leurs convictions religieuses, l'administration a adressé des orientations générales aux postes diplomatiques et consulaires de Bagdad et d'Erbil, afin d'instruire ces demandes de visas. Ces orientations générales, appelées également " instructions " par l'administration, ne peuvent toutefois être utilement invoquées par les requérants à l'appui de leurs conclusions tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours. Par suite,
M. A... E... et Mme A... G... ne peuvent utilement soutenir que la commission de recours a commis une erreur manifeste d'appréciation dans l'application des trois critères définis par ces orientations générales. Le moyen est inopérant et doit dès lors être écarté.
9. Il résulte également de ce qui est dit au point 6 que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est inopérant.
10. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la décision attaquée, Mme A... G..., qui vit à Amman (Jordanie) depuis décembre 2016, ne bénéficie pas du statut de réfugié mais de la protection du Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés et ne fait état ni de menaces ni de persécutions. En outre, elle vit dans un logement autonome qu'elle loue avec plusieurs membres de sa famille et ne conteste pas recevoir chaque mois une somme de 200 à 250 dollars de la part d'une de ses soeurs, réfugiée en Australie. De plus, si elle soutient qu'elle ne peut pratiquer sa religion au grand jour, elle a toutefois pu se marier selon le rite sabéen, à Amman le 14 mai 2017, ainsi qu'en atteste le certificat de mariage des autorités religieuses sabéennes locales, certifié par les autorités consulaires irakiennes en Jordanie et légalisé par le ministre des affaires étrangères jordanien. Enfin, si les requérants soutiennent qu'ils avaient une relation depuis le divorce de M. A... E... en juin 2015, ils ne l'établissent pas et il est constant que ce dernier a quitté l'Irak en novembre 2015 et qu'ils n'ont pas vécu ensemble avant leur mariage. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la décision de la commission de recours est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur la situation personnelle de Mme A... G....
11. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 10 et dès lors que Mme A... G... a demandé un visa de long séjour en vue de demander l'asile en France et non dans le cadre d'une demande de regroupement familial, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la décision de la commission de recours porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de leur vie privée et familiale. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu d'ordonner au ministre de produire les instructions adressées aux consulats en faveur des chrétiens d'Orient et des autres minorités persécutées, que M. A... E... et Mme A... G... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande. Il suit de là que leurs conclusions à fin d'annulation doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction et d'astreinte et celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... E... et de Mme A... G... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... E..., à Mme D... A... G... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 6 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président,
- Mme Buffet, président assesseur,
- Mme B..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 novembre 2020.
Le rapporteur,
C. B...
Le président,
T. CELERIER
Le greffier,
C. POPSE
La République mande et ordonne au
ministre de l'intérieur
en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis
en ce qui concerne les voies de droit commun
contre les parties privées, de pourvoir
à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT03516