Par une requête et un mémoire, enregistrés les 29 janvier et 11 décembre 2020, Mme F..., représentée par Me E..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 26 novembre 2019 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé devant elle contre la décision des autorités consulaires françaises à Kinshasa (République démocratique du Congo) du 17 décembre 2018 refusant de délivrer à ses enfants allégués, Josué G... et Mi-Josée Ibenge Tshomba un visa de long séjour en qualité de membres de la famille d'un réfugié ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, à défaut, de réexaminer les demandes, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il n'est pas suffisamment motivé ;
- la décision contestée est insuffisamment motivée ;
- la décision de la commission de recours n'a pas été précédée d'un examen sérieux de la demande ;
- la décision contestée est entachée d'erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; le lien de filiation est établi par les actes produits, ainsi que par les éléments de possession d'état ;
- la décision contestée méconnaît l'intérêt supérieur des enfants, protégé par le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle porte également une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 novembre 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 26 novembre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme A... F... tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé devant elle contre la décision des autorités consulaires françaises à Kinshasa (République démocratique du Congo) du 17 décembre 2018 refusant de délivrer à ses enfants allégués, Josué G... et Mi-Josée Ibenge Tshomba, un visa de long séjour en qualité de membres de la famille d'un réfugié. Mme F..., relève appel de ce jugement.
Sur le bien fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au litige : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger (...) qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. (....) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ; (...) II.- Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables (...) / Les membres de la famille d'un réfugié (...) sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié (...) En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil (...) peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. (...) ". L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit par ailleurs, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
3. Il ressort des termes du courrier du 14 juin 2019 portant communication des motifs de la décision contestée, que pour rejeter le recours formé devant elle, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur la circonstance que les actes d'état civil produits ont été établis tardivement, ne sont pas conformes à l'article 109 du code de la famille congolais et que d'autres actes ont été établis sur la base des mêmes jugements supplétifs, de sorte qu'ils sont dépourvus de force probante.
4. A l'appui de la demande, ont été produits pour chacun des enfants un jugement supplétif d'acte de naissance rendu par le tribunal pour enfants H... en date du 10 octobre 2016, ainsi que des actes de naissance transcrits le surlendemain. D'une part, la circonstance que les jugements supplétifs, dont l'objet est de suppléer l'absence d'actes de naissance, ainsi que les actes dressés sur la base de ces jugements, soient postérieurs de plusieurs années à la naissance des intéressés, ne peut être utilement retenue par la commission pour établir leur caractère inauthentique. D'autre part, la circonstance que les actes de naissance ont été dressés à une date où les jugements supplétifs pouvaient encore être frappés d'appel, en vertu des dispositions combinées de l'article 67 du code de procédure civile de la République démocratique du Congo et de l'article 109 du code de la famille congolais, ne suffit pas à remettre en cause leur valeur probante. Enfin, la production de nouveaux actes de naissance, dont il est constant qu'ils ont été dressés en transcription des mêmes jugements supplétifs, n'est pas de nature à établir, dans les circonstances de l'espèce, le caractère inauthentique de ceux dressés le 12 octobre 2016. Dans ces conditions, Mme F... est fondée à soutenir que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a, par les motifs qu'elle a retenus, inexactement appliqué les dispositions précitées.
5. L'administration peut toutefois, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
6. Pour établir que la décision contestée était légale, le ministre a invoqué, en première instance, dans son mémoire en défense communiqué à Mme F..., d'autres éléments tirés de ce que les actes de naissance comportent des mentions qui ne figurent pas dans les jugements supplétifs et de ce que l'intéressée est mentionnée comme ayant comparu à l'audience ayant donné lieu aux jugements supplétifs, alors même qu'elle est réfugiée en France.
7. D'une part, la requérante justifie qu'en République démocratique du Congo, les actes de naissance doivent nécessairement comporter des mentions relatives à la profession et aux lieux et dates de naissance des parents, en vertu de l'article 92 du code de la famille congolais, contrairement aux jugement supplétifs. Au demeurant, il ne ressort pas des pièces du dossier que les actes de naissance et les jugements supplétifs, dont aucune des mentions légales ni des informations essentielles y figurant ne sont contestées par le ministre, comportent des incohérences et contradictions.
8. D'autre part, dans les circonstances de l'espèce, la circonstance que les jugements supplétifs mentionnent que Mme F... a comparu à l'audience du 10 février 2016, ce qui est effectivement incompatible avec son statut de réfugié, n'est pas de nature à révéler le caractère inauthentique des actes produits, alors qu'il ressort des pièces du dossier que les actes d'état-civil produits par la requérante sont corroborés tant par les mentions figurant sur les passeports des enfants que par les déclarations, toujours concordantes, faites par Mme F... dans le cadre de l'examen de sa demande d'asile.
9. Dans ces conditions, la demande de substitution de motifs sollicitée par le ministre ne peut être accueillie.
10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué et les autres moyens de la requête, que Mme F... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
11. Eu égard au motif d'annulation retenu, le présent arrêt implique nécessairement que soient délivrés aux enfants C... G... et Mi-Josée Ibenge Tshomba les visas de long séjour demandés. Il y a lieu d'ordonner au ministre de l'intérieur d'y procéder dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme F... de la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 26 novembre 2019 du tribunal administratif de Nantes et la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer aux enfants C... G... et Mi-Josée Ibenge Tshomba les visas de long séjour demandés, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme F... une somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme F... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... F... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 8 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme D..., présidente-assesseur,
- M. B..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 janvier 2021.
Le rapporteur,
A. B...Le président,
T. CELERIER
Le greffier,
C. POPSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT00331