Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 4 décembre 2019, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme B... C... devant le tribunal administratif de Nantes.
Le ministre de l'intérieur soutient que :
- le lien de filiation n'est établi ni par l'acte de naissance produit sur la base du jugement supplétif du 26 août 2007 du tribunal de paix de Kinshasa/N'Djili qui est entaché d'irrégularité, en ce que ce tribunal n'était pas compétent pour le rendre, ni par la possession d'état.
Par un mémoire enregistré le 25 février 2021, Mme D... B... C... conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens invoqués par le ministre ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 28 novembre 2019, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de Mme B... C..., la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision du 10 décembre 2018 par laquelle les autorités consulaires françaises à Kinshasa (République démocratique du Congo) ont refusé de délivrer à E... Mangbana un visa de long séjour en qualité de membre de famille de réfugié. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.
Sur la légalité de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France :
2. Il ressort des pièces du dossier, notamment des énonciations du courrier adressé à la requérante à la suite de la demande qu'elle a formée tendant à obtenir la communication des motifs de la décision litigieuse que, pour rejeter la demande de visa, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur ce que le père de l'enfant E... n'étant ni décédé ni déchu de l'exercice de ses droits parentaux, son intérêt supérieur commandait qu'elle reste auprès de son autre parent dans son pays d'origine. Toutefois, il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la décision en cause, le père de l'enfant E... était décédé. Dans ces conditions, en rejetant la demande de visa pour le motif mentionné ci-dessus, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a entaché sa décision d'une erreur de fait.
3. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
4. Le ministre de l'intérieur a demandé aux premiers juges de substituer au motif initial de sa décision un nouveau motif tiré de ce que l'identité et, par suite, le lien de filiation de l'enfant E... avec Mme B... C... ne sont pas établis, faute de caractère probant des actes d'état civil produits.
5. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " (...) Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. (...). ".
6. Aux termes de l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".
7. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
8. Pour justifier du lien de filiation ont été produits un jugement supplétif rendu, le 26 août 2007, par le tribunal de paix de Kinshasa/N'djili ainsi que l'acte de naissance dressé, le 2 octobre 2007, au centre d'état civil de Kinshasa/Masina, en transcription de ce jugement, mentionnant que Mme B... C... est la mère de E... Mangbana, née le 6 avril 2005. Le caractère tardif de ce jugement ne suffit pas à lui ôter sa valeur probante. Si le ministre fait valoir que le tribunal de paix n'était pas compétent pour rendre le jugement supplétif du 26 août 2007 en vertu de l'article 106 du code de la famille congolais, alors applicable, Mme B... C... soutient que le jugement du tribunal de paix a été rendu sur le fondement de l'article 110 de l'ordonnance n° 82-020 portant code de l'organisation et de la compétence judiciaires selon lequel les tribunaux de paix connaissent de toute contestation portant sur le droit de la famille. A supposer même que le tribunal de paix de Kinshasa se soit mépris sur sa compétence pour rendre le jugement supplétif, cette circonstance, qu'il revient aux autorités judiciaires locales d'apprécier, ne permettrait pas par elle-même d'établir le caractère frauduleux de ce jugement. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que ce jugement a été rendu seulement deux ans après la naissance de E..., à la requête de M. F..., père de l'enfant, alors qu'elle n'avait pas encore fui son pays de sorte qu'il ne peut être soutenu qu'il présenterait " un caractère opportun en ayant été sollicité pour les besoins de la cause ". Enfin, Mme B... C... produit un bulletin d'hospitalisation-certificat de naissance du centre hospitalier de Bolenge à Mbandaka (République démocratique du Congo), attestant de la naissance d'un enfant le 6 avril 2005, " dont Madame B... C... D... a accouché, et issu de son union avec Monsieur F... ". Dans ces conditions, le lien de filiation entre E... Mangbana et Mme B... C..., sa mère, est établi. Par suite, il n'y a pas lieu de faire droit à la substitution de motif demandée par le ministre.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de Mme B... C..., la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant le recours dirigé contre la décision du 10 décembre 2018 des autorités consulaires françaises à Kinshasa refusant de délivrer à E... un visa de long séjour en qualité de membre de famille de réfugié.
Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme B... C... de la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Mme B... C... la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme D... B... C....
Délibéré après l'audience du 23 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme A..., présidente de la formation de jugement,
- M. Frank, premier conseiller,
- Mme Ody, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 mai 2021.
Le président- rapporteur,
C. A...L'assesseur le plus ancien,
A. FRANK
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT04641