Par une requête et un mémoire, enregistrés les 6 mai et 29 septembre 2020, M. Felly Feruzi Kikuba, en son nom et au nom de ses enfants mineurs, M. Dirk Josué Feruzi Kikuni,
M. Flory Feruzi Kaningini et M. Josué Feruzi Mwasilva, représentés par Me Pollono, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 28 février 2019 de la commission de recours ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer la demande dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ; d'enjoindre de délivrer ces visas à la préfecture de Mayotte s'agissant de V..., AB... et AI...-AH... ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à leur conseil de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. Feruzi Kikuba et autres soutiennent que :
- l'administration n'a pas examiné avec sérieux les demandes de visas ; ce faisant, elle a entaché sa décision d'un vice de procédure et d'une erreur de droit ;
- les liens de filiation sont établis par les actes d'état civil produits qui sont authentiques et par la possession d'état ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît également les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juillet 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. Feruzi Kikuba et autres ne sont pas fondés.
M. Feruzi Kikuba a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 mars 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Buffet,
- et les observations de Me Nève, substituant Me Pollono, pour M. Feruzi Kikuba et autres.
Une note en délibéré présentée pour M. Feruzi Kikuba et autres a été enregistrée le 13 avril 2021.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 24 octobre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. Feruzi Kikuba et autres tendant à l'annulation de la décision du 28 février 2019 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision du consul général de France à Kinshasa (République démocratique du Congo) du 28 novembre 2018 rejetant la demande de visa de long séjour présentée pour T... Feruzi Kaningini, V... R... Mwasilva, Dirk Josué R... Kikuni, Alphonsine Feruzi Salumu, Ketsia Feruzi Mukamba et Kurtis Brayan Mulamba Ramazani en qualité de membre de famille de réfugié. M. Feruzi Kikuba, M. Dirk Josué Feruzi Kikuni, M. B... L... et M. C... K... relèvent appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance :
2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. (...) ". Ce délai est un délai franc. Par application de l'article 642 du nouveau code de procédure civile, lorsqu'il expire un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé, ce délai est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant ce délai.
3. Il ressort des pièces du dossier que la décision contestée a été notifiée, le 11 mars 2019, à M. G.... Par suite, le 12 mai 2019 étant un dimanche, le délai de deux mois imparti par l'article R. 421-1 du code de justice administrative n'était pas expiré à la date du 13 mai 2019 d'enregistrement de sa demande au greffe du tribunal administratif de Nantes. Dès lors, la fin de non-recevoir opposée par le ministre et tirée de la tardiveté de cette demande doit être rejetée.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France :
4. En premier lieu, les requérants soutiennent qu'en rejetant le recours formé devant elle sans " dire un seul mot quant à l'éventuelle démonstration du lien familial par la possession d'état ", la commission n'a pas examiné avec sérieux les demandes de visa, a entaché sa décision d'un vice de procédure au regard des dispositions de l'article L. 114-5 du code des relations du public avec l'administration et d'une erreur de droit au regard de dispositions des articles L. 752-1 et L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il ressort, toutefois, des pièces du dossier, notamment des termes mêmes de la décision contestée, que celle-ci a rejeté le recours des intéressés au motif, notamment, que les éléments de possession d'état produits n'étaient pas de nature à établir le lien de filiation. Par suite, et en tout état de cause, les moyens invoqués ne peuvent qu'être écartés.
5. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " (...) Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. (...). ".
6. Aux termes de l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".
7. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
8. Pour justifier du lien de filiation avec T... L..., X... V... H..., Z... R... AA..., AB... R... AC..., M. G... a produit des actes de naissance établis les 17 et 18 juin 2015 sur la base de jugements supplétifs rendus les 10 avril 2015 précisant qu'il est le père de ces enfants ainsi que des certificats de non appel de ces jugements.
9. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux. La circonstance que les actes de naissance, dressés sur le fondement des jugements supplétifs des 10 avril 2015, dont aucune des mentions légales ni des informations essentielles concernant notamment le lien de filiation y figurant ne sont contestées par le ministre, comportent des informations ne figurant pas dans les jugements supplétifs, ne suffit pas à les priver de valeur probante. Si les jugements supplétifs d'actes de naissance sont intervenus plusieurs années après la naissance des enfants et après l'obtention du statut de réfugié par le requérant, cette circonstance n'est pas, par elle-même, davantage de nature à caractériser une fraude. Enfin, le ministre, s'il conteste la régularité des certificats de non appel, en ce qu'ils émanent de la même juridiction que celle qui a rendu le jugement, ne l'établit pas en se bornant à invoquer les dispositions de l'article 68 du code de l'organisation et de la compétence judiciaire congolais qui ne comportent aucune indication sur ce point. Par suite, les liens de filiation entre les enfants, B... L..., X... V... H..., Z... R... AA..., AB... R... AC... et M. G..., leur père, sont établis. S'agissant de V... K..., dont l'acte de naissance est également produit, la seule circonstance que
M. G... a indiqué, dans sa demande d'asile, un autre nom de mère que celui de Mme J..., ne suffit pas en remettre en cause la validité de cet acte d'état-civil. Le lien de filiation entre V... K... et M. G... est donc également établi. Dans ces conditions, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France en estimant que les liens de filiation n'étaient pas établis a fait une inexacte application des dispositions précitées.
10. S'agissant, en revanche, de l'enfant I... M..., les requérants produisent un jugement d'adoption du 5 juin 2015, un jugement supplétif du 13 juin 2017 et l'acte de naissance établi le 28 août 2017 sur la base de ce jugement supplétif. Toutefois, ils ne contestent pas que le jugement d'adoption est entaché d'anomalies et se bornent à indiquer dans leurs écritures qu'ils produiront " des éléments explicatifs en cours d'instance ", ce qu'ils ne font pas. Au titre de la possession d'état, ils ne font mention que d'envois d'argent depuis 2012. Dans ces conditions, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France, en estimant que le lien de filiation entre M. G... et cet enfant n'était pas établi, n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées. Faute d'établissement de son lien de filiation avec AI...-AH... M..., les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de celles du 1° de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doivent être écartés.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. G... et autres sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté les conclusions de leur demande tendant à l'annulation de la décision du 28 février 2019 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en ce qu'elle concerne les enfants B... L..., X... V... H..., Z... R... AA..., AB... R... AC... et V... K....
En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction :
12. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement que des visas d'entrée et de long séjour soient délivrés à T... L..., X... V... H..., Z... R... AA..., AB... R... AC... et V... K.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer ces visas dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt. S'agissant de AB... R... AC... et V... K..., qui sont à Mayotte, le ministre de l'intérieur ne fait état d'aucune circonstance particulière qui rendrait nécessaire leur retour temporaire en République démocratique du Congo afin d'y retirer les visas de long séjour qui doivent leur être délivrés au titre de l'exécution du présent arrêt. Il lui appartient, dès lors, de prendre les mesures nécessaires pour que les visas de long séjour soient délivrés à AB... R... AC... et V... K... sur le territoire national. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir l'injonction prononcée d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement aux requérants de la somme globale de 1 200 euros au titre de ces frais.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 24 octobre 2019 du tribunal administratif de Nantes est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la demande de M. G... et autres dirigées contre la décision du 28 février 2019 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en ce qu'elle porte sur les demandes de visa d'entrée et de long séjour présentées pour T... L..., X... V... H..., Z... R... AA..., AB... R... AC... et V... K....
Article 2 : La décision du 28 février 2019 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est annulée en tant qu'elle porte sur les demandes de visa d'entrée et de long séjour présentées pour T... L..., X... V... H..., Z... R... AA..., AB... R... AC... et V... K....
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de prendre les mesures nécessaires pour que des visas d'entrée et de long séjour en France soient délivrés à T... L..., à X... V... H..., à Z... R... AA..., à AB... R... AC... et à V... K... dans les conditions prévues par le présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à M. G... et autres une somme globale de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. G... et autres est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. N..., à M. F... H..., à M. B... L..., à M. C... K... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 9 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme D..., présidente-assesseur,
- M. Frank, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 avril 2021.
Le rapporteur,
C. BuffetLe président,
T. CELERIER
La greffière,
C. POPSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT01464