Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 29 juin 2018, 18 septembre 2018 et 18 janvier 2019, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 22 mai 2018 ;
2°) de rejeter la demande de MmeD....
Il soutient que :
- la matérialité des faits qui ont motivé la mesure de rejet en cause est établie ;
- sa décision n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- aucun moyen soulevé en 1ère instance par Mme D...n'était fondé.
Par des mémoires en défense enregistrés les 5 septembre 2018 et 10 janvier 2019, MmeD..., représentée par MeB..., conclut au rejet de la requête et demande que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par le ministre n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Picquet,
- les conclusions de M. Sacher, rapporteur public,
- et les observations de Mme C...représentant le ministre de l'intérieur et de MeB..., représentant MmeD....
Considérant ce qui suit :
1. Mme E...D..., ressortissante russe née le 5 octobre 1983, entrée en France en 2008, a déposé une demande de naturalisation auprès des services de la préfecture du Bas-Rhin. Le préfet a rejeté sa demande le 25 août 2015. Saisi sur recours hiérarchique le 28 octobre suivant, le ministre de l'intérieur a rejeté la demande de naturalisation de l'intéressée, d'abord implicitement puis expressément le 13 février 2017. Mme D... a demandé l'annulation de ces deux décisions du ministre. Par un jugement du 22 mai 2018, le tribunal administratif de Nantes a jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 1603158 dirigées contre la décision implicite de rejet et a annulé la décision du ministre de l'intérieur du 13 février 2017. Ce dernier fait appel de ce jugement en tant qu'il a annulé la décision du 13 février 2017.
Sur le bien fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 21-15 du code civil : " (...) l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger ". Aux termes de l'article 48 du décret du 30 décembre 1993 : " Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions. Ce délai une fois expiré ou ces conditions réalisées, il appartient à l'intéressé, s'il le juge opportun, de déposer une nouvelle demande ". En vertu de ces dispositions, il appartient au ministre de porter une appréciation sur l'intérêt d'accorder la nationalité française à l'étranger qui la sollicite. Dans le cadre de cet examen d'opportunité, il peut légalement prendre en compte les renseignements défavorables recueillis sur le comportement du postulant, ainsi que son assimilation dans la société française.
3. Pour rejeter la demande d'acquisition de la nationalité française présentée par Mme D..., le ministre chargé des naturalisations s'est fondé sur son défaut de loyalisme envers la France et ses institutions.
4. Il n'est pas contesté que MmeD..., qui exerce depuis 2013 des fonctions de juriste au sein du service de l'exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, a eu de nombreux contacts notamment téléphoniques ou lors de déjeuners, parfois en dehors de l'enceinte du Conseil de l'Europe, depuis août 2014, avec M.A..., ressortissant russe affecté au sein de la représentation permanente russe auprès du Conseil de l'Europe. Le ministre de l'intérieur soutient en appel, sans être ensuite contesté, que la qualité de diplomate de M. A...a été déclarée auprès du ministère des affaires étrangères français par le ministère des affaires étrangères russes lors de sa prise de fonction en décembre 2013. Toutefois, Mme D...fait valoir qu'elle ignorait la qualité de diplomate de M. A...et que ses rapports avec lui n'étaient liés qu'à son travail au Service de l'exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme, M. A...étant chargé du suivi juridique des dossiers relatifs à l'exécution des arrêts de la CEDH auprès du ministère de la justice russe. Le chef du service de l'exécution du Conseil de l'Europe a indiqué, dans une attestation du 2 novembre 2018 produite par MmeD..., que les contacts avec les agents des autorités nationales doivent être réguliers et étroits afin de prévoir et résoudre les problèmes d'exécution des arrêts de la cour européenne des droits de l'Homme. Si Mme D...n'a pas fait état de ses relations avec M. A...lors de son entretien auprès des services de sécurité, seule une question générale relative à ses liens avec la sphère diplomatique russe lui a été posée, alors que Mme D...pouvait légitimement croire que M.A..., qui travaillait pour le ministère de la justice russe, n'appartenait pas à cette catégorie. Dès lors, le ministre, alors même qu'il dispose d'un large pouvoir d'apprécier l'opportunité d'accorder la nationalité française, a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en retenant ces éléments pour considérer que le loyalisme de la postulante envers la France et ses institutions n'était pas avéré et, par suite, rejeter la demande de naturalisation présentée par MmeD....
5. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé sa décision du 13 février 2017.
Sur les frais liés au litige :
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme D...de la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Mme D...la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme E...D....
Délibéré après l'audience du 5 avril 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président,
- M. Mony, premier conseiller,
- Mme Picquet, premier conseiller.
Lu en audience publique le 30 avril 2019.
Le rapporteur,
P. PICQUET
Le président,
S. DEGOMMIER
Le greffier,
C. POPSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°18NT02503