Procédure devant la cour :
Par un recours et un mémoire, enregistrés le 10 aout 2016 et le 3 juillet 2017, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif d'Orléans du 9 juin 2016 ;
2°) de rejeter la demande présentée par la SARL " Equitons Jeune " devant le tribunal administratif d'Orléans.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier et le tribunal a statué " ultra petita ", en examinant la légalité d'une décision dont il n'était pas saisi, à savoir celle du 15 mai 2014 relative à la suspension du contrat d'apprentissage de Mlle C...et de M. A...;
- en se fondant sur le principe selon lequel la décision par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi prononçant la suspension de l'exécution du contrat d'apprentissage doit être précédée par une procédure contradictoire, les premiers juges ont commis une erreur de droit ;
- la chronologie retenue par le tribunal n'est pas exacte et les effets juridiques du dispositif du jugement en tant qu'il annule une décision qui n'existe pas sont problématiques ;
- la matérialité des faits sur laquelle s'est fondé le tribunal pour prononcer l'annulation des décisions de l'administration du travail n'est pas établie et ces décisions ne sont entachées ni d'une erreur de fait ni d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 octobre 2016, la SARL " Equitons Jeune ", représentée par MeH..., conclut au rejet du recours du ministre et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Elle soutient que :
- le recours du ministre est irrecevable, en ce qu'il est signé par une personne ne pouvant ester en justice au nom et pour le compte du ministre ;
- les moyens soulevés par le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pons ;
- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public ;
- et les observations de Me D...pour la SARL Equitons Jeune.
Considérant ce qui suit :
1. Le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social relève appel du jugement du 9 juin 2016 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a annulé la décision du 19 mai 2014 par laquelle le directeur de l'unité territoriale de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) du Loiret a refusé la reprise du contrat d'apprentissage liant la SARL " Equitons Jeune " à Mlle C...et a interdit à la société le recrutement de nouveaux apprentis et jeunes suivant une formation en alternance pour une durée de trois années, ainsi que la décision du 17 octobre 2014 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a rejeté son recours hiérarchique.
Sur la recevabilité du recours :
2. Par décision du 5 juin 2015, modifiant une décision du 31 août 2006, régulièrement publiée au journal officiel, le directeur général du travail a donné à M. G...B..., signataire du recours en appel et adjoint à la sous-directrice des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail, une délégation à l'effet de signer, dans la limite des attributions de la sous-direction des conditions de travail, da la santé et de la sécurité au travail et au nom du ministre chargé du travail, tous actes, décisions ou conventions à l'exclusion des décrets. Il s'ensuit que M. B...avait compétence pour saisir la cour afin d'interjeter appel du jugement contesté. Par suite, le moyen tiré de ce que le recours du ministre aurait été signé par une personne incompétente manque en fait et doit être écarté.
Sur l'étendue des conclusions en litige :
3. Lorsque le silence gardé par l'administration sur une demande dont elle a été saisie a fait naître une décision implicite de rejet, une décision explicite de rejet intervenue postérieurement se substitue à la première décision. Dans ce cas, des conclusions à fin d'annulation de cette première décision doivent être regardées comme dirigées contre la seconde. Il en résulte que les conclusions de la requête dirigées contre la décision implicite par laquelle le ministre aurait rejeté la demande de la SARL " Equitons Jeune " tendant à l'annulation de la décision du 19 mai 2014 par laquelle le directeur de la DIRECCTE du Loiret a refusé la reprise du contrat d'apprentissage liant la SARL " Equitons Jeune " à Mlle C...et lui a interdit le recrutement de nouveaux apprentis et jeunes suivant une formation en alternance pour une durée de trois années, doivent être regardées comme dirigées contre la décision du 17 octobre 2014 par laquelle le ministre a expressément rejeté son recours hiérarchique.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. La SARL " Equitons Jeune ", qui gère un poney club dont le gérant est M. E...F..., a conclu un contrat d'apprentissage avec Mlle C...et M.A.... A la suite d'une plainte de M. A...recueillie le 2 avril 2014 dans les locaux de l'unité territoriale de la DIRECCTE du Loiret et des signalements de MlleC..., une enquête a été menée par l'inspection du travail. Consécutivement à cette enquête, les contrats d'apprentissage de Mlle C...et de M. A...ont été suspendus par une décision du 15 mai 2014 du directeur de la DIRECCTE du Loiret. Par une décision du 19 mai 2014, ce même directeur a refusé à la SARL " Equitons Jeune " la reprise des contrats d'apprentissage de Mlle C...et de M. A...et a interdit à la société le recrutement de nouveaux apprentis et jeunes suivant une formation en alternance pour une durée de trois années. Par courrier du 17 juillet 2014, la SARL " Equitons Jeune " a saisi le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social d'un recours hiérarchique. Par décision du 19 septembre 2014, ce recours a été expressément rejeté.
5. Aux termes des dispositions de l'article L. 6223-1 du code du travail, dans sa version applicable : " Toute entreprise peut engager un apprenti si l'employeur déclare à l'autorité administrative prendre les mesures nécessaires à l'organisation de l'apprentissage et s'il garantit que l'équipement de l'entreprise, les techniques utilisées, les conditions de travail, de santé et de sécurité, les compétences professionnelles et pédagogiques ainsi que la moralité des personnes qui sont responsables de la formation sont de nature à permettre une formation satisfaisante." ; qu'aux termes de l'article L. 6225-5 du même code : " Dans le délai de quinze jours à compter du constat de l'agent de contrôle, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi se prononce sur la reprise de l'exécution du contrat d'apprentissage. Le refus d'autoriser la reprise de l'exécution du contrat d'apprentissage entraîne la rupture de ce contrat à la date de notification du refus aux parties.". Aux termes de l'article L. 6225-6 du même code : " La décision de refus du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi peut s'accompagner de l'interdiction faite à l'employeur de recruter de nouveaux apprentis ainsi que des jeunes titulaires d'un contrat d'insertion en alternance, pour une durée qu'elle détermine " ;
6. Pour annuler les décisions du 19 mai et du 17 octobre 2014 en litige, le tribunal s'est fondé sur la circonstance, d'une part, que ces décisions avaient méconnu le principe du contradictoire, faute pour l'autorité administrative d'avoir recueilli les observations du gérant de la SARL " Equitons Jeune " avant l'intervention de ces décisions et, d'autre part, qu'aucun élément ne permettait d'établir la matérialité des faits retenus par le directeur régional du travail pour refuser la reprise du contrat d'apprentissage de Mlle C...et interdire à la société de recruter des apprentis pendant trois années.
7. En premier lieu, il ressort toutefois des pièces du dossier, et notamment du rapport de l'inspection du travail du 14 mai 2014 produit pour la première fois en appel, que M. E...F...a été entendu par les inspecteurs du travail le 14 avril 2014, préalablement à la mesure de suspension des contrats d'apprentissage du 15 mai 2014, notamment sur l'organisation des formations des stagiaires et des apprentis et sur les situations respectives de M. A...et de MlleC... et a été mis à même de faire valoir ses observations. Dès lors, c'est à tort que les premiers juges se sont fondés sur ce premier motif pour annuler les décisions contestées.
8. En deuxième lieu les décisions en litige se fondent sur plusieurs constatations matérielles selon lesquelles Mlle C...et un autre apprenti, M.A..., auraient fait l'objet de propos désobligeants et agressifs, que leurs employeurs auraient menti et que M. F...aurait employé des termes inappropriés voire insultants à leur encontre, que le recours à l'apprentissage de la société n'est pas dicté par une volonté de transmettre un savoir mais par des considérations économiques et que Mlle C...n'a pas bénéficié d'un tutorat et que les activités qui lui ont été confiées étaient partielles et se limitaient à des tâches d'entretien général des installations et de nettoyage des box en contradiction avec les objectifs de sa formation.
9. Il ressort également des pièces du dossier, et notamment du rapport de l'inspection du travail du 14 mai 2014, que les travaux confiés à Mlle C...n'étaient pas en adéquation avec la formation suivie et qu'elle ne bénéficiait pas d'un tutorat approprié. Mlle C...était parfois contrainte de rester dans l'entreprise sans pouvoir se rendre au centre de formation des apprentis pour suivre sa formation obligatoire, tandis que M. F...a tenu à son encontre des propos déplacés et insultants. Le recours à l'apprentissage et aux stagiaires répondait essentiellement pour l'entreprise à des considérations économiques. Les attestations d'anciens apprentis produites ne sont pas de nature à remettre en cause les constatations matérielles de l'inspection du travail. Dans ces conditions, la matérialité des faits reprochés est établie et la moralité des personnes responsables de la formation ne permettait pas une formation satisfaisante, au sens des dispositions de l'article L. 6223-1 du code du travail. Par suite, en prenant les décisions contestées du 19 mai et du 17 octobre 2014, le directeur de la DIRECCTE du Loiret et le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social n'ont pas fait une inexacte application des dispositions citées du code du travail ou commis une erreur de fait ou d'appréciation. Dès lors, c'est à tort que les premiers juges se sont fondés sur ce second motif pour annuler les décisions contestées.
10. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la SARL " Equitons Jeune ".
11. En premier lieu, les décisions du 19 mai et du 17 octobre 2014 contestées ont été prise sur le fondement des articles L. 6225-5 et L. 6225-6 du code du travail. Ces dispositions n'imposent nullement l'envoi d'une lettre d'observation ou d'une mise en demeure de régulariser la situation avant l'intervention des décisions en cause. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 6225-1 du code du travail est inopérant.
12. En second lieu et contrairement à ce qui est allégué, la décision du 19 mai 2014 en cause n'a pas été prise selon une " procédure d'urgence ". Par suite, le moyen selon lequel la procédure d'urgence n'était pas justifiée en l'espèce est inopérant.
13. Il résulte de ce qui précède que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif, qui ne s'est pas mépris sur l'étendue des conclusions qui lui étaient soumises, a annulé les décisions des 19 mai et du 17 octobre 2014.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la SARL " Equitons Jeune " au titre des frais de procédure.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d'Orléans du 9 juin 2016 est annulé.
Article 2 : La demande de la SARL " Equitons Jeune " devant le tribunal administratif d'Orléans est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL " Equitons Jeune " et à la ministre du travail.
Copie sera adressée à la directrice de l'unité territoriale du Loiret de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Centre-Val de Loire.
Délibéré après l'audience du 18 mai 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- M. Pons, premier conseiller,
- M. Bouchardon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 4 juin 2018.
Le rapporteur,
F. PONSLe président,
J. FRANCFORT
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé et à la ministre du travail en ce qui les concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°16NT02779