Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 23 mai, 15 novembre et 20 décembre 2018, le préfet d'Ille-et-Vilaine demande à la cour d'annuler ce jugement en tant que la magistrate désignée a annulé ses arrêtés du 23 avril 2018 décidant du transfert de M. A...E...et de Mme C...B...épouse F...vers l'Allemagne et assignant ces derniers à résidence et lui a enjoint de réexaminer la situation des intéressés dans un délai d'un mois.
Par un mémoire, enregistré le 31 janvier 2019, la préfète informe la cour qu'elle a convoqué M. E...et Mme F...le 7 décembre 2018 en vue d'enregistrer leur demande d'asile et qu'elle maintient ses conclusions à fin d'annulation.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Francfort, président assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
Les faits, la procédure :
1. Monsieur E...et Madame B...épouseF..., de nationalité azerbaïdjanaise, déclarent être entrés irrégulièrement sur le territoire français le 2 décembre 2017 avec leurs deux enfants mineurs. Le 8 décembre 2017, ils ont demandé leur admission au séjour au titre de l'asile auprès des services de la préfecture d'Illle-et-Vilaine. La consultation du fichier Eurodac ayant révélé qu'ils avaient transité par l'Allemagne, où ils avaient sollicité l'asile, avant d'arriver en France. Le préfet a saisi le 18 décembre 2017 les autorités allemandes d'une demande de reprise en charge en application du point b) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n°604/2013. Par un accord explicite du 21 décembre 2017, les autorités allemandes ont accepté cette demande de reprise en charge sur le fondement du point d) du 1 de l'article 18 du même règlement. Le 23 avril 2018 le préfet a pris à l'encontre de chacun des épouxE..., des arrêtés distincts portant décision de leur transfert vers l'Etat responsable de leur demande d'asile, à savoir l'Allemagne et assignation à résidence. Le préfet d'Ille-et-Vilaine relève appel du jugement du 27 avril 2018 en tant que, par ce jugement, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rennes a annulé ses arrêtés du 23 avril 2018.
Sur les conclusions à fins d'annulation :
2. Pour annuler les arrêtés portant remise de M. et Mme E...aux autorités allemandes, et par voie de conséquence les assignations à résidence décidées par le préfet, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rennes a estimé que le moyen que lui présentaient M. et MmeE..., tiré de la méconnaissance de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne des articles 17§1 et 3§2 du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et du droit constitutionnel d'asile, devait être regardé, compte tenu de l'argumentation des requérants, comme relevant de la méconnaissance des dispositions de l'article 32 du règlement n°604/2013. Il a ensuite apprécié que ces dernières dispositions avaient été méconnues dès lors que le préfet, pourtant informé de la perspective d'une prochaine hospitalisation de MmeF..., ne soutenait pas avoir fait les démarches nécessaires afin de veiller à ce qu'elle puisse bénéficier de la même intervention dans des délais rapides en cas de remise aux autorités allemandes en vue de l'examen de sa demande d'asile.
En ce qui concerne l'arrêté portant transfert de M. et Mme E...aux autorités allemandes :
3. Aux termes de l'article 29 du règlement n° 604-2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'Etat membre requérant vers l'Etat membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. /2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. ".
4. Il résulte de ces dispositions que lorsque le délai de six mois fixé pour l'exécution de la mesure de transfert a été interrompu par l'introduction d'un recours, il recommence à courir à compter de la décision juridictionnelle qui n'est plus susceptible de faire obstacle à la mise en oeuvre de la procédure de remise. Quel que soit le sens de la décision rendue par le premier juge, ce délai court à compter du jugement qui, l'appel étant dépourvu de caractère suspensif, rend à nouveau la mesure de transfert susceptible d'exécution.
5. Il ressort des pièces du dossier que le délai initial de six mois dont disposait le préfet d'Ille-et-Vilaine pour procéder à l'exécution de sa décision de transférer M. et Mme E...vers l'Allemagne a été interrompu par la saisine de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rennes. Ce délai a recommencé à courir à compter du jugement du 27 avril 2018 rendu par cette dernière et n'a fait l'objet d'aucune prolongation. Par suite, la décision de transfert étant devenue caduque sans avoir reçu de commencement d'exécution, les conclusions de préfet d'Ille-et-Vilaine tendant à l'annulation de cet arrêté sont devenues sans objet. Il n'y a plus lieu d'y statuer.
En ce qui concerne les arrêtés portant assignation à résidence :
6. Aux termes des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Et selon l'article 32 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " 1. Aux seules fins de l'administration de soins ou de traitements médicaux (...) l'Etat membre procédant au transfert transmet à l'Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer, dans la mesure où l'autorité compétente conformément au droit national dispose de ces informations, lesquelles peuvent dans certains cas porter sur l'état de santé physique ou mentale de cette personne. Ces informations sont transmises dans un certificat de santé commun accompagné des documents nécessaires. L'Etat membre responsable s'assure de la prise en compte adéquate de ces besoins particuliers, notamment lorsque des soins médicaux essentiels sont requis (...) "
7. Il incombe au préfet, avant de décider de la remise d'un demandeur d'asile à un autre Etat-membre sur le fondement du règlement n°604/2013, d'une part de s'assurer, au sens du 2 de l'article 3 de ce règlement, de l'absence de " sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne " et d'autre part, de s'assurer de l'absence de motifs, notamment médicaux, faisant obstacle au voyage à destination du pays de transfert. En revanche, une fois ces vérifications effectuées, la mise en oeuvre des obligations résultant de l'article 32 du règlement, relativement à la communication d'informations médicales, qui concerne l'exécution de la mesure de transfert, reste sans influence sur la régularité de cette mesure.
8. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que, pour annuler la décision de transfert et par voie de conséquence la décision portant assignation de M. et MmeE..., qui n'invoquaient pas d'autre argument au soutien de leur argumentation, la magistrate désignée a retenu la méconnaissance par le préfet d'Ille-et-Vilaine des dispositions de l'article 32 du règlement communautaire déjà mentionné.
9. Il appartient à la cour, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, de se prononcer sur les autres moyens soutenus par M. et Mme E...devant le tribunal administratif de Rennes.
10. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que par un arrêté du 14 février 2018, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet d'Ille-et-Vilaine a donné délégation de signature à MmeD..., responsable du pôle Dublin du bureau d'asile, à l'effet notamment de signer les arrêtés de transfert et d'assignation à résidence relevant de la procédure Dublin Dès lors le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté doit être écarté.
11. En second lieu, si M. et Mme E...allèguent qu'en l'état actuel de la procédure il n'apparaît pas que les informations sur les règlements communautaire prévues par les dispositions de l'article 4 du règlement communautaire leur auraient été communiquées dans une langue comprise par eux, ces allégations ne suffisent pas à écarter les mentions figurant sur les comptes-rendus d'entretien organisés à la préfecture, selon lesquelles le guide du demandeur d'asile et les informations sur les règlements communautaires leur ont été remis.
12. Il résulte de ce qui précède que le préfet d'Ille-et-Vilaine est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rennes a annulé les arrêtés du 23 avril 2018 par lesquels il a assigné M. et Mme E...à résidence à Romillé (Ille-et-Vilaine).
Sur les conclusions à fins d'annulation du jugement en tant qu'il a mis à la charge de l'Etat une somme au titre des frais engagés pour l'instance :
13. Par l'article 5 du jugement attaqué la magistrate désignée par le président du tribunal administratif d'Orléans a mis à la charge de l'Etat, sur le fondement des articles 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 000 euros.
14. Dans les circonstances de l'espèce et dès lors que le premier juge n'a pas fait une appréciation manifestement exagérée des frais liés au litige, le préfet du Loiret n'est pas fondé à demander l'annulation de cette disposition du jugement attaqué.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête du préfet d'Ille-et-Vilaine relatives à l'arrêté du 23 mars 2018 portant remise de M. et Mme E...aux autorités allemandes.
Article 2 : Le jugement du 27 avril 2018 est annulé en tant qu'il a annulé les arrêtés du 23 mars 2018 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a assigné M. et Mme E...à résidence à Romillé.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A...E...et Mme C...F.... Une copie en sera transmise pour information au préfet d'Ille-et-Vilaine.
Délibéré après l'audience du 27 mai 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Francfort, président-rapporteur,
- Mme Gélard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 11 juin 2019.
Le rapporteur,
J. FRANCFORTLe président,
H. LENOIR
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT02048 2
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