Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 7 novembre 2019 et le 21 janvier 2020, Mme et Mme A..., représentés par Me D..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 25 juillet 2019 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 25 juin 2019 par lesquels le préfet de Maine-et-Loire a décidé leur transfert aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que les arrêtés du même jour les assignant à résidence pour une durée de quarante-cinq jours ;
3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal, de leur remettre une attestation de demande d'asile en procédure normale et, à titre subsidiaire, de réexaminer leur situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 2 000 euros à verser à leur conseil, sur le fondement des dispositions combinées de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
Le jugement est irrégulier :
- il est entaché d'une omission à statuer sur le moyen tiré du risque de refoulement fondé sur l'article 33 de la Convention de Genève ;
- le tribunal aurait dû ordonner la communication de leur entier dossier administratif, notamment, la preuve de leur passage auprès de la structure de pré-accueil des demandeurs d'asile ;
Le jugement est infondé :
En ce qui concerne les décisions de transfert :
- le préfet du Maine-et-Loire était incompétent pour prendre les décisions contestées ;
- elles sont insuffisamment motivées, en l'absence notamment de mention d'un critère de détermination de l'Etat responsable ;
- il n'est pas justifié de ce que le préfet de Maine-et-Loire aurait délivré l'information prévue par l'article 4 du règlement n° 604/2013/UE du 26 juin 2013, dès l'introduction de leur demande d'asile lors de leur passage dans la structure de pré-accueil, une demande de protection internationale étant réputée introduite lorsqu'un document écrit, établi par une autorité publique et attestant qu'un ressortissant de pays tiers a sollicité la protection internationale, est parvenu à l'autorité chargée de l'exécution des obligations découlant de ce règlement ;
le fait d'avoir signé le compte rendu n'écarte pas tout vice de procédure liée à l'exigence d'une information complète ;
leur droit à l'information effectif dans une langue comprise a été méconnu ;
- les conditions de leurs entretiens individuels n'ont pas respectées les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, l'agent qui a conduit ces entretiens n'était pas qualifié à cet effet ;
- le préfet ne démontre pas les avoir interrogés de manière approfondie durant leurs entretiens individuels ;
- elles sont entachées d'un défaut d'examen de leur situation particulière au regard de leur santé et d'une erreur de fait dès lors qu'il est impossible que les empreintes de M. A... aient été enregistrées en Espagne en franchissement irrégulier des frontières le 27 mars 2019 ;
- elles sont entachées d'un défaut d'examen du risque de violation des articles 4 de la de la Charte des droits fondamentaux de l'UE et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013/UE du 26 juin 2013.
En ce qui concerne les décisions d'assignation à résidence :
- elle sont insuffisamment motivées ;
- elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation sur sa situation, elles ne sont pas justifiées et disproportionnées.
- la notification des arrêtés d'assignation les a privés d'un délai de recours contentieux de quinze jours à l'encontre de la mesure d'éloignement et ne leur permet pas d'avoir accès à un droit au recours effectif.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 janvier 2020, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 11 octobre 2019.
Vu la lettre du 29 janvier 2020 par laquelle les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de soulever d'office un moyen d'ordre public tiré du non-lieu à statuer sur les conclusions de la requête tendant à l'annulation des arrêtés de transfert en raison de l'expiration du délai de six mois prévu au 1 de l'article 29 du règlement n°604/2013 du 26 juin 2013.
Vu la réponse au moyen d'ordre public présentée par le préfet de Maine-et-Loire, enregistrée le 29 janvier 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement d'exécution (UE) n°118/2014 de la commission du 30 janvier 2014 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme A..., ressortissants guinéens, ont déclaré être entrés irrégulièrement sur le territoire français le 17 mars 2019. Ils ont sollicité leur admission au séjour au titre de l'asile auprès de la préfecture de Loire-Atlantique le 7 mai 2019. La consultation du fichier " Eurodac " a révélé que les intéressés avaient franchi irrégulièrement la frontière espagnole moins de douze mois avant qu'ils n'introduisent leur première demande d'asile sur le territoire des Etats membres de l'Union européenne. Les autorités espagnoles ont été saisies le 9 mai 2019 d'une demande de reprise en charge sur le fondement de l'article 13-1 du règlement (UE) n° 604/2013. Ces dernières ont fait connaitre leur accord le 21 mai 2019. Le préfet de Maine-et-Loire a alors décidé de transférer M. et Mme A... aux autorités espagnoles et de les assigner à résidence par quatre arrêtés du 25 juin 2019. Par leur requête visée ci-dessus, Mme et Mme A... relèvent appel du jugement du 25 juillet 2019 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des arrêtés du 25 juin 2019.
Sur l'étendue du litige :
2. D'une part, aux termes de l'article 29 du règlement n° 604-2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'Etat membre requérant vers l'Etat membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. /2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. ".
3. D'autre part, l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel, ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.
4. Le délai initial de six mois dont disposait le préfet de Maine-et-Loire pour procéder à l'exécution des décisions de transférer M. et Mme A... vers l'Espagne a été interrompu par la saisine du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes. Ce délai a recommencé à courir intégralement à compter du jugement du 25 juillet 2019 rendu par ce dernier et il ne ressort pas des pièces du dossier que ce délai ait fait l'objet d'une prolongation ou que ces arrêtés auraient reçu exécution pendant leur période de validité. Par suite, les arrêtés en cause sont caducs à la date du présent arrêt. La France est donc devenue responsable de la demande d'asile des intéressés, sur le fondement des dispositions du 2 de l'article 29 du règlement n°604-2013 rappelées. Le litige ayant perdu son objet, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M et Mme A... tendant à l'annulation des arrêtés du 25 juin 2019 par lesquels le préfet de Maine-et-Loire a décidé leur remise aux autorités espagnoles en vue de l'examen de leur demande d'asile.
5. En revanche, les arrêtés portant assignation à résidence des intéressés ayant été exécutés et ayant produit des effets, il y a lieu de statuer sur les conclusions tendant à leur annulation.
Sur la régularité du jugement attaqué :
6. En premier lieu, il ressort des termes mêmes du jugement attaqué que le magistrat désigné a relevé que M. et Mme A... ne font état d'aucune circonstance ni ne produisent aucun élément permettant d'établir, d'une part, qu'il y aurait des raisons sérieuses de croire qu'il existerait en Espagne des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil ni, davantage d'autre part, que de telles défaillances entraineraient un risque de traitement inhumain et dégradant des demandeurs d'asile dans cet Etat. Le tribunal, sur le fondement de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, s'est prononcé sur les garanties permettant d'éviter qu'un demandeur d'asile ne soit éloigné, directement ou indirectement, dans son pays d'origine sans une évaluation des risques encourus, alors qu'aucune défaillance systémique dans la mise en oeuvre des procédures d'asile n'a été relevée à l'encontre de l'Espagne. Dès lors que l'article 3 précité a la même portée que les stipulations de l'article 33 de la Convention de Genève, lorsqu'elles sont invoquées, comme en l'espèce, pour faire valoir ce même risque de refoulement, le magistrat désigné du tribunal doit être regardé comme ayant implicitement et nécessairement répondu au moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions. Par suite, le jugement attaqué n'est pas entaché d'irrégularité sur ce point.
7. En second lieu, aux termes du III de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger peut demander au président du tribunal administratif ou au magistrat désigné à cette fin le concours d'un interprète et la communication du dossier contenant les pièces sur la base desquelles la décision contestée a été prise. ". Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme A... ont eu communication, dans le cadre de l'instance devant le tribunal, des pièces du dossier sur lesquelles le préfet de Maine-et-Loire s'est fondé pour édicter les arrêtés de transfert. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement serait irrégulier, à défaut pour le magistrat désigné d'avoir procédé à cette communication ne peut qu'être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué en ce qui concerne l'arrêté d'assignation à résidence :
8. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable : " I. - L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : 1° (...) fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 (...) ".
9. En premier lieu, les arrêtés en cause, qui visent les articles L.561-2 l° bis, L. 742-1 à L. 742-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, précisent notamment que les intéressés font l'objet d'un arrêté préfectoral portant décision de transfert aux autorités espagnoles et que le transfert des intéressés aux autorités espagnoles demeure une perspective raisonnable. Ainsi, ils comportent les motifs de droit et considérations de fait sur lesquelles ils se fondent et procèdent à un examen particulier de la situation de M. et Mme A.... Ils sont, par suite, suffisamment motivés.
10. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que les assignations en cause, qui imposent à M. et Mme A..., hébergés à Nantes, de se présenter tous les mardis et jeudis sauf les week-ends et jours fériés à 10h00, avec leurs effets personnels, aux services de la police aux frontières du commissariat central de Nantes seraient entachées d'une disproportion manifeste, eu égard à la santé des intéressés, notamment la grossesse de Mme A... en cours à la date de la décision.
11. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que les arrêtés en cause soient entachés d'une erreur manifeste d'appréciation quant à leurs conséquences sur les garanties des requérants en tant que demandeurs d'asile. Les conditions de notification des arrêtés d'assignation en cause sont sans incidence sur leur légalité.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... ne sont pas fondés à demander l'annulation des arrêtés du 25 juin 2019 portant assignation à résidence.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Le présent arrêt, qui conclut au non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d'annulation des arrêtés de transfert et rejette les conclusions à fin d'annulation des arrêtés portant assignation à résidence de M. et Mme A..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par les requérants ne peuvent être accueillies.
Sur les frais liés au litige :
14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de M. et Mme A... tendant à l'annulation des arrêtés du 25 juin 2019 par lesquels le préfet de Maine-et-Loire a décidé leur remise aux autorités espagnoles en vue de l'examen de leur demande d'asile.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme A... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme C... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée pour information au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 23 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. B..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 novembre 2020.
Le rapporteur,
F. B...Le président,
O. GASPON
Le greffier,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 19NT04283