Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 15 mai 2018 et 30 avril 2019, le ministre chargé de l'éducation nationale demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 13 mars 2018 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif d'Orléans ;
Il soutient que :
- en premier lieu, son appel est bien recevable ; la circonstance qu'aucune sanction n'ait été prise au terme de la procédure disciplinaire ne le prive pas d'intérêt à agir contre le jugement attaqué ;
- en second lieu, sur le fond : contrairement à ce qu'ont jugé les premiers juges, la réunion des différents éléments versés au dossier de première instance conférait aux faits reprochés à M. D... un caractère de vraisemblance et de gravité justifiant que soit prise la mesure de suspension contestée ; cet agent qui avait déjà fait l'objet d'un rappel à l'ordre le 25 juin 2015 en raison d'agissements incompatibles avec l'exercice des fonctions d'enseignant a cependant commis de nouveaux agissements à l'encontre de certains de ses élèves en début d'année scolaire 2017-2018 alors même qu'il avait fait l'objet en 2015 d'un accompagnement des services de la direction académique pour l'aider à faire évoluer sa pratique professionnelle et ne pas reproduire les comportements incriminés ; il ressort des éléments produits que
M. D... n'a pas modifié son comportement ;
- il lui est, en effet, reproché de donner de manière récurrente des lignes à copier à titre de punition et de déchirer les feuilles remises sous les yeux des élèves concernés, de priver de récréation et d'exclure des activités physiques et sportives certains élèves sans aucune justification ; de telles pratiques contraires à l'intérêt de l'enfant présentent un caractère grave et fautif dans la mesure où les enseignants doivent s'interdire tout comportement, geste ou parole, qui traduirait du mépris à l'égard des élèves ou de leur famille, qui serait discriminatoire ou risquerait de heurter leur sensibilité.
Par des mémoires enregistrés le 31 juillet 2018 et le 2 octobre 2019, M. D..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'appel est irrecevable dès lors qu'aucune sanction disciplinaire n'est intervenue dans le délai d'un mois prescrit par le décret du 25 octobre 1984 ;
- les moyens invoqués par le ministre de l'éducation nationale ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'éducation ;
- la loi n°83-634 du 11 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- et les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... D..., professeur des écoles, exerce ses fonctions à l'école élémentaire de Ligré (Indre et Loire) depuis le 1er septembre 2006, en classe de double niveau CM1/CM2. Par un courrier du 25 octobre 2017, il a été convoqué à un entretien qui s'est tenu le 6 novembre 2017 à la direction des services départementaux de l'éducation nationale (DSDEN) d'Indre-et-Loire afin de faire le point sur sa situation professionnelle. Il a, également par le même courrier, été invité à rencontrer ce même jour le médecin de prévention. Par un arrêté du 9 novembre 2017, il a été suspendu de ses fonctions, pour une durée d'un mois, sur le fondement des dispositions de l'article R. 911-36 du code de l'éducation. Il a formé un recours hiérarchique auprès du ministre de l'éducation nationale le 29 novembre 2017. Cet arrêté a finalement été retiré par un arrêté, daté du 9 novembre 2017 notifié le 12 décembre 2017. Par un second arrêté, daté du 7 décembre 2017, M. D... a été suspendu de ses fonctions, pour une durée de 4 mois, sur le fondement des dispositions de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983. Enfin, par une lettre du 11 décembre 2017, il a été informé de la saisine du comité médical départemental pour avis sur ses aptitudes à exercer les fonctions d'enseignant. M. D... a, le 20 décembre 2017, saisi le juge des référés du tribunal administratif d'Orléans et cette même juridiction de demandes tendant tant à la suspension qu'à l'annulation de l'arrêté du 7 décembre 2017. Par une ordonnance du 9 janvier 2018, le juge des référés a prononcé la suspension des effets de l'arrêté litigieux et ordonné la réintégration de M. D..., laquelle a été effective le 10 janvier 2018. Par un jugement du 13 mars 2018, le tribunal a prononcé l'annulation de cet arrêté du 7 décembre 2017. Le ministre de l'éducation nationale relève appel de ce jugement.
2. Aux termes de l'article 30 de la loi du 11 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline./ Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. (....) ".
3. La mesure provisoire de suspension prévue par ces dispositions législatives ne présente pas, par elle-même, un caractère disciplinaire. Elle est uniquement destinée à écarter temporairement un agent du service, en attendant qu'il soit statué disciplinairement ou pénalement sur sa situation. Elle peut être légalement prise dès lors que l'administration est en mesure d'articuler à l'encontre de l'intéressé des griefs qui ont un caractère de vraisemblance suffisant et qui permettent de présumer que celui-ci a commis une faute grave.
4. Selon les écritures produites le 14 février 2018 par le recteur devant les premiers juges, cette autorité s'est fondée, pour décider de la suspension de M. D... à la date du 7 décembre 2017, sur les éléments d'information communiqués au directeur académique des services de l'éducation nationale (DASEN), à savoir tout d'abord, un certificat médical établi par un médecin prescrivant, sans plus de précision, que " l'état de santé d'un élève de la classe de
M. D... nécessitait une éviction scolaire de 7 jours ", certificat accompagné d'un mail de l'un des parents de cet élève évoquant les problèmes rencontrés en classe par leur fils, une note ensuite de Mme B., actuelle directrice de l'école en conflit avec le requérant et en désaccord avec son attitude pédagogique, sur des faits qu'elle avait pu constater depuis septembre 2016, et relatant l'infliction de punitions récurrentes et systématiques par l'intéressé, l'absence totale de bruit dans sa classe, faisant état de sorties de classe retardées de près d'une demie heure pour finir des évaluations, d'élèves " tétanisés ", et soulignant l'interdiction d'accès à sa classe opposée par M. D..., ainsi que du témoignage d'une enseignante en opposition avec les pratiques professionnelles de cet enseignant. Le recteur disposait enfin d'un rapport de Mme L., inspectrice pédagogique, daté du 15 octobre 2017, appelant l'attention du directeur académique sur le comportement de M. D.... Dans ce dernier rapport détaillé qui couvrait les trois années scolaires 2014/2015, 2015/2016, 2016/2017, il était reproché à cet enseignant " des agissements incompatibles avec la fonction d'enseignant, notamment des actes de maltraitance psychologique réitérés de manière systématique envers les enfants en difficulté d'apprentissage et de faire fi, de manière délibérée, des alertes signifiées à plusieurs reprises ". Les témoignages accompagnant ce rapport dataient cependant pour la majorité d'entre eux de l'année 2015 et pour quatre autres de septembre 2017 émanant de différents intervenants sur l'école. Il était également rappelé les différentes interventions de la directrice de l'école, en conflit avec M. D... comme il a été indiqué plus haut, auprès de l'inspectrice pédagogique et en particulier les nombreux contacts qu'elle avait eus avec Mme A..., l'ancienne directrice de l'école élémentaire de Ligré de 2009 à 2015 pour évoquer la situation difficile à laquelle elle avait été confrontée au cours de cette même période.
5. S'il ressort en définitive de l'ensemble des pièces du dossier que la pratique enseignante de M. D... a pu donner lieu en 2015 à des critiques sévères de la part de sa hiérarchie, le rapport établi le 4 décembre 2015 de l'inspection alors diligentée pour " des gestes professionnels inappropriés envers certains élèves " relevant une prise de conscience de l'intéressé et " un changement d'attitude qui devait être conforté, consolidé et devenir pérenne ", les seuls éléments récents, rappelés au point précédent, réunis à la date du 7 décembre 2017 à laquelle a été prise la décision contestée, suggérant la réitération par cet enseignant de comportements contraires aux instructions données en 2015 ne sont pas d'une gravité suffisante pour justifier de sa suspension à titre conservatoire pour un délai de quatre mois, alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la conception stricte de cet enseignant en ce qui concerne les méthodes éducatives à mettre en oeuvre s'agissant des élèves qui lui ont été confiés ait été de nature à mettre ces derniers en danger.
6. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la requête, que le ministre de l'éducation nationale n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 13 mars 2018, le tribunal administratif d'Orléans a annulé l'arrêté du 7 décembre 2017 par lequel le recteur de l'académie d'Orléans-Tours a prononcé la suspension de fonctions de M. D... pour une durée de 4 mois.
Sur les frais de l'instance :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative, le versement à M. D... de la somme de 1000 euros au titre des frais de l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'éducation nationale est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à M. D... la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'éducation nationale et la jeunesse et à
M. E... D....
Délibéré après l'audience du 25 octobre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. B..., président assesseur,
- Mme Gélard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 14 novembre 2019.
Le rapporteur
O. B...Le président
H. Lenoir
Le greffier
R. Mageau
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°18NT01949 2