Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 février et 14 octobre 2020, M. E..., représenté par Me Leprince puis Me Arnal, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 30 janvier 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 29 octobre 2019 de la préfète de l'Orne prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an ;
3°) d'annuler l'arrêté du 25 novembre 2019 de la préfète de l'Orne décidant de l'assigner à résidence pour une durée de six mois ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, à titre principal, le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, et à titre subsidiaire, le versement à M. E... A... la même somme sur le seul fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
S'agissant de l'arrêté du 29 octobre 2019 prononçant une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an :
- l'arrêté est entaché d'une insuffisante motivation ;
- l'arrêté qui est fondé sur une décision portant refus de titre de séjour entachée d'illégalité est lui-même illégal ; la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour est, en effet, entachée d'incompétence, n'est pas motivée et est intervenue en l'absence d'un examen particulier de sa situation ; elle méconnaît également le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile car il justifie d'une présence en France considérable, vit avec sa fille de six ans scolarisée en France et qui est née A... la relation avec Mme B..., titulaire d'une carte de résident, qu'il a épousée en mars 2018 et car il a développé une relation intense avec les deux enfants de son épouse ; la décision lui refusant un titre de séjour méconnaît aussi l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant ; or l'autorité préfectorale n'a pas motivé sa décision au regard de la situation des trois enfants dont il contribue à l'entretien et à l'éducation ; cette décision méconnaît enfin, pour les mêmes motifs l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'arrêté méconnaît le III de l'article L. 511-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il vit depuis plus de 25 ans en France, a vécu des épreuves extrêmement douloureuses en y perdant un fils, et justifie de raisons humanitaires ;
- l'arrêté est intervenu en l'absence d'un examen particulier de sa situation ;
- l'arrêté méconnaît l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant ;
- l'arrêté méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'arrêté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
S'agissant de l'arrêté du 25 novembre 2019 portant assignation à résidence :
- l'arrêté est entaché d'incompétence ;
- l'arrêté est entaché d'une insuffisante motivation ;
- l'arrêté qui est fondé sur une décision portant refus de titre de séjour et une interdiction de retour sur le territoire français qui sont entachées de plusieurs illégalités évoquées ci-dessus est lui-même illégal ;
- l'arrêté est entaché d'une erreur d'appréciation car il n'existe aucun risque de soustraction à la mesure d'éloignement ;
- l'arrêté méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est disproportionné dans ses effets car il est astreint à une obligation de pointage quotidienne y compris les dimanches et jours fériés ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 février 2021, le préfet de l'Orne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coiffet,
- et les observations de Me Arnal, représentant M. E....
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., ressortissant haïtien né le 15 février 1972 à Thomonde (Haïti), a déclaré être entré irrégulièrement sur le territoire français, en Guadeloupe, le 19 juin 1995. Il est constant qu'il a fait l'objet de mesures d'éloignement prises par le préfet de la Guadeloupe les 21 novembre 2007, 2 juillet 2013 et 18 septembre 2013. L'intéressé avait bénéficié d'une autorisation provisoire de séjour en sa qualité d'accompagnant d'enfant malade, valable du 31 août 2017 au 12 janvier 2018, date à laquelle son fils né le 16 novembre 2005 est décédé. Saisie le 15 février 2018 d'une demande d'admission exceptionnelle au séjour, la préfète de l'Orne a pris à l'encontre de l'intéressé, par un arrêté du 5 décembre 2018, une décision l'obligeant à quitter le territoire dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination. Eu égard à ses motifs, l'arrêté a été regardé comme rejetant également la demande de titre de séjour sollicité. Le recours de M. E... contre cet arrêté a été rejeté par un jugement n° 1900030 du tribunal administratif de Caen du 3 avril 2019. Le 16 septembre 2019, le requérant a sollicité un titre de séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Cette demande a été rejetée par la préfète de l'Orne par un arrêté du 29 octobre 2019 portant refus de titre de séjour. Par un arrêté du même jour, la préfète a prononcé à l'encontre du requérant une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an et, par un arrêté du 25 novembre 2019, l'a assigné à résidence pour une durée de six mois.
2. M. E... a, le 27 novembre 2019, saisi le tribunal administratif de Caen d'une demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés. Il relève appel du jugement du 30 janvier 2020 par lequel cette juridiction a rejeté sa demande.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation :
Sur la légalité de l'arrêté du 29 octobre 2019 prononçant une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an :
3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. Il ressort des pièces versées au dossier, en particulier de l'acte de naissance versé aux débats, d'une part, que le fils de M. E..., Jean-Nelson, né le 16 novembre 2005 à Paris, d'une relation avec Mme C..., a été reconnu par son père le 24 janvier 2008, le couple se séparant en 2009 et que l'intéressé a bénéficié d'une autorisation provisoire de séjour en tant qu'accompagnant d'enfant malade valable du 31 août 2017 au 12 janvier 2018, date du décès de son fils. D... part, M. E... a épousé, le 31 mars 2018, Mme G... B..., ressortissante haïtienne munie d'une carte de résident valable du 31 juillet 2018 au 30 juillet 2028, laquelle a attesté de l'existence d'une communauté de vie entre eux depuis 2016 et d'une relation affective avec le requérant depuis 2011. Mme B... et M. E... sont les parents d'une fille F..., née le 15 septembre 2012 en Guadeloupe et reconnue par M. E... le 11 février 2016. Il est établi qu'ils vivent tous les trois ainsi que les deux autres enfants de son épouse, nés d'une précédente union, depuis le mois d'août 2017 à Alençon où F... est scolarisée. M. E... justifie également, de façon suffisamment probante par les différentes attestations circonstanciées versées aux débats émanant du directeur de l'école, de médecins et de proches, de sa participation à l'éducation de son enfant ainsi qu'à celle des filles de son épouse. Dans ces conditions, M. E... est fondé à soutenir que l'arrêté contesté du 29 octobre 2019 a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels cette mesure a été prise. L'arrêté du 29 octobre 2019, qui méconnaît ainsi les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, doit être annulé. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. E... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 29 octobre 2019 prononçant une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
Sur la légalité de l'arrêté du 25 novembre 2019 portant assignation à résidence :
5. Aux termes de l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger justifie être dans l'impossibilité de quitter le territoire français ou ne peut ni regagner son pays d'origine ni se rendre dans aucun autre pays, l'autorité administrative peut, jusqu'à ce qu'existe une perspective raisonnable d'exécution de son obligation, l'autoriser à se maintenir provisoirement sur le territoire français en l'assignant à résidence, dans les cas suivants : 6° Si l'étranger doit être reconduit à la frontière en exécution d'une interdiction administrative du territoire. / La décision d'assignation à résidence est motivée. Elle peut être prise pour une durée maximale de six mois, renouvelable une fois dans la même limite de durée, par une décision également motivée (...) ".
6. En raison des effets qui s'y attachent, l'annulation pour excès de pouvoir d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, emporte, lorsque le juge est saisi de conclusions recevables, l'annulation par voie de conséquence des décisions administratives consécutives qui n'auraient pu légalement être prises en l'absence de l'acte annulé ou qui sont en l'espèce intervenues en raison de l'acte annulé. Il en va ainsi, notamment, des décisions qui ont été prises en application de l'acte annulé et de celles dont l'acte annulé constitue la base légale.
7. Ainsi qu'il a été dit plus haut, l'arrêté du 29 octobre 2019 prononçant une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an à l'encontre de M. E... est entaché d'illégalité. Il ne pouvait, en conséquence, servir de base légale à l'arrêté du 25 novembre 2019 l'assignant à résidence qui ne peut, par suite, qu'être annulé.
8. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. E... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté ses demandes tendant à l'annulation des arrêtés préfectoraux du 29 octobre 2019 et du 25 novembre 2019.
Sur les frais de l'instance :
9. M. E... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son conseil peut se prévaloir des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Arnal de la somme de 1200 euros, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement nos 1902697, 1902698 du 30 janvier 2020 du tribunal administratif de Caen et les arrêtés du 29 octobre 2019 et du 25 novembre 2019 de la préfète de l'Orne sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera la somme de 1200 euros à Me Arnal, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. H... E... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée pour information au préfet de l'Orne.
Délibéré après l'audience du 1er octobre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe de la juridiction, le 19 octobre 2021.
Le rapporteur
O. COIFFET Le président
O. GASPON
La greffière
P. CHAVEROUX
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 20NT00754 2