Par un jugement n° 1501822 du 1er juin 2017, le tribunal administratif de Caen a annulé les titres de perception émis le 10 juin 2015 à l'encontre de la société Inter Cuisines et rejeté le surplus des conclusions de la société.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 26 juillet 2017, la société Inter Cuisines, représentée par MeC..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 1er juin 2017 en tant qu'il a rejeté ses conclusions en annulation de la décision du 21 avril 2015 ;
2°) d'annuler cette décision du 21 avril 2015 ;
3°) d'annuler les titres de perception correspondants émis le 10 juin 2015 et de la décharger du paiement de la somme de 19 759 euros.
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision est entachée d'irrégularité dès lors qu'elle ne tient pas compte des observations que la société a adressées en temps utile à l'office ; les droits de la défense ont été méconnus ;
- la décision n'est pas suffisamment motivée ; les procès-verbaux ne constatent aucune réalisation d'infraction ou manquement de quelque nature que ce soit qui lui serait imputable ;
- le juge administratif a l'obligation de tirer les conclusions d'une décision de relaxe telle que celle rendue dans cette affaire par le juge pénal ;
- la décision est entachée d'erreur de fait ; il n'existe aucun lien de travail entre elle et M.A....
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 décembre 2017 l'office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par MeD..., conclut à l'annulation du jugement du 1er juin 2017 et au rejet de la demande de la société Inter Cuisines, et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société Inter Cuisines au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
L'instruction a été close au 25 septembre 2018, date d'émission d'une ordonnance prise en application des dispositions combinées des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Par lettre du 25 septembre 2018 les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions de la société Inter Cuisines tendant à l'annulation des titres de recettes, dirigées contre des décisions inexistantes comme ayant disparu de l'ordonnancement juridique à la suite de l'annulation de ces titres par le jugement attaqué.
La société Inter Cuisines a répondu à cette communication par un mémoire enregistré le 4 octobre 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Francfort, président-assesseur,
- et les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
Les faits :
1. A l'occasion du contrôle, le 6 décembre 2013, du chantier d'aménagement d'un restaurant à l'enseigne " Wok Sun " au centre commercial les Eléis à Cherbourg-Octeville, les services de police ont établi, selon procès-verbal dressé le jour même, que la société Inter Cuisines, qui livrait un équipement de climatisation sur ce chantier, employait un travailleur démuni de tout titre de séjour l'autorisant à exercer une activité salariée et à séjourner sur le territoire français.
2. Par courrier du 9 décembre 2014, l'office français de l'immigration et de l'intégration a informé la société Inter Cuisines des résultats de ce contrôle et invité la société, conformément aux articles R. 626-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et R. 8253-4 du code du travail, à présenter ses observations dans un délai de quinze jours. La société a adressé ses observations par courrier du 20 décembre 2014, reçu par l'office le 30 décembre suivant.
3. Par décision du 21 avril 2015, le directeur général de l'office français de l'immigration et de l'intégration a mis à la charge de la société la somme de 17 450 euros au titre de la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail et la somme de 2 309 euros au titre de la contribution forfaitaire représentative de frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine, visée à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Deux titres de perception ont été émis le 10 juin 2015 à l'encontre de la société Inter Cuisines pour le recouvrement de ces sommes.
4. Par la présente requête la société Inter Cuisines relève appel du jugement du 1er juin 2017 par lequel le tribunal administratif de Caen a annulé les titres de perception émis le 10 juin 2015 et rejeté les conclusions de la société Inter Cuisines tendant à l'annulation de la décision du 21 avril 2015.
Sur les conclusions de la requête tendant à l'annulation des titres de recettes :
5. Par l'article 1er du jugement attaqué le tribunal administratif de Caen a annulé les titres de recettes émis à l'encontre de la société Inter Cuisines. A défaut d'appel formé par l'office français de l'immigration et de l'intégration le jugement attaqué est définitif sur ce point. Les conclusions que maintient la société Inter Cuisines devant la cour relativement à l'annulation de ces titres concernent donc des décisions qui ont disparu de l'ordonnancement juridique avant l'enregistrement de la présente requête. Elles ne peuvent dès lors qu'être rejetées comme irrecevables.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 21 avril 2015 :
En ce qui concerne la procédure :
6. Les dispositions des articles R. 8253-3 du code du travail et R. 626-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoient que le directeur général de l'office français de l'immigration et de l'intégration indique à l'employeur, par lettre recommandée avec avis de réception ou par tout autre moyen permettant de faire la preuve de sa date de réception par le destinataire, que les dispositions des articles L. 8253-1 et L. 626-1 de chacun de ces codes sont susceptibles de lui être appliquées et qu'il peut présenter des observations dans un délai de quinze jours.
7. Il résulte de l'instruction que par courrier du 9 décembre 2014 la société Inter Cuisines a été avisée de ce que les contributions prévues par les dispositions qui viennent d'être mentionnées étaient susceptibles de lui être appliquées, et de ce qu'elle disposait d'un délai de quinze jours pour faire valoir ses observations par courrier.
8. Si la société a effectivement émis des observations sur les sanctions envisagées, lesquelles ont été reçues par l'office français de l'immigration et de l'intégration le 30 décembre 2014, le directeur général de l'office n'était tenu, dans la décision en litige du 21 avril 2015, ni de répondre aux arguments développés par la société ni même de rappeler la teneur de ses observations. Par suite la société Inter Cuisines n'est pas fondée à invoquer la méconnaissance des droits de la défense.
En ce qui concerne la motivation :
9. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 2° Infligent une sanction (...). ". Et selon les termes de l'article L. 211-5 de ce code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ".
10. La décision en litige vise notamment les articles L. 8251-1 et L. 8253-1 du code du travail, l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le procès-verbal d'infraction établi à l'encontre de la société le 6 décembre 2013 et se réfère à la lettre du 9 décembre 2013, qui mentionnait les faits reprochés, susceptibles de donner lieu au paiement de la contribution spéciale et de la contribution forfaitaire ; elle précise le nom du salarié en situation irrégulière concerné et le montant des sommes dues au titre de chacune de ces contributions.
11. Par ailleurs, le directeur général de l'office, qui n'avait pas, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, à se référer aux observations que la société avait fait valoir au préalable, a pu valablement se référer " au procès-verbal " établi à l'encontre de la société Inter Cuisines le 6 décembre 2013, alors même que les services de police ont établi à la date du contrôle plusieurs procès-verbaux, dès lors d'une part que l'office n'était pas tenu de communiquer à la société le procès-verbal en cause, sauf demande en ce sens, et d'autre part qu'il résulte de l'instruction que si différents procès-verbaux dressés à cette date relatent les constats, vérifications et auditions réalisés, les éléments ainsi réunis ont notamment donné lieu à un procès-verbal dont l'auteur mentionne " avoir ouvert une enquête préliminaire pour des faits de travail dissimulé, emploi d'étranger sans titre de travail, aide à séjour irrégulier d'un étranger en France ". Ce dernier procès-verbal constitue ainsi le procès-verbal, constatant l'infraction aux dispositions de l'article L. 8251-1 du code du travail, dont la transmission au directeur général de l'office est prévue par l'article L. 8271-17 du même code.
12. Ainsi, la décision litigieuse comportant les éléments de droit et de fait qui en constituent le fondement, le moyen tiré de son insuffisante motivation manque en fait.
En ce qui concerne l'autorité de la chose jugée au pénal :
13. Si les faits constatés par le juge pénal et qui commandent nécessairement le dispositif d'un jugement ayant acquis force de chose jugée s'imposent à l'administration comme au juge administratif, la même autorité ne saurait s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tiré de ce que les faits reprochés ne sont pas établis, de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité ou de ce qu'ils ne sont pas passibles de sanction en l'absence d'élément intentionnel.
14. Par suite la société requérante n'est pas fondée à invoquer le jugement du tribunal correctionnel de Cherbourg du 9 juin 2015 par lequel elle a été relaxée des faits de travail dissimulé et d'emploi irrégulier d'un travailleur étranger en France au motif " qu'il [n'était] pas établi que le gérant de la société avait eu sciemment recours aux services d'une personne étrangère pour accompagner son salarié à l'occasion d'une livraison d'éléments de cuisine ".
En ce qui concerne le bien-fondé des sanctions :
15. Il résulte de l'instruction et notamment du procès-verbal établi le 6 décembre 2013 que les services de police ont constaté la présence, sur la sortie arrière donnant accès au quai de livraison d'un restaurant dont ils contrôlaient le chantier d'aménagement, de deux personnes qui s'apprêtaient à décharger du matériel d'une fourgonnette. Il s'agissait de M. F...B...et M. E...A.... M. B...s'est avéré être salarié, en situation régulière, de la société Inter Cuisines. M.A..., ressortissant chinois, a présenté une attestation de dépôt de dossier de demande de titre de séjour en date du 7 mai 2013, qui comportait la mention manuscrite d'une prolongation en réalité non inscrite au fichier des étrangers. Il était donc dépourvu de titre de séjour l'autorisant à travailler en France.
16. Du procès-verbal d'audition de M.B..., il ressort que ce dernier a fait le trajet de Vitry-sur-Seine jusqu'à Cherbourg avec M. A...et qu'ils avaient tous deux déjà effectué la veille au soir une partie de la livraison du matériel destiné à la société Wok Sun. M. B...a également indiqué avoir financé l'hébergement de M. A...à l'hôtel, en payant cette nuitée grâce à la carte bancaire de la société Inter Cuisines.
17. Durant son audition M.A..., qui était en possession des clés du chantier, a admis être le propriétaire de la tenue de travail qui se trouvait dans la camionnette. S'il a soutenu avoir profité du voyage proposé par M. B...pour visiter la région, il a reconnu dans le même temps être démuni de ressources suffisantes pour assurer sa subsistance.
18. Compte-tenu de l'ensemble de ces éléments, la société Inter cuisines doit être regardée comme ayant irrégulièrement employé, au sens de l'article L. 8251-1 du code du travail, M.A....
19. Si la société Inter Cuisines soutient que son gérant ignorait la présence de M. B... sur le chantier le jour du contrôle, celui-ci ayant été recruté par un de ses salariés, cette circonstance, à la supposer établie, n'est pas de nature à exonérer la société de sa responsabilité dans les faits reprochés au motif de la bonne foi de son gérant, dès lors que ce dernier dispose d'un pouvoir de direction de la société et est responsable des actes commis par ses salariés dans l'exercice de leurs fonctions.
20. Il résulte de ce qui précède que la société Inter Cuisines n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de la décision du 21 avril 2015 du directeur général de l'office français de l'immigration et de l'intégration.
Sur les conclusions de l'office français de l'immigration et de l'intégration tendant à l'annulation du jugement attaqué :
21. Si l'office a formellement conclut, au terme de son mémoire en défense, à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Caen du 1er juin 2017, il n'a présenté aucun moyen au soutien de cette demande. De telles conclusions, d'ailleurs en contradiction avec le reste de son argumentation, ne peuvent donc qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
22. D'une part les conclusions présentées par la société Inter Cuisines sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à l'encontre de l'Etat, qui n'est pas partie à la présente instance, ne peuvent qu'être rejetées.
23. D'autre part il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Inter Cuisines le versement à l'office français de l'immigration et de l'intégration d'une somme de 1 500 euros au même titre.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Inter Cuisines est rejetée.
Article 2 : Les conclusions incidentes de l'office français de l'immigration et de l'intégration sont rejetées.
Article 3 : La société Inter Cuisines versera à l'office français de l'immigration et de l'intégration une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Inter Cuisines et à l'office français de l'immigration et de l'intégration.
Délibéré après l'audience du 26 octobre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Francfort, président-assesseur,
- M. Pons, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 novembre 2018.
Le rapporteur,
J. FRANCFORTLe président,
H. LENOIR
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17NT02343