Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrés le 18 décembre 2020, M. B..., représenté par Me Neraudau, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il rejette sa demande d'annulation de l'arrêté de transfert aux autorités espagnoles ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de lui remettre une attestation de demandeur d'asile en procédure normale ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les meilleurs délais ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- il devait recevoir, lors de la présentation en pré-accueil ou en tout état de cause en temps utile, une information complète sur ses droits par écrit ;
- l'arrêté méconnaît l'article 13 du règlement n° 2016/679 du 27 avril 2016 dès lors que la prise d'empreintes a été prise sans respect de son droit à l'information et il ne s'est vu remettre aucune information orale sur la protection des données ;
- le préfet doit démontrer que l'entretien individuel dont il a bénéficié s'est déroulé dans des conditions prévues par l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 avec une personne qualifiée en droit national ;
- la mesure de transfert ne peut pas être exécutée en raison des mesures sanitaires prises par les autorités françaises et espagnoles ;
- le préfet a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des stipulations de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 dès lors qu'il n'est pas établi par le préfet que les procédures d'enregistrement et d'examen des demandes d'asile avaient repris en Espagne et que la situation dans ce pays ne permet pas de garantir sa prise en charge médicale et sociale.
Par deux mémoires, enregistrés les 15 février 2021 et 12 avril 2021, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 13 du règlement n° 2016/679 est inopérant ;
- les autres moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- le délai de transfert de M. B... est reporté au 9 avril 2022.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 novembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les observations de Me Dahani, substituant Me Neraudau, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant guinéen né le 14 août 1996, est entré, selon ses déclarations, en France le 29 février 2020 et a présenté, le 20 juillet 2020, une demande d'asile à la préfecture de la Loire-Atlantique. La confrontation des empreintes digitales de l'intéressé avec le fichier Eurodac a révélé qu'elles avaient été enregistrées en Espagne le 13 février 2020. Les autorités espagnoles, saisies le 21 juillet 2020 d'une demande de prise en charge en application du règlement UE n° 604/2013 du 26 juin 2013, ont accepté leur responsabilité le 31 juillet 2020. Par deux arrêtés du 11 septembre 2020, le préfet de Maine-et-Loire a décidé le transfert de M. B... aux autorités espagnoles et l'a assigné à résidence. M. B... relève appel du jugement du 9 octobre 2020 en tant que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté portant transfert.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Droit à l'information /1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment: /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée; /b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable (...); /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 (...) ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert;/e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune (...). Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les Etats membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux Etats membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement. / 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. ". Aux termes des dispositions de l'article 5 du même règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations, l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 citées au point précédent constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... s'est vu remettre, le 20 juillet 2020, lors de l'entretien individuel dont il a bénéficié avec les services de la préfecture et pendant lequel il a été assisté d'un interprète en langue soussou, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ainsi que le guide du demandeur d'asile, et qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées, rédigés en langue française qu'il a déclaré comprendre et sur lesquels il a apposé sa signature. Dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'administration l'aurait privé d'une garantie au motif que l'information qui lui a été donnée par les services préfectoraux aurait dû l'être dès son passage dans la structure de pré-accueil qui l'avait accueilli. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit à l'information du demandeur d'asile énoncé à l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.
5. En deuxième lieu, il ressort du résumé de l'entretien individuel produit en première instance et que l'intéressé a signé que M. B..., qui a reçu l'assistance d'un interprète qualifié en langue soussou, a eu la possibilité, lors de celui-ci, de faire part de toute information pertinente relative à la détermination de l'Etat responsable. Aucun élément du dossier n'établit que cet entretien conduit par un agent de la préfecture, qui doit être regardé comme ayant la qualité, au sens de l'article 5 précité du règlement n° 604/2013, de " personne qualifiée en vertu du droit national ", n'a pas été menée par une personne qualifiée. Si le résumé de l'entretien, signé par l'agent et revêtu du tampon de la préfecture de la Loire-Atlantique, ne permet pas de déterminer l'identité de l'agent ayant mené l'entretien, cette circonstance n'a pas privé le requérant de la garantie tenant à la possibilité de faire valoir toutes observations utiles. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté dans toutes ses branches.
6. En troisième lieu, les considérations relatives au contexte de pandémie du fait du virus de la Covid-19 sont, contrairement à ce que soutient M. B..., sans incidence sur la légalité de l'arrêté contesté mais relèvent de son exécution, le préfet disposant en tout état de cause, selon les cas, d'un délai de six à dix-huit mois pour ce faire. Dans ces conditions, la circonstance que les autorités espagnoles et françaises ont adopté des mesures de confinement et de couvre-feu et que les transferts en direction de l'Espagne seraient interrompus est sans incidence sur la légalité de l'arrêté portant transfert.
7. En quatrième et dernier lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Il résulte de ces dispositions que si le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 prévoit en principe qu'une demande d'asile est examinée par un seul État membre et que cet État est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application des critères d'examen des demandes d'asile est toutefois écartée en cas de mise en œuvre, soit de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un État membre, soit de la clause humanitaire définie par le paragraphe 2 de ce même article 17 du règlement. Cette faculté laissée à chaque État membre par l'article 17 de ce règlement est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
8. S'il fait valoir l'absence de garantie d'une prise en charge médicale en Espagne, M. B..., qui a indiqué lors de l'entretien du 20 juillet 2020 ne pas avoir de problèmes de santé, ne produit aucun document justifiant du fait qu'il souffrirait d'une pathologie rendant nécessaire une prise en charge médicale. Dans ces conditions, le préfet de Maine-et-Loire n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne se saisissant pas de la faculté d'instruire la demande d'asile en France que lui offrait l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.
9. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable (...) ". Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.
10. Alors que l'Espagne est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, M. B... n'établit pas, par les documents qu'il produit, que sa demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités espagnoles dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile ou qu'il encourt des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs,
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Par suite, sa requête, y compris ses conclusions relatives aux frais liés au litige, doit être rejetée.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera adressée pour information au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 3 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme C..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 septembre 2021.
La rapporteure, Le président,
F. C... O. GASPON
La greffière,
P. CHAVEROUX
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 20NT039714
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