Par une requête enregistrée le 3 décembre 2019, Mme F... Caranga, représentée par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1805881 en date du 4 octobre 2019 du tribunal administratif de Melun ;
2°) d'annuler la décision du 14 mai 2018 par laquelle le préfet du Val-de-Marne a refusé de faire droit à sa demande de regroupement familial au bénéfice de ses filles E... Cariaga et Daniza Nicole Cariaga ;
3°) d'enjoindre au préfet du Val-de-Marne d'autoriser le regroupement familial ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans un délai de 15 jours suivant la notification de la présente décision, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision contestée n'est pas suffisamment motivée en droit comme en fait ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation sur sa situation personnelle ;
- sa demande de regroupement familial n'était pas partielle, dès lors qu'elle est séparée de son mari ;
- elle n'a pas tenu compte de l'intérêt supérieur des enfants et méconnaît donc l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et les dispositions de l'article L. 411-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête a été communiquée au préfet du Val-de-Marne, qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de New York relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme Caranga, ressortissante philippine, née en septembre 1983, titulaire d'un titre de séjour, a demandé le 3 avril 2017 l'autorisation de faire bénéficier ses deux enfants nés en 2002 et 2003 du regroupement familial. Par une décision du 14 mai 2018, le préfet du Val-de-Marne a rejeté sa demande. Mme Caranga fait appel du jugement du 4 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur la légalité externe :
2. Il ressort de la décision en litige que celle-ci vise le livre du code de l'entrée et du séjour des étrangers relatif au regroupement familial dont elle fait application. Elle rappelle en outre le principe selon lequel le regroupement familial doit être demandé pour l'ensemble de la famille et indique que l'examen de la demande ne laisse pas apparaître d'éléments justifiant un regroupement partiel ou des motifs exceptionnels. La décision attaquée répond ainsi à l'obligation de motivation en droit et en fait telle qu'elle résulte notamment des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
Sur la légalité interne :
3. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial, par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans, et les enfants du couple mineurs de dix-huit ans ". Aux termes de l'article L. 411-2 de ce code : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. " Aux termes de l'article L. 411-3 de ce code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. " Aux termes de l'article L. 411-4 de ce code : " L'enfant pouvant bénéficier du regroupement familial est celui qui répond à la définition donnée au dernier alinéa de l'article L. 314-11. / Le regroupement familial est sollicité pour l'ensemble des personnes désignées aux articles L. 411-1 à L. 411-3. Un regroupement partiel peut être autorisé pour des motifs tenant à l'intérêt des enfants ". Enfin, aux termes des dispositions de l'article R. 4215 de ce code : " Outre les pièces mentionnées à l'article R. 4214, le ressortissant étranger produit, le cas échéant : / (...) 2° Lorsque le regroupement familial est demandé pour des enfants dont l'un des parents est décédé ou s'est vu retirer l'autorité parentale, l'acte de décès ou la décision de retrait ".
4. En premier lieu, Mme Caranga soutient que sa demande de regroupement familial n'était pas partielle dès lors que, si elle n'est pas en mesure de produire un jugement de divorce car une telle procédure n'existe pas aux Philippines, elle est séparée de son conjoint et a seule la charge des enfants. Elle ne l'établit toutefois pas en se bornant à produire un certificat établi le 7 février 2017 par le bureau municipal du développement et de l'aide sociale de la municipalité de Binmaley dont il ressort seulement que Mme Caranga et son époux vivent séparés " pour des raisons personnelles " et que celui-ci n'assume plus son rôle et ses obligations à l'égard de leurs deux enfants " depuis qu'il a une autre famille ", ce document, peu probant, n'étant corroboré par aucune autre pièce du dossier. En particulier, contrairement à ce que soutient la requérante, son époux n'a pas déclaré sous serment qu'ils étaient séparés mais a seulement donné son accord pour que leurs enfants rejoignent leur mère. Enfin, Mme Caranga ne produit aucune pièce justifiant que ses enfants vivent avec leur grand-père paternel et que son époux ne participe ni à leur éducation, ni à leur entretien. Dans ces conditions, le préfet du Val-de-Marne a pu, sans erreur de fait, estimer que la demande de regroupement familial de Mme Caranga, qui ne visait pas son époux, était une demande de regroupement partiel.
5. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit, il ne ressort pas des pièces du dossier que le mari de la requérante aurait perdu l'autorité parentale sur leurs filles ou même qu'il ne résiderait plus avec elle. Il en ressort au contraire que les filles du couple, âgées de 14 et 16 ans à la date de la décision contestée, ont toujours vécu aux Philippines après le départ de leur mère pour la France. Enfin, la requérante n'établit pas l'existence de motifs, tenant à la santé ou à la scolarité de ses enfants ou aux conditions de logement de la famille, qui justifieraient, une demande de regroupement partiel, au regard de l'intérêt de ses filles. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le préfet du Val-de-Marne a commis une erreur manifeste d'appréciation dans l'application des dispositions de l'article L. 411-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. En troisième lieu, qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant susvisée : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un refus d'autorisation de regroupement familial, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
7. Compte tenu de ce qui a été dit au point 5, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant susmentionné doit être écarté.
8. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, (...). Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
9. La requérante fait valoir qu'elle vit en France depuis onze ans et que sa mère, titulaire d'une carte de résident, y habite également. Il est toutefois constant que son éloignement de ses filles résulte de sa décision de s'installer en France et, ainsi qu'il a été dit, elle ne justifie pas que l'intérêt de ses filles est de la rejoindre en France. Dans ces conditions, Mme Caranga n'est pas fondée à soutenir que la décision litigieuse aurait porté une atteinte disproportionnée au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme Caranga n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 14 mai 2018 par laquelle le préfet du Val-de-Marne lui a refusé le bénéfice du regroupement familial pour ses deux enfants. Par voie de conséquence, ses conclusions accessoires aux fins d'injonction et d'astreinte et celles qu'elle présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme Caranga est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... Caranga et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Val-de-Marne.
Délibéré après l'audience du 1er octobre 2020 à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. Diémert, président-assesseur,
- M. A..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 novembre 2020.
Le rapporteur,
F. A...Le président,
J. LAPOUZADE
La greffière,
A. LOUNISLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°19PA03907 2