Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 13 décembre 2020, Mme E... B..., représentée par Me Evrard et Me Boscariol, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 15 octobre 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête ;
2°) d'annuler la décision du 28 mars 2019 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande tendant au changement de nom de ses enfants mineurs, D..., F... et C... A..., en celui de " A... B... " ;
3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de réexaminer sa demande dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal a considéré à tort qu'il n'y avait pas de risque d'extinction du nom de B... ; le choix de la descendance féminine de conserver le nom patronymique de " B... " en cas de mariage devait être pris en compte sauf à méconnaitre l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- en ne retenant pas un risque d'extinction du nom lorsqu'il n'existe plus que quelques personnes qui en sont porteuses, le garde des sceaux, ministre de la justice porte une atteinte disproportionnée aux droits et libertés des personnes.
La requête a été communiquée au garde des sceaux, ministre de la justice, qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Renaudin,
- et les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... B... a sollicité un changement de nom pour ses trois enfants mineurs, D... née le 23 février 2005, F... né le 26 avril 2008 et Honoré né le 28 juillet 2014, consistant à adjoindre à leur nom G... " A... " celui de " B... ". Par décision du 28 mars 2019, le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande. Mme B... a saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à l'annulation de cette décision. Par un jugement du 15 octobre 2020, dont elle fait appel, ce tribunal a rejeté sa demande.
2. Aux termes de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. / La demande de changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré. (...) ".
3. Le relèvement d'un nom, ou d'une partie d'un nom, afin d'éviter son extinction ne saurait s'appliquer à un nom d'usage mais suppose qu'il soit établi que le nom en cause a été légalement porté, par un ascendant de celui qui demande à changer de nom, ou par un collatéral, jusqu'au quatrième degré inclus. L'extinction d'un nom doit notamment être regardée comme établie lorsque le nom en cause n'a pu être transmis, ou risque manifestement de ne plus l'être, dans aucune autre branche collatérale de l'ascendant ou du collatéral dont le relèvement du nom est sollicité. Il appartient au demandeur d'apporter tous éléments de nature à justifier de son intérêt légitime à changer son nom par substitution ou adjonction du nom menacé d'extinction, et notamment de justifier qu'aucun descendant, jusqu'au quatrième degré, en ligne directe ou collatérale de l'aïeul dont il entend relever le nom, n'est susceptible de transmettre ce nom.
4. Mme B... a demandé le changement de nom de ses enfants G... " A... " en " A... B... " au motif du risque d'extinction du nom de " B... ". Le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande au motif de l'existence de nombreux porteurs du nom susceptibles de le transmettre. Si Mme B... demande à relever le nom de son père, Robert B..., en faveur de ses enfants, par adjonction, il ressort, en effet, de l'arbre généalogique qu'elle a produit, que son frère, Thomas B..., porte ce nom, ainsi que deux de ses oncles. Par ailleurs, dans les branches collatérales des frères de son grand-père, des cousins issus de germains portent également ce nom. Dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les choix de la descendance féminine de la famille, de conserver ou non le nom patronymique de " B... " en cas de mariage, ce nom ne peut être regardé comme menacé d'extinction au sens et pour l'application des dispositions précitées du deuxième alinéa de l'article 61 du code civil.
5. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Si, en tant que moyen d'identification personnelle et de rattachement à une famille, le nom d'une personne concerne sa vie privée et familiale, les stipulations précitées ne font pas obstacle à ce que les autorités compétentes de l'État puissent en réglementer l'usage, notamment pour assurer une stabilité suffisante de l'état civil.
6. Contrairement à ce que soutient Mme B..., si l'extinction du nom ou le risque manifeste d'extinction, lorsque personne n'est susceptible de transmettre le nom, doivent être établis par le demandeur pour justifier d'un intérêt légitime à changer de nom, la charge de cette preuve ne peut être regardée comme constituant une ingérence disproportionnée portant une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, au regard de l'intérêt public qui s'attache au respect des principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi.
7. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Sa requête d'appel doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à ce que les frais liés à l'instance soient mis, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 24 février 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- Mme Renaudin, première conseillère,
- M. Gobeill, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mars 2022.
La rapporteure,
M. RENAUDINLe président,
J. LAPOUZADE
La greffière,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA03920