Par un jugement n° 2001233/3-3 et n° 2001234/3-3 du 18 mai 2020, le Tribunal administratif de Paris a annulé les décisions par lesquelles le préfet de police a fixé le pays de destination, a enjoint au préfet de police de réexaminer la situation de M. et Mme F... et a rejeté le surplus des demandes des intéressés.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 19 juin 2020, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement n° 2001233/3-3 et n° 2001234/3-3 du 18 mai 2020 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter les demandes présentées par M. et Mme F... devant ce tribunal.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a annulé les décisions fixant le pays de destination comme méconnaissant les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Cour nationale du droit d'asile a relevé, dans sa décision du 20 novembre 2019, que les déclarations de M. et Mme F... étaient confuses et insuffisamment circonstanciées et que leurs allégations étaient imprécises ;
- ce n'est que devant le tribunal qu'ils ont opportunément produit des décisions des autorités judiciaires turques ;
- les pièces sur lesquelles s'est fondé le tribunal comportent des incohérences de nature à mettre en doute l'authenticité de ces pièces dont la valeur n'est, en tout état de cause, pas suffisamment probantes pour établir qu'à la date des décisions contestées, M. et Mme F... étaient personnellement et directement menacés de subir des peines et traitements inhumains ou dégradants au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 mars 2021, M. et Mme F..., représentés par Me D... E..., demandent à la Cour de rejeter la requête.
Ils soutiennent que les moyens soulevés par le préfet de police ne sont pas fondés.
Par deux décisions du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal judiciaire de Paris du 24 novembre 2020, M. et Mme F... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Par une ordonnance du 19 mars 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 6 avril 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme H...,
- et les conclusions de Mme Jimenez, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. F..., né le 10 septembre 1993, et Mme I... F..., née le 18 août 1993, ressortissants turcs, sont entrés en France en 2017, selon leurs déclarations. Ils ont déposé une demande d'asile dans le cadre des articles L. 741-1 et L. 741-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Cette demande a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) du 20 août 2018, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 20 novembre 2019. Par deux arrêtés du 20 décembre 2019, le préfet de police a prononcé à leur encontre une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par un jugement un jugement n° 2001233/3-3 et n° 2001234/3-3 du 18 mai 2020, le Tribunal administratif de Paris a annulé les décisions par lesquelles le préfet de police a fixé le pays de destination, a enjoint au préfet de police de réexaminer la situation de M. et Mme F... et a rejeté le surplus des demandes des intéressés. Le préfet de police relève appel de ce jugement en tant qu'il lui est défavorable.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
3. Pour annuler les décisions fixant le pays de destination contestées devant lui, le tribunal a relevé que les nouveaux éléments produits par M. et Mme F..., à savoir des copies de décisions judiciaires datant de janvier 2020, postérieures aux décisions de la CNDA intervenues le 20 novembre 2019, traduites par un traducteur assermenté, faisant état d'une perquisition domiciliaire chez le père de M. F... le 7 janvier 2020 sur réquisitions du parquet d'Araban du 6 janvier 2020 afin de les interpeller, des copies, émises les 9 et 14 janvier 2020, des mandats d'arrêt par contumace les concernant du 10 janvier 2017 et du 20 août 2018 pour " Aide et hébergement et propagande en faveur de la branche KCK du réseau terroriste armé PKK " et " délit d'aide en faveur du réseau terroriste armé dit le PKK par le biais de propagande et d'activité en faveur du réseau terroriste sous le toit du HDP " et une lettre d'un avocat du barreau de Gaziantep en charge de leur défense qui fait état de plusieurs perquisitions afin de les retrouver, permettaient d'avérer que les risques et les craintes, auxquels M. et Mme F... estimaient devoir être exposés en cas de retour en Turquie du fait de leurs situations, constituaient un obstacle à leur éloignement vers ce pays.
4. Toutefois, ainsi que le fait valoir le préfet de police, à défaut de présenter des garanties suffisantes, les copies de ces documents ne permettent pas d'établir de manière probante que M. et Mme F... font actuellement l'objet de recherches de la part des autorités turques et qu'ils encourent personnellement des risques de subir des traitements inhumains et dégradants en cas de retour en Turque. Il ressort ainsi des documents produits et, notamment, du mandat d'arrêt par contumace établi le 20 août 2018 à l'encontre de Mme F... qu'elle serait recherchée pour des faits d'" aide en faveur du réseau terroriste illégal armé dit PKK par le biais de propagande et d'activités en faveur du réseau terroriste sous le toit HDP ", ce délit ayant été commis à " Gazantiep et sa région " le " 15 juillet 2018 et avant ". Or, à cette date, il n'est pas contesté que Mme F... se trouvait sur le territoire français, l'intéressée ayant déclaré être entrée en France le 4 septembre 2017. Par ailleurs, le courrier du 10 janvier 2020 d'un avocat du barreau de Gazientep en charge de la défense de M. F..., à l'encontre duquel un mandat d'arrêt par contumace aurait été émis le 10 juillet 2017 pour le délit d'" aide et hébergement et propagande en faveur de la branche KCK du réseau terroriste armé dit PKK ", indique qu'à la suite de la perquisition de son domicile le 13 juillet 2017, une perquisition aurait eu lieu le 1er novembre 2019 puis une autre le 7 janvier 2020, alors que les autorités turques avaient été informées que M. F... se trouvait en France. Il ressort du procès-verbal établi le 7 janvier 2020 que cette dernière perquisition n'aurait pas permis de trouver des pièces à conviction. M. F... a, en outre, déclaré devant la CNDA que " les personnes qui ont été arrêtées dans le cadre de la perquisition simultanée qui l'a poussé à fuir le pays, ont été relâchés et continuent leurs activités, comme c'est le cas de son frère qui est retourné dans sa famille ". Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. et Mme F... ont présenté une demande de réexamen de leurs demandes d'asile au vu des documents qu'ils ont produits. Il suit de là que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a annulé, pour le motif susrappelé, les décisions fixant les pays de destination.
5. Il y a lieu, pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. et Mme F... tant en première instance qu'en appel.
6. En premier lieu, les décisions fixant le pays de destination critiquées ont été signées par Mme G... C..., adjointe au chef du 12ème bureau, qui bénéficiait à cette fin d'une délégation de signature du préfet de police en vertu de l'article 16 de l'arrêté n°2019-00939 du 11 décembre 2019 régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture de Paris du 11 décembre 2019. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire de ces décisions ne peut qu'être écarté.
7. En deuxième lieu, les décisions contestées visent l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Alors même qu'elles n'exposent pas tous les éléments relatifs à la situation individuelle de M. et Mme F..., elles font mention des décisions de l'OFPRA et de la CNDA rejetant leurs demandes d'asile et de ce que les intéressés n'établissent pas être exposés à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans leur pays d'origine ou dans leur pays de résidence habituelle où ils sont effectivement admissibles. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'insuffisante motivation des décisions critiquées ne peut qu'être écarté.
8. En troisième et dernier lieu, il ne ressort ni des termes des décisions contestées ni des pièces du dossier que le préfet de police n'aurait pas procédé à un examen de la situation personnelle de M. et Mme F.... Il suit de là que le moyen tiré de défaut d'examen particulier ne peut qu'être écarté.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé ses décisions du 20 décembre 2019 fixant le pays de destination. Il y a lieu, par voie de conséquence, d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement et de rejeter les demandes présentées par M. et Mme F... devant ce tribunal.
DECIDE :
Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement n° 2001233/3-3 et n° 2001234/3-3 du 18 mai 2020 du Tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : Les demandes présentées par M. et Mme F... devant le Tribunal administratif de Paris et dirigées contre les décisions fixant le pays à destination duquel ils peuvent être reconduits sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. A... F... et Mme B... I... F....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 26 mai 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- M. Magnard, premier conseiller,
- Mme H..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 juin 2021.
Le rapporteur,
S. H...Le président,
I. BROTONS
Le greffier,
S. DALL'AVA
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA01483