Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 8 avril 2021, la préfète du Val-de-Marne demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement n° 2102184 du 30 mars 2021 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Melun ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant ce tribunal.
Elle soutient que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a annulé son arrêté du 10 février 2021 au motif qu'il avait été pris en méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013.
La requête de la préfète du Val-de-Marne a été transmise à la dernière adresse connue de M. A..., qui n'a pas produit en défense.
Par une ordonnance du 26 mai 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 9 juin 2021 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Bonneau-Mathelot a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant pakistanais, s'est présenté au guichet unique des demandeurs d'asile le 11 janvier 2021 aux fins d'enregistrement d'une demande de protection internationale. Par un arrêté du 10 février 2021, la préfète du Val-de-Marne a décidé son transfert aux autorités italiennes, considérées comme responsables de l'examen de sa demande d'asile. La préfète du
Val-de-Marne relève appel du jugement du 30 mars 2021 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Melun a annulé cet arrêté.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 :
" 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent (...) ; / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères (...) ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées (...) ; / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend (...) ; / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune ainsi (...), contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. (...) ". Aux termes de l'article 5 du même règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...). / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations, l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de ces informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 citées au point précédent constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
4. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou s'il a privé les personnes intéressées par ces actes d'une garantie. L'obligation de remise à l'intéressé du document d'information prévu par les dispositions citées au point du présent arrêt est constitutive d'une garantie. Par suite, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un tel moyen à l'appui de conclusions dirigées contre un refus d'admission au séjour au titre de l'asile, d'apprécier si l'intéressé a été, en l'espèce, privé de cette garantie ou, à défaut, si cette irrégularité a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de cette décision.
5. Pour annuler l'arrêté contesté devant lui, le tribunal a estimé que M. A... avait été privé de la garantie prévue par l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors qu'il n'était pas établi, en l'absence de pièce probante portant sur le contenu de la prestation d'interprétariat effectuée le jour de l'entretien individuel, soit le 11 janvier 2021, information que seule l'administration était en mesure de produire, que M. A... avait bénéficié à cette occasion d'une traduction orale intégrale par cet interprète des brochures " A " et " B ". Le tribunal a relevé que l'attestation de l'association ISM Interprétariat relative à la prestation d'interprétariat, document que seule l'administration était en mesure de produire et qui comporte notamment la durée de la prestation d'interprétariat, faisait partie des éléments permettant d'établir la conviction du juge que la traduction " intégrale " avait été effectivement réalisée et de s'assurer de la bonne exécution de l'application des articles 4 et 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 comme en ce qui concerne la production des brochures.
6. Toutefois, s'il est constant que les brochures " A " et " B ", qui constituent la brochure commune prévue par les dispositions du paragraphe 3. de l'article 4 précité du règlement du 26 juin 2013 contenant l'intégralité des informations prévues au paragraphe 1. de ce même article, ont été remises en mains propres à M. A... en langue française, dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il la comprenait, à défaut de version officielle traduite en langue penjâbi, il ressort de la page de garde de chacune de ces brochures, ainsi qu'il est précisé par une mention manuscrite apposée sous le cachet du pôle asile de la préfecture du Val-de-Marne, de la signature de M. A... et de la date du 11 janvier 2021, qu'elles lui ont été intégralement lues en langue penjâbi par un interprète de l'agence ISM Interprétariat. Il ressort, par ailleurs, des mentions, qui ont été reportées sous la rubrique " Observations " du compte-rendu de l'entretien individuel, que les " brochures A et B en langue française, [ont été] intégralement lues en langue penjâbi par l'interprète " et que M. A..., assisté de cet interprète, qui a pu utilement formuler toute observation quant à la situation des membres de sa famille sur le territoire des Etats membres de l'Union européenne et des Etats associés et à de précédentes demandes d'asile notamment, a déclaré avoir compris la procédure engagée à son encontre et certifié sur l'honneur l'exactitude des renseignements délivrés, la remise de l'information sur les règlements communautaires et avoir été informé des conséquences de fausses déclarations. Il ne ressort, en tout état de cause, d'aucune mention apposée sur les brochures " A " et " B " ainsi que sur le compte-rendu de l'entretien individuel que M. A... aurait formulé des réserves indiquant qu'il n'aurait pas compris tout ou partie des informations ainsi portées à sa connaissance ni que la durée de l'entretien aurait été insuffisante pour comprendre ses droits. Au vu de l'ensemble de ces éléments précis et concordants, la préfète du Val-de-Marne est fondée à soutenir, alors, au demeurant, que la traduction intégrale des brochures " A " et " B " n'est pas imposée par les dispositions précitées de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui ne prévoient pas davantage une durée minimale pour la prestation d'interprétariat et pour la traduction des brochures " A " et " B ", que c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur le motif
sus-rappelé pour annuler son arrêté.
7. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal.
Sur les autres moyens soulevés par M. A... :
8. En premier lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 :
" (...). / 2. (...). / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. / " ...) ".
9. M. A..., qui fait valoir que, placé en rétention en Italie, il n'a pas été informé de la procédure engagée à son encontre et de ses droits et n'a pas été convoqué à un entretien avec un agent de l'Etat italien, doit être regardé comme invoquant des défaillances systémiques dans la procédure d'asile en méconnaissance des dispositions de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. L'Italie étant membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois, M. A... ne produit aucun élément propre à sa situation particulière dont il résulterait que son dossier ne serait pas traité par les autorités italiennes, et non par les autorités allemandes auprès desquelles M. A... n'a pas sollicité l'asile, dans des conditions répondant à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
10. En second lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
11. Toutefois, l'arrêté en litige ne prononce pas l'éloignement de M. A... à destination de l'Afghanistan, mais seulement son transfert vers l'Italie. Si M. A... a soutenu en première instance que son retour en Afghanistan, où sa vie est menacée, paraissait certain en cas de transfert en Italie dès lors qu'il ne pouvait se prévaloir d'aucune vie privée et familiale dans cet Etat, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'Italie, Etat membre de l'Union européenne, qui est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, éloignera M. A... à destination de l'Afghanistan, sans procéder, préalablement, à une évaluation des risques auxquels il serait exposé en cas d'exécution d'une telle mesure d'éloignement.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Val-de-Marne est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Melun a annulé son arrêté du 10 février 2021, lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. A... dans le délai de deux mois suivant la notification du jugement et de lui renouveler, dans l'attente, son attestation de demande d'asile. Il y a lieu, par voie de conséquence, d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement et de rejeter les conclusions aux fins d'annulation et d'injonction présentées par M. A... devant ce tribunal.
DECIDE :
Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement n° 2102184 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Melun sont annulés.
Article 2 : Les conclusions aux fins d'annulation et d'injonction présentées par M. A... devant le Tribunal administratif de Melun sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... A....
Copie en sera adressée à la préfète du Val-de-Marne.
Délibéré après l'audience du 29 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Platillero, président,
- M. Magnard, premier conseiller,
- Mme Bonneau-Mathelot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 octobre 2021.
Le rapporteur,
S. BONNEAU-MATHELOTLe président-assesseur,
En application de l'article R. 222-26 du code
de justice administrative
F. PLATILLERO
Le greffier,
I. BEDR
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA01795