Par une ordonnance du 25 avril 2017, le président de la 3ème chambre du Tribunal administratif de Melun a décidé qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité posée par M.B....
Par un jugement n° 1700067/3 du 31 janvier 2019, le Tribunal administratif de Melun a rejeté la demande en décharge de M.B....
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 26 mars 2019, M.B..., représenté par Me A...D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Melun du 31 janvier 2019 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions litigieuses ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il ne peut être considéré comme ayant disposé de la drogue et du véhicule saisis en sa possession ;
- conformément au principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques, il ne peut pas être taxé à hauteur de la valeur de ces biens ;
- les premiers juges ont méconnu le jugement du Tribunal correctionnel de Bayonne.
Par un mémoire distinct, enregistré 27 mars 2019, M. B...demande à la Cour de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts au regard des principes d'égalité devant les charges publiques et de nécessité et de proportionnalité des peines.
Il soutient que :
- la disposition contestée est applicable au litige ;
- le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé sur la conformité de cette disposition aux droits et libertés garantis par la Constitution ;
- l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts méconnait les principes d'égalité devant les charges publiques et de nécessité et de proportionnalité des peines ;
- les questions posées ont un caractère sérieux.
Le président de la 2ème chambre de la Cour a, en application des dispositions de l'article R. 611-8 du code de justice administrative, dispensé la présente requête d'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 ;
- l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le décret n° 2010-148 du 16 février 2010 portant application de la loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution ;
- le code pénal ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Magnard,
- et les conclusions de M. Cheylan, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. A la suite de la mise en oeuvre de la procédure de présomption de revenus prévue à l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, l'administration fiscale a assigné à
M.B..., par une proposition de rectification du 7 novembre 2013, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre de l'année 2012 ainsi que la majoration de 80 % prévue au dernier alinéa de l'article 1758 du même code. M. B...relève appel du jugement du 31 janvier 2019 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande en décharge de ces impositions.
2. Aux termes de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige : " 1. Lorsqu'il résulte des constatations de fait opérées dans le cadre d'une des procédures prévues aux articles 53, 75 et 79 du code de procédure pénale et que l'administration fiscale est informée dans les conditions prévues aux articles L. 82 C, L. 101 ou L. 135 L du livre des procédures fiscales qu'une personne a eu la libre disposition d'un bien objet d'une des infractions mentionnées au 2, cette personne est présumée, sauf preuve contraire appréciée dans le cadre des procédures prévues aux articles
L. 10 et L. 12 de ce même livre, avoir perçu un revenu imposable équivalent à la valeur vénale de ce bien au titre de l'année au cours de laquelle cette disposition a été constatée / La présomption peut être combattue par tout moyen et procéder notamment de l'absence de libre disposition des biens mentionnés au premier alinéa, de la déclaration des revenus ayant permis leur acquisition ou de l'acquisition desdits biens à crédit / Il en est de même des biens meubles qui ont servi à les commettre ou étaient destinés à les commettre / (...) / 2. Le 1 s'applique aux infractions suivantes : / a. crimes et délits de trafic de stupéfiants prévus par les articles 222-34 à 222-39 du code pénal / (...) ". Aux termes de l'article 222-36 du code pénal : " L'importation ou l'exportation illicites de stupéfiants sont punies de dix ans d'emprisonnement et de 7 500 000 euros d'amende / (...) ", et aux termes de l'article 222-37 du même code : " Le transport, la détention, l'offre, la cession, l'acquisition ou l'emploi illicites de stupéfiants sont punis de dix ans d'emprisonnement et de 7 500 000 euros d'amende / (...) ". Aux termes de l'article L. 76 AA du livre des procédures fiscales : " 1. Lorsque les agents des impôts sont informés pour un contribuable de la situation de fait mentionnée à l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, ils peuvent modifier la base d'imposition sur le fondement des présomptions établies par cet article / (...) ".
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
3. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ".
4. Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique n° 2009-1523
du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État... le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office. ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance :
" La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'État ... ".
5. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que la cour administrative d'appel, saisie d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.
6. M.B..., poursuivi pénalement pour avoir importé de manière illicite des stupéfiants et imposé à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales au titre de l'année 2012 sur le fondement de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, soutient que ces dernières dispositions portent atteinte aux principes d'égalité devant les charges publiques et de nécessité et de proportionnalité des peines garantis respectivement par les articles 13 et 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.
7. Le principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques prévu par les dispositions de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit. Par les dispositions précitées de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, le législateur a entendu déroger aux modalités de droit commun de détermination du revenu imposable dans le but de lutter contre la fraude fiscale issue de la criminalité en établissant une présomption de revenu égale, soit à la valeur vénale des biens objets de l'infraction ou servant à sa réalisation, soit des sommes d'argent qui sont le produit direct de l'infraction dans la mesure où le trafiquant est présumé avoir perçu un revenu équivalent à la valeur des biens illicites pour s'en porter acquéreur. Si les dispositions législatives précitées instituent une différence de traitement, elles sont en rapport avec l'objet de la loi et prévoient la possibilité pour le contribuable d'apporter une preuve contraire de nature à remettre en cause la présomption de revenus établie par l'administration. Ce faisant, elles ne sauraient être regardées comme méconnaissant le principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques.
8. Aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ". Si les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition, la taxation à l'impôt sur le revenu prévue par l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts n'institue pas une sanction ayant le caractère de punition. En tout état de cause,
M.B..., qui invoque un cumul de sanctions, ne saurait valablement soutenir que les modalités litigieuses d'imposition constitueraient, avec les sanctions douanières et pénales pour importation et trafic de stupéfiant, la sanction d'une même infraction.
9. Il n'y a dès lors pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité posée par M.B..., qui est dépourvue de caractère sérieux.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
10. Il résulte de l'instruction que 134,78 kilogrammes de résine de cannabis ont été saisis le 27 avril 2012, dans le cadre d'une enquête de flagrance menée par les services des douanes de Bayonne, dans le véhicule conduit par M. B...à la suite de son interpellation à Urrugne (Pyrénées-Atlantiques) le 26 avril 2012 à 23 heures 15, et que l'intéressé était seul à bord du véhicule. Par un jugement du 11 juillet 2013, dont il ne résulte pas de l'instruction qu'il ne serait pas devenu définitif, le Tribunal correctionnel de Bayonne, statuant sur le fond de l'action publique, a condamné M. B...pour des faits d'importation, de transport, d'acquisition et de détention des produits stupéfiants ainsi saisis, le tribunal ayant considéré que les faits reprochés à l'intéressé étaient établis. Les délits d'importation, de transport, d'acquisition et de détention de stupéfiants étant prévus aux articles 222-36 et 222-37 du code pénal, auxquels renvoie le 2. de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, l'administration fiscale a mis en oeuvre la présomption prévue à cet article, selon laquelle M. B...a perçu un revenu imposable égal à la valeur des produits stupéfiants saisis le 27 avril 2012.
11. Les dispositions précitées de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts créent une présomption de revenus correspondant à la valeur des produits stupéfiants, objets d'infractions, dont le contribuable a eu la disposition au cours de l'année d'imposition. La mise en oeuvre de cette présomption simple implique seulement que le contribuable ait eu la disposition des substances illicites. M. B...qui était seul en possession de ces produits lors de son interpellation, et qui a été, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, reconnu coupable des faits d'importation, d'acquisition et de détention des produits en cause, doit être regardé comme ayant eu au sens de la loi fiscale la disposition de ces produits. En appliquant à l'intéressé la présomption susmentionnée, l'administration et les premiers juges n'ont pas méconnu l'autorité de la chose jugée attachée aux constatations de fait du juge pénal, sans que l'intéressé puisse utilement, en l'absence de tout autre élément de nature à renverser ladite présomption, se borner à faire valoir qu'il n'était qu'un simple passeur.
12. Enfin, M. B...fait valoir que conformément au principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques, il ne peut pas être taxé à hauteur de la valeur de ces biens. Une telle argumentation revient à contester la constitutionnalité des dispositions législatives en vigueur et ne peut être développée que dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité. Elle a été d'ailleurs analysée dans ce cadre et écartée aux points 7. et 8. du présent arrêt.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que le requérant demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat, à fin de saisine du Conseil constitutionnel, la question portant sur la conformité à la Constitution des dispositions figurant l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts.
Article 2 : Les conclusions de la requête de M. B...sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...B....
Copie en sera adressée au ministre de l'action et des comptes publics et au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris.
Délibéré après l'audience du 12 juin 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- Mme Appèche, président assesseur,
- M. Magnard, premier conseiller.
Lu en audience publique le 26 juin 2019.
Le rapporteur,
F. MAGNARDLe président,
I. BROTONS
Le greffier,
P. LIMMOIS
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA01154