Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire rectificatif, enregistrés le 2 et le 9 août 2019, M. B..., représenté par Me F..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1708942 du 11 juin 2019 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 200 000 euros au titre de son préjudice moral et la somme de 200 000 euros au titre des troubles dans ses conditions d'existence ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges, pour rejeter sa demande, se sont fondés sur la circonstance qu'il n'avait pas vécu dans un camp de harkis ;
- en ne prenant aucune disposition pour lui assurer un accueil décent alors même qu'il avait été victime de violences perpétrées par les autorités algériennes, l'Etat français a manqué à ses obligations ;
- les tortures subies en Algérie et l'extrême précarité de ses conditions d'existence après son arrivée en France sont à l'origine d'un préjudice moral ;
- les séquelles physiques des mauvais traitements endurés sont à l'origine de troubles dans les conditions d'existence.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 octobre 2020, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la juridiction administrative est incompétente pour connaitre des conclusions en lien avec l'abandon des harkis par la France ;
- les conclusions indemnitaires sont nouvelles en appel ;
- la créance est prescrite ;
- les allégations du requérant tenant aux conditions indignes de son accueil ont varié et elles sont invérifiables.
Par un mémoire enregistré le 27 octobre 2020, M. B... conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens.
Il soutient que :
- le refus de rapatrier les harkis n'est pas un acte de gouvernement ;
- les conclusions indemnitaires, qui ne sont pas nouvelles en appel sont recevables ;
- la créance n'est pas prescrite.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D... ;
- les conclusions de Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., né le 24 décembre 1937 en Algérie, a combattu en qualité de harki au sein des forces supplétives et assimilées ayant servi dans ce pays. Il a demandé que l'Etat soit condamné à réparer les préjudices résultant des violences perpétrées en Algérie après le cessez-le-feu du 18 mars 1962 et la proclamation de l'indépendance de l'Algérie le 5 juillet 1962 et de l'absence de mesures prises pour lui assurer un accueil décent après son arrivée en France. Il relève appel du jugement du 11 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Sur la faute commise par l'Etat en ne protégeant pas les harkis contre les violences subies par eux en Algérie :
2. M. B... soutient que les sévices et les mauvais traitements subis par lui en Algérie, après le 8 juillet 1962 et jusqu'à ce qu'il ait pu quitter le territoire de cet Etat ont été rendus possibles par le choix des autorités françaises d'abandonner à leur sort les hommes qui s'étaient battus pour lui. Cependant, les préjudices physiques et moraux qui en ont résulté pour lui ne sont pas détachables de la conduite des relations entre la France et l'Algérie et ne sauraient par suite engager la responsabilité de l'État sur le fondement de la faute. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont décliné la compétence de la juridiction administrative pour connaître des conclusions tendant à la réparation de préjudices liés à l'absence d'intervention de la France en Algérie pour protéger les anciens supplétifs de l'armée française.
Sur les conclusions relatives aux préjudices liés aux conditions d'accueil et de vie réservées sur le territoire français aux anciens supplétifs de l'armée française en Algérie et à leurs familles :
3. Si M. B... fait état de la situation d'abandon dans laquelle il a été laissé dès qu'il a été en mesure de rejoindre le territoire français, de l'absence de structures d'accueil qui l'a conduit à dormir dans la rue puis dans un foyer pour sans abri pendant plusieurs semaines, il ne produit à l'appui de ses dires que la déclaration en vue de la reconnaissance de la nationalité française qui mentionne l'adresse de l'hébergement du 69 rue du Château des Rentiers et des déclarations qu'il a lui-même faites à la presse. Ces éléments sont insuffisants pour permettre à la Cour de déterminer les conditions précises dans lesquelles M. B... a vécu après son arrivée en France, la durée de sa situation de précarité et d'apprécier l'existence d'une faute et l'étendue des préjudices pour lesquels il demande réparation.
4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir et l'exception de prescription quadriennale opposées par le ministre, que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. B... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Les conclusions de la requête de M. B... tendant à l'indemnisation des conséquences dommageables de l'abstention de la France à faire obstacle aux représailles et aux massacres dont les supplétifs de l'armée française en Algérie et leurs familles ont été victimes sur le territoire algérien après le cessez-le-feu du 18 mars 1962 et la proclamation de l'indépendance de l'Algérie le 5 juillet 1962 sont rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. C... B... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 3 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. E..., premier vice-président,
- M. D..., président assesseur,
- Mme Jayer, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2020.
Le rapporteur,
Ch. D...Le président,
M. E...
Le greffier,
N. DAHMANI
La République mande et ordonne à la ministre des armées, en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N° 19PA02574