Par une requête, enregistrée le 10 juin 2021, et un mémoire, enregistré le 28 décembre 2021, M. C..., représenté par Me Pigot, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2004158/2-3 du 12 novembre 2020 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler l'arrêté du 4 février 2020 du préfet de police ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer une carte de séjour "vie privée et familiale" dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans le même délai et sous la même astreinte et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué a été rendu en méconnaissance du principe du contradictoire ;
- la décision portant refus de titre de séjour est illégale en raison de l'irrégularité de l'avis du collège de médecins ;
- elle méconnait les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale en conséquence de l'illégalité du refus de séjour ;
- elle méconnait les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision fixant le Sénégal comme pays de destination méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 décembre 2021, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Paris du 28 avril 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les observations de Me Frydryszak substituant Me Pigot pour M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant sénégalais né le 5 décembre 1980, qui serait entré en France le 3 mars 2018, a sollicité le 20 janvier 2020 la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur. Par un arrêté du 4 février 2020, le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. C... relève appel du jugement du 12 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6. Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Aux termes de l'article R. 611-10 du même code : " Sous l'autorité du président de la chambre à laquelle il appartient et avec le concours du greffier de cette chambre, le rapporteur fixe, eu égard aux circonstances de l'affaire, le délai accordé aux parties pour produire leurs mémoires. (...) ". Aux termes de l'article R. 613-2 dudit code : " Si le président de la formation de jugement n'a pas pris une ordonnance de clôture, l'instruction est close trois jours francs avant la date de l'audience indiquée dans l'avis d'audience prévu à l'article R. 711-2. Cet avis le mentionne. (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier qu'alors que la clôture de l'instruction est intervenue trois jours francs avant la date de l'audience du tribunal administratif fixée le 22 octobre 2020, un mémoire en défense a été produit par le préfet de police le 16 octobre 2020 et a été communiqué le 20 octobre 2020 au conseil de M. C..., soit après cette clôture, en l'invitant à produire, le cas échéant, un mémoire en réplique " dans les meilleurs délais ". Pour autant, ces mentions n'ont pas eu pour effet de reporter la date de clôture de l'instruction. Dans ces conditions, en refusant d'accéder à la demande de renvoi du conseil du requérant alors que ce mémoire présentait une argumentation qui appelait le cas échéant une discussion de la part de ce dernier et sur laquelle les premiers juges se sont fondés, le tribunal a méconnu les exigences du caractère contradictoire de l'instruction. Par suite, M. C... est fondé à soutenir que le jugement attaqué est intervenu à la suite d'une procédure irrégulière et à en demander, pour ce motif, l'annulation.
4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de M. C... présentée devant le tribunal administratif de Paris.
Sur les conclusions à fins d'annulation de l'arrêté attaqué :
En ce qui concerne la légalité de la décision portant refus de titre de séjour :
5. Aux termes des dispositions alors en vigueur de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) / 11° À l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé (...) ". Aux termes des dispositions alors en vigueur de l'article R. 313-22 du même code : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. Les orientations générales mentionnées à la quatrième phrase du 11° de l'article L. 313-11 sont fixées par arrêté du ministre chargé de la santé. ". Aux termes de l'article R. 313-23 du même code, alors en vigueur : " (...) Le collège à compétence nationale, composé de trois médecins, émet un avis dans les conditions de l'arrêté mentionné au premier alinéa du présent article. (...) ".
6. L'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 précise que : " Au vu du rapport médical mentionné à l'article 3, un collège de médecins désigné pour chaque dossier dans les conditions prévues à l'article 5 émet un avis, conformément au modèle figurant à l'annexe C du présent arrêté, précisant: / a) si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale ; / b) si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; / c) si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont le ressortissant étranger est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; / d) la durée prévisible du traitement. Dans le cas où le ressortissant étranger pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, le collège indique, au vu des éléments du dossier du demandeur, si l'état de santé de ce dernier lui permet de voyager sans risque vers ce pays. / Cet avis mentionne les éléments de procédure. / Le collège peut délibérer au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle. / L'avis émis à l'issue de la délibération est signé par chacun des trois médecins membres du collège. ".
7. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que, préalablement à l'avis rendu par ce collège de médecins, un rapport médical, relatif à l'état de santé de l'intéressé, établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) doit lui être transmis, et que le médecin ayant établi ce rapport médical ne doit pas siéger au sein du collège de médecins qui rend l'avis transmis au préfet. En cas de contestation devant le juge administratif portant sur ce point, il appartient à l'autorité administrative d'apporter les éléments qui permettent l'identification du médecin qui a rédigé le rapport au vu duquel le collège de médecins a émis son avis et, par suite, le contrôle de la régularité de la composition dudit collège.
8. Il ressort des pièces du dossier que l'avis du collège de médecins du 8 janvier 2020 a été signé par les trois médecins composant le collège de médecins de l'OFII, au nombre desquels ne figurait pas le médecin ayant établi le rapport médical. Cet avis, qui au demeurant ne relève pas du champ d'application de l'article L. 212-3 du code des relations entre le public et l'administration relatif aux décisions de l'administration pouvant faire l'objet d'une signature électronique, comporte les noms lisibles des trois médecins qui l'ont rédigé et porte la mention " Après en avoir délibéré, le collège des médecins de l'OFII émet l'avis suivant ", cette mention du caractère collégial de l'avis faisant foi jusqu'à preuve du contraire. Si M. C... soutient que la signature des trois médecins présenterait un caractère irrégulier dès lors que le préfet de police a produit deux avis différents et qu'il n'est pas établi que le docteur D... ait réellement siégé au sein du collège sa signature n'apparaissant pas sur le premier avis produit, il ressort cependant des explications fournies par le préfet de police en première instance que les différences relevées sont consécutives à l'évolution du système informatique de formatage des signatures et des tampons des médecins membres du collège. En tout état de cause, le préfet de police a également produit une attestation établie le 12 octobre 2020 par le médecin coordonnateur de zone au service médical de l'OFII, dont il ressort que l'avis du 8 janvier 2020 a été établi après délibération d'un collège constitué de trois médecins, dont le docteur D.... Ainsi, aucun élément du dossier ne permet de douter que les trois médecins signataires, dont l'identité est précisée, n'auraient pas siégé au sein du collège de médecins de l'OFII et ne se seraient pas prononcés sur l'état de santé du requérant. L'avis a par conséquent été émis dans le respect des dispositions précitées des articles R. 313-22 et R. 313-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré du vice de procédure entachant l'arrêté du
4 février 2020 doit être écarté en toutes ses branches.
9. Il ressort de l'avis du 8 janvier 2020 du collège de médecins de l'OFII que l'état de santé de M. C... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'il peut bénéficier de soins appropriés dans son pays d'origine. S'il ressort des pièces du dossier - et notamment des ordonnances produites par le requérant - que ce dernier, atteint d'une pathologie cardiaque, souffre également de troubles psychiatriques, relève d'un traitement comprenant de l'Haldol, du Lepticur, du Nozinan, du Kardégic, du Cosimprel, du Tahor et de l'Artane, des documents produits par le préfet de police en première instance établissent que ces médicaments, ou des équivalents dont les principes actifs et molécules sont identiques à ceux délivrés à M. C... en France, sont disponibles au Sénégal, de même qu'il existe des structures médicales spécialisées en cardiologie et en psychiatrie susceptibles de lui fournir les suivis médicaux requis. La circonstance que le médecin prescripteur ait précisé, au demeurant dans une ordonnance postérieure à l'arrêté attaqué, que les médicaments prescrits à M. C... ne seraient pas substituables ne suffit pas, à elle seule et à défaut de précisions, à établir que l'intéressé ne pourrait ainsi pas bénéficier, dans son pays d'origine, du même traitement ou de tout autre traitement équivalent. Par suite, l'intéressé ne peut être regardé comme apportant des éléments susceptibles de remettre en cause l'appréciation à laquelle le préfet de police s'est livré à la suite de l'avis du collège de médecins de l'OFII. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit dès lors être écarté.
En ce qui concerne la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
10. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à exciper, à l'appui des conclusions dirigées contre la décision portant obligation de quitter le territoire français, de l'irrégularité de l'avis du collège de médecins de l'OFII et de l'illégalité du refus de séjour qui lui a été opposé.
11. Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) / 10° L'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) ".
12. En second lieu, pour les motifs exposés au point 9, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité de la décision fixant le pays de destination :
13. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".
14. Si M. C... fait valoir que son renvoi au Sénégal l'exposerait à un risque de traitements inhumains et dégradants compte tenu de son état de santé, ainsi qu'il a été dit au point 9 du présent arrêt, l'intéressé n'établit pas que le traitement dont il relève ne serait pas disponible dans son pays d'origine.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la demande formulée par M. C... devant le tribunal administratif de Paris tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 février 2020 du préfet de police doit être rejetée. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction tout comme celles présentées sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
D E C I D E:
Article 1er : Le jugement n° 2004158/2-3 du 12 novembre 2020 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Paris et le surplus des conclusions de sa requête devant la cour sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 25 janvier 2022 à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Marianne Julliard, présidente assesseure,
- Mme Marie-Dominique Jayer, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 février 2022.
La rapporteure,
M-D B...Le président,
I. LUBEN
Le greffier,
E. MOULIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°21PA03232 2