Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire ampliatif enregistrés les 14 juin 2019 et 8 juillet 2019, le préfet de police demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 6 mars 2019 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a estimé que son arrêté méconnaissait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et lui a enjoint, au vu du motif d'annulation, de délivrer à l'intéressé une attestation de demande d'asile en procédure normale ;
- les autres moyens soulevés par M. A... en première instance ne sont pas fondés.
Par un courrier du 9 mars 2021, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de relever d'office le non-lieu à statuer, dans la mesure où l'arrêté de transfert du 19 décembre 2018 n'est plus susceptible d'exécution (décision du Conseil d'État n° 420708 du 24 septembre 2018).
La requête a été communiquée à M. A..., qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission ;
- le règlement (UE) n°603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant afghan né en 1987, entré irrégulièrement sur le territoire français, a sollicité le 25 octobre 2018 son admission au séjour au titre de l'asile. La consultation du fichier " Eurodac " a révélé que ses empreintes digitales avaient été relevées par les autorités suédoises le 5 décembre 2015. Le préfet de police a saisi ces autorités d'une demande de reprise en charge le 6 novembre 2018. Les autorités suédoises ont donné leur accord le 19 novembre 2018, sur le fondement du d) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Le préfet de police a alors décidé, par un arrêté du 19 décembre 2018, de leur remettre
M. A.... Le préfet de police relève appel du jugement du 6 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté.
2. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
3. Pour considérer que l'arrêté en litige méconnaissait les stipulations précitées, le tribunal s'est fondé sur la circonstance que la demande d'asile de M. A... avait été définitivement rejetée par une décision de la cour d'appel des migrations de Stockholm, que les autorités suédoises avaient déjà procédé à l'éloignement forcé d'étrangers à destination de l'Afghanistan et qu'il existait une situation de violence généralisée en Afghanistan et particulièrement à Kaboul, seul point d'entrée du territoire afghan par voie aérienne depuis l'étranger, pour en déduire que sa remise aux autorités suédoises aurait pour conséquence un renvoi en Afghanistan, où il s'exposerait à un risque réel de traitements inhumains ou dégradants.
4. Toutefois, l'arrêté en litige a seulement pour objet de renvoyer l'intéressé en Suède, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et non dans son pays d'origine. M. A... ne produit aucun élément de nature à établir qu'il existerait des raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques en Suède dans la procédure de traitement des demandes d'asile. En tout état de cause, s'il soutient que sa demande d'asile a été définitivement rejetée en Suède et qu'il fera l'objet d'une mesure d'éloignement de la part des autorités suédoises, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que ces autorités, qui ont explicitement accepté le 19 novembre 2018 la demande de reprise en charge qui leur avait été adressée par les autorités françaises, n'évalueraient pas, avant de procéder à un éventuel éloignement, les risques auxquels il serait exposé en cas de retour en Afghanistan. Ainsi, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a retenu le moyen tiré de ce que l'arrêté méconnaitrait l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour annuler l'arrêté en litige.
5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Paris.
6. Le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou apatride fixe, à ses articles 7 et suivants, les critères à mettre en oeuvre pour déterminer, de manière claire, opérationnelle et rapide ainsi que l'ont prévu les conclusions du Conseil européen de Tempere des 15 et 16 octobre 1999, l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile. La mise en oeuvre de ces critères peut conduire, le cas échéant, à une demande de prise ou reprise en charge du demandeur, formée par l'État membre dans lequel se trouve l'étranger, dénommé " État membre requérant ", auprès de l'État membre que ce dernier estime être responsable de l'examen de la demande d'asile, ou " État membre requis ". En cas d'acceptation de ce dernier, l'État membre requérant prend, en vertu de l'article 26 du règlement, une décision de transfert, notifiée au demandeur, à l'encontre de laquelle ce dernier dispose d'un droit de recours effectif, en vertu de l'article 27, paragraphe 1, du règlement. Aux termes du paragraphe 3 du même article : " Aux fins des recours contre des décisions de transfert ou des demandes de révision de ces décisions, les États membres prévoient les dispositions suivantes dans leur droit national : / a) le recours ou la révision confère à la personne concernée le droit de rester dans l'État membre concerné en attendant l'issue de son recours ou de sa demande de révision (...) ". Aux termes de l'article 29, paragraphe 1, du règlement, le transfert du demandeur vers l'État membre responsable de l'examen de sa demande d'asile doit s'effectuer " dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de la prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 ". Aux termes du paragraphe 2 du même article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant ".
7. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre État peut faire l'objet d'un transfert vers l'État responsable de cet examen ". Aux termes du I de l'article L. 742-4 du même code : " L'étranger qui a fait l'objet d'une décision de transfert mentionnée à l'article L. 742-3 peut, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de cette décision, en demander l'annulation au président du tribunal administratif. / Le président ou le magistrat qu'il désigne à cette fin (...) statue dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine (...) ". En vertu du II du même article, lorsque la décision de transfert est accompagnée d'un placement en rétention administrative ou d'une mesure d'assignation à résidence notifiée simultanément, l'étranger dispose d'un délai de 48 heures pour saisir le président du tribunal administratif d'un recours et ce dernier dispose d'un délai de 72 heures pour statuer. Aux termes du second alinéa de l'article L. 742-5 du même code : " La décision de transfert ne peut faire l'objet d'une exécution d'office ni avant l'expiration d'un délai de quinze jours ou, si une décision de placement en rétention prise en application de l'article L. 551-1 ou d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 a été notifiée avec la décision de transfert, avant l'expiration d'un délai de quarante-huit heures, ni avant que le tribunal administratif ait statué, s'il a été saisi ". L'article L. 742-6 dudit code prévoit que : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé ".
8. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'État requis, et que ce délai recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, l'État requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.
9. Il résulte de tout ce qui précède que si le délai de six mois à compter de la décision d'acceptation des autorités suédoises, imparti à l'administration pour procéder au transfert de M. A..., a été interrompu par la saisine du tribunal administratif par l'intéressé, ce délai a recommencé à courir le 15 mai 2019, date à laquelle le préfet de police a reçu notification du jugement. Le préfet de police ne faisant état d'aucune prolongation de ce délai, ce dernier doit être regardé comme expiré au 15 novembre 2019. En conséquence, la décision de transfert, qui n'a fait l'objet d'aucune décision de prorogation et n'a pas été matériellement exécutée, est devenue caduque. La caducité de cette décision, qui est intervenue postérieurement à l'introduction de la requête du préfet de police devant la cour, a pour effet de priver d'objet la demande de M. A... en toutes ses conclusions. Par suite, il n'y a plus lieu d'y statuer.
D E C I D E:
Article 1er : Le jugement n° 1810916/8 du 2 août 2018 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de M. A... devant le tribunal administratif.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 18 mai 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Bernier, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Larsonnier, premier conseiller,
- Mme B..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 mai 2021.
Le rapporteur,
G. B...Le président de la formation de jugement,
Ch. BERNIER
Le greffier,
E. MOULIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°19PA01934
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