Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 2 août 2019, et un mémoire enregistré le 2 octobre 2020, M. H... représenté par Me G... C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 29 mai 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du ministre de l'économie et des finances du 20 juillet 2018 en tant qu'il le vise ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision n'est pas suffisamment motivée ;
- les faits imputés, qui reposent sur les indications d'une " note blanche " et non sur des éléments précis et vérifiables recueillis au terme d'une enquête, sont matériellement inexacts, peu probants ou entachés de contradictions ;
- la sanction prononcée sur la base des seules indications contenues dans cette note blanche porte atteinte au droit au procès équitable garanti par l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, aux principes de l'égalité des armes et du contradictoire, ainsi qu'à la présomption d'innocence ;
- les faits allégués ont donné lieu à une plainte pénale pour dénonciation calomnieuse ;
- la sanction est disproportionnée et entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la publication de la sanction au Journal Officiel l'expose à des représailles du groupe terroriste " Etat Islamique ".
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 décembre 2019, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête en sont pas fondés.
Vu :
- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la résolution 1540 (2004) du Conseil de sécurité des Nations unies du 28 avril 2004 ;
- la décision 2013/255/PESC du Conseil de l'Union Européenne du 31 mai 2013 concernant les mesures restrictives à l'encontre de la Syrie ;
- la décision d'exécution PESC du Conseil du 25 septembre 2017 mettant en oeuvre la décision 2013/255/PESC du Conseil de l'Union Européenne du 31 mai 2013 concernant les mesures restrictives à l'encontre de la Syrie ;
- le code monétaire et financier ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de Mme Péna, rapporteur public,
- et les observations de Me C... pour le requérant.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 20 juillet 2018, pris sur le fondement des articles L. 562-3 et suivants du code monétaire et financier, le ministre de l'économie et des finances a gelé les avoirs possédés, détenus ou contrôlés par M. H... pour une durée de six mois et a interdit pour la même durée que des fonds soient mis de manière directe ou indirecte à sa disposition.
M. H... relève appel du jugement du 29 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
2. L'ampliation de l'arrêté contesté cite les dispositions de l'article L. 562-3 du code monétaire et financier dont il est fait application et celles du point 2 de résolution 1540 (2004) du Conseil de sécurité des Nations unies du 28 avril 2004 relatif aux obligations qui incombent aux Etats pour prévenir notamment la mise au point d'armes chimiques. Elle se réfère à l'article 28 de la décision 2013/255/PESC du Conseil de l'Union Européenne du 31 mai 2013 susvisée qui prévoit que sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant à des personnes responsables de la répression violente exercée contre la population civile en Syrie, à des personnes et entités bénéficiant des politiques menées par le régime et à des personnes et entités qui leur sont liées, et à la décision d'exécution PESC du Conseil du 25 septembre 2017 qui désigne parmi ces entités le Centre d'études et de recherches syrien (CERS) présenté comme l'entité publique chargée du développement et de la production d'armes non conventionnelles, y compris d'armes chimiques. La décision indique que la société Electronic Katangi Trading ainsi que les sociétés affiliées sont depuis plusieurs années l'un des principaux réseaux d'entreprises fournisseuses du CERS en précurseurs d'armes chimiques et précise qu'au printemps 2016 la société a acheté à des fournisseurs chinois de l'hexamine et de l'isoprupanol en vue de les livrer au centre de recherches syrien. Elle relève que M. D... H..., associé de la société, a agi consciemment pour le compte et sur les instructions du CERS. Ainsi donc, le requérant qui pouvait à la seule lecture de la décision connaître les motifs de la mesure qui le frappe, n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté contesté serait insuffisamment motivé.
3. Pour prononcer la mesure contestée, le ministre de l'économie et des finances s'est fondé sur une " note blanche " versée au débat contradictoire, dont il ressort qu'au printemps 2016, la société Electronic H... Trading (EKT) a acheté à des fournisseurs chinois, par l'intermédiaire de la société chinoise EKT Smart Technology, de l'hexamine et de l'isopropanol, deux réactifs ou précurseurs utilisés stabiliser la réaction de synthèse du sarin, destinés au CERS. La " note blanche " présente le système de facilitateurs et de transitaires complaisants en France, en Chine, au Liban, aux Emirats Arabes Unis et en Syrie mis en place afin de financer l'acquisition et de fluidifier la logistique des opérations de fournitures au CERS. Parmi les entités impliquées, dirigées par des personnes assumant des responsabilités au sein de la société EKT ou agissant directement sur ordre ou pour le compte de ces personnes, figure la société Electronic System Group (ESG). La note précise que M. F... E..., dirigeant de la société ESG, se rend régulièrement au CERS pour y prendre les commandes auprès de son département des acquisitions. ESG passe ensuite les commandes auprès de fournisseurs étrangers par l'intermédiaire de la société chinoise EKT Smart Technology ou directement via la société EKT. Elle conclut que M. H..., en sa qualité de cofondateur et associé de la société EKT est en contact permanent avec ses frères, Amir et Maher H..., et Mohammed E... et qu'ayant lui-même multiplié les contacts avec des directeurs du CERS, il a parfaitement connaissance que certains biens commandés par ESG, par l'intermédiaire de la société chinoise EKT Smart Technology ou directement par EKT, sont destinés à la Syrie.
4. Aucune disposition législative ni aucun principe ne s'oppose à ce que des faits relatés par des notes blanches produites par le ministre, qui ont été versées au débat contradictoire, soient susceptibles d'être pris en considération par le juge administratif. La prise en compte de ces notes blanches, qui garantissent la confidentialité des sources, ne porte pas en elle-même atteinte au droit au procès équitable garanti par l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, au principe de l'égalité des armes ainsi qu'à la présomption d'innocence dès lors que, dans le cadre du débat contradictoire, le requérant peut utilement contester, ce qui est le cas en l'espèce, les éléments qu'elles contiennent et notamment leur exactitude matérielle, d'éventuelles contradictions ou leur imprécision.
5. Pour contester les éléments précis et circonstanciés figurant dans cette note,
M. H... se borne fait valoir que l'administration a confondu dans la motivation de l'arrêté la société EKT et son appellation commerciale NKtronics, ce qui est indifférent, que les autorités françaises n'auraient pas engagé de poursuites contre la société Smart Pegasus mentionnée dans la note blanche et que les mesures prises par les autorités américaines à son encontre reposeraient sur d'autres chefs, ce qui est également indifférent, et à faire état de deux plaintes contre X pour dénonciation calomnieuse qui ne comportent aucun élément concret sur les faits en cause et qui, au demeurant, n'ont pas abouti. Si le requérant affirme que le dossier est vide et qu'il repose sur des mensonges, il n'avance dans le cadre du débat contradictoire aucun élément dont il pourrait se déduire que l'administration s'est fondée sur des faits inexistants ou mal interprétés, ou sur des informations erronées. En particulier, les liens entretenus avec le régime syrien et à l'achat au printemps 2016 à une société chinoise de produits nécessaires à la fabrication d'armes chimiques, étrangers à l'activité de vente des fournitures électriques ou de matériels électroniques de sa société, ne sont pas utilement contredits, ni même sérieusement démentis. Dès lors, le moyen tiré de l'erreur de fait doit être écarté.
6. Compte tenu des éléments dont il fait état, le ministre de l'économie et des finances, en gelant les avoirs possédés, détenus ou contrôlés par M. H... pour une durée de six mois et en interdisant pour la même durée que des fonds soient mis de manière ou indirecte à sa disposition, n'a pas entaché sa décision d'erreur manifeste. La mesure n'est pas disproportionnée. Le requérant ne saurait faire valoir que la publication au Journal Officiel de l'arrêté portant gel de ses avoirs, ce qui l'exposerait à des représailles de l'organisation " Etat Islamique ", serait illégale de ce chef.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. H... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
8. Les conclusions aux fins d'annulation de l'arrêté ayant été rejetées, les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent l'être par voie de conséquence.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. H... est rejetée
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... I... H... et au ministre de l'économie et des finances.
Délibéré après l'audience du 6 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
M. B..., premier vice-président,
M. A..., président assesseur,
Mme Mornet, premier conseiller.
Lu en audience publique le 27 octobre 2020.
Le rapporteur,
Ch. A...Le président,
M. B...
Le greffier,
A. DUCHER
La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 10PA03855
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N° 19PA02583