Par un jugement n°1900423 du 26 janvier 2021, le Tribunal administratif de la Polynésie française a mis à la charge du CIVEN la somme de 2 535 000 francs CFP au titre de la réparation des préjudices subis par Mme B..., les frais d'expertise, ainsi que la somme de 100 000 de francs CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 26 avril et 10 novembre 2021, Mme C... B... épouse A..., représentée par Me Fidèle, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'ordonner un complément d'expertise afin d'évaluer les préjudices liés au déficit fonctionnel permanent et à l'état évolutif de la pathologie ;
2°) d'annuler ce jugement ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 18 193 850 francs CFP au titre de la réparation intégrale des préjudices subis, assortie des intérêts au taux légal, avec leur capitalisation ;
4°) de mettre à la charge du CIVEN la somme de 200 000 franc CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors que le mémoire du 28 octobre 2020 du CIVEN ne lui a pas été communiqué, de sorte que les droits de la défense ont été méconnus ;
S'agissant des préjudices avant consolidation :
- la perte de ses gains professionnels actuels s'élève à 2 400 000 francs CFP ;
- le déficit fonctionnel temporaire doit être évalué à la somme de 1 624 000 francs CFP (13 609 euros) ou, à tout le moins, à la somme de 1 005 355 francs CFP (8425 euros) ;
- les souffrances endurées, évaluées par l'expert à 3 sur une échelle allant jusqu'à 7, doivent être indemnisées à hauteur de 596 650 francs CFP (5 000 euros), ainsi que le proposait le CIVEN ;
- le préjudice esthétique temporaire, qualifié d'important par l'expert, doit être indemnisé à hauteur de 4 773 200 francs CFP ;
S'agissant des préjudices après consolidation :
- la perte de ses gains professionnels futurs s'élève à 7 200 000 francs CFP ;
- elle ne conteste pas le montant alloué au titre du préjudice esthétique permanent ;
- elle ne conteste pas le montant alloué au titre du préjudice sexuel ;
- le déficit fonctionnel permanent doit faire l'objet d'un complément d'expertise ;
S'agissant des préjudices en-dehors de toute consolidation :
- le préjudice permanent exceptionnel doit faire l'objet d'un complément d'expertise.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 juin 2021, le CIVEN conclut au rejet de la requête.
Il soutient que l'évaluation des préjudices effectuée par le Tribunal doit être confirmée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Heers, présidente,
- les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public,
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... B... épouse A... a présenté une demande d'indemnisation en sa qualité de victime des essais nucléaires devant le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN). Par une décision du 20 septembre 2019, le CIVEN a rejeté sa demande. Par un jugement avant-dire droit du 17 mars 2020, le Tribunal administratif de la Polynésie française a mis à la charge du CIVEN la réparation des préjudices subis par Mme B... et a ordonné une expertise médicale en vue de leur évaluation. Mme B... relève appel du jugement du 26 janvier 2021 par lequel le Tribunal administratif de la Polynésie française a mis à la charge du CIVEN la somme de 2 535 000 francs CFP au titre de la réparation intégrale des préjudices qu'elle a subis.
Sur la régularité du jugement :
2. Mme B... soutient que le Tribunal ne lui a pas communiqué le mémoire du CIVEN en date du 28 octobre 2020, et qu'il a ainsi méconnu les droits de la défense.
3. Dans sa requête introductive d'instance présentée devant la Cour, Mme B... s'est bornée à contester le montant de l'indemnisation accordée par le Tribunal administratif de la Polynésie française au titre des préjudices subis. Ce n'est qu'aux termes de son mémoire en réplique, présenté après l'expiration du délai d'appel, qu'elle a soulevé le moyen selon lequel le Tribunal administratif ne lui avait pas communiqué le mémoire du CIVEN du 28 octobre 2020. Mme B... a ainsi émis une prétention fondée sur une cause juridique distincte constituant une demande nouvelle qui, ayant été présentée tardivement, n'est pas recevable.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
Sur l'évaluation des préjudices :
En ce qui concerne les préjudices avant consolidation :
4. Mme B... se prévaut de la perte de gains professionnels actuels. Si elle justifie d'une activité d'agricultrice et d'une inscription au registre de la chambre d'agriculture et de la pêche entre 2010 et 2012, il est constant qu'elle n'établit pas le montant des revenus que cette activité lui aurait procurés ni, par suite, de la perte de revenus qui en aurait découlé. Dès lors, ce poste de préjudice ne saurait, en l'absence de justifications, faire l'objet d'une indemnisation.
5. Il résulte de l'instruction que l'expert a retenu, au titre du déficit fonctionnel temporaire, 30 jours d'hospitalisation avec un déficit fonctionnel temporaire de 100% et 8 ans et 6 mois avec un déficit fonctionnel temporaire de 10%. Dès lors, il y a lieu d'allouer à Mme B... 100 % de la somme de 25 euros par jour pour une durée de 30 jours, et 10% de cette somme pour une durée 3 101 jours, soit au total une somme de 8 502 euros.
6. Les souffrances temporaires endurées par Mme B... ont été évaluées par l'expert à 3 sur une échelle allant de 1 à 7. Il sera fait une juste appréciation de ce poste de préjudice en le portant à la somme de 5 000 euros.
7. Le Tribunal a rejeté la demande d'indemnisation de Mme B... au titre du préjudice esthétique temporaire en considérant que, si l'intéressée avait fait l'objet d'une mastectomie, qui engendre un préjudice important, celui-ci devait être regardé comme permanent et non temporaire, et devait être indemnisé dans le cadre du préjudice esthétique permanent, aucun document ne caractérisant un préjudice esthétique temporaire lié à l'altération de l'apparence physique autre que la mastectomie. Toutefois, il est constant, d'une part, que le préjudice esthétique temporaire est distinct du préjudice esthétique permanent, et d'autre part, que l'expert a retenu ce chef de préjudice en le qualifiant " d'important ". En l'absence d'évaluation de ce préjudice sur une échelle de 1 à 7 par l'expert, il y a lieu de retenir l'évaluation de ce dernier, relative au préjudice esthétique permanent, lequel a été évalué à 3 sur une échelle allant jusqu'à 7. En conséquence, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en allouant à Mme B... une somme de 6 000 euros, qui correspond d'ailleurs à ce que le CIVEN proposait en première instance.
En ce qui concerne les préjudices après consolidation :
8. Pour les mêmes motifs qu'exposés au point 4 du présent arrêt, la demande d'indemnisation présentée par Mme B... au titre des pertes de gains professionnels futurs doit être rejetée.
9. Aucun déficit fonctionnel permanent n'a été retenu par l'expert. Mme B..., en se bornant à soutenir que son déficit fonctionnel permanent est réel, ne produit aucun élément de nature à remettre en cause l'avis de l'expert sur ce point. La demande d'indemnisation présentée par Mme B... au titre de ce préjudice doit donc être rejetée.
S'agissant des préjudices en-dehors de toute consolidation :
10. Le préjudice lié aux pathologies évolutives, qui constitue un préjudice spécifique lié à une évolution possible de la maladie et à la crainte de voir apparaître un autre cancer, doit être indemnisé. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en allouant à la requérante, au regard de ses trois cancers, dont un de mauvais pronostic, la somme de 12 000 euros.
11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu d'ordonner un complément d'expertise, que la somme de 2 535 000 francs CFP que le CIVEN a été condamné à verser à Mme B... par les premiers juges, doit être portée à 44 910 euros. Mme B..., est donc fondée à demander la réformation, dans cette mesure, du jugement attaqué.
Sur les intérêts et leur capitalisation :
12. Mme B... a droit aux intérêts au taux légal sur les condamnations prononcées à son profit par le présent arrêt à compter de la réception de sa demande d'indemnisation. Si la date de réception de cette demande par le CIVEN ne ressort d'aucune des pièces du dossier, le CIVEN a toutefois informé Mme B..., par courrier du 9 janvier 2018, de ce qu'il accusait réception de son dossier. Par suite, Mme B... a droit aux intérêts à taux légal à compter de cette date.
13. La capitalisation des intérêts a été demandée pour la première fois par Mme B... aux termes de son mémoire du 10 novembre 2021. A cette date, il était dû au moins une année d'intérêts. Dès lors, il y a lieu de faire droit à cette demande, à compter du 9 janvier 2019.
Sur les frais liés au litige :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme B... d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La somme de 2 535 000 francs CFP que l'Etat (CIVEN) a été condamné à verser à Mme B... par le jugement n° 1900423 du 16 janvier 2021 du Tribunal administratif de la Polynésie française, est portée à 44 910 (quarante-quatre mille neuf cent dix) euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 9 janvier 2018. Les intérêts échus à la date du 9 janvier 2019 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le jugement est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat (CIVEN) versera à Mme B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... épouse A... et au Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN).
Copie en sera adressée à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 18 février 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, présidente de chambre,
- Mme Briançon, présidente assesseure,
- M. Mantz, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 mars 2022.
La présidente-rapporteure,
M. HEERSL'assesseure la plus ancienne,
C. BRIANÇON
La greffière,
V. BREME
La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
No 21PA02242 2