Procédure devant la Cour :
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 26 avril et le 6 juin 2018, M.B..., représenté par Me Kati, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1803394/8 du
14 mars 2018 ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de procéder au réexamen sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code justice administrative et de l'article 37 de la loi du
10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté attaqué a été signé par une autorité incompétente ;
- il est insuffisamment motivé ;
- il est entaché d'un vice de procédure en ce qu'il méconnaît l'article 5 du règlement (UE) n°604/2013, la compétence de l'agent ayant mené l'entretien individuel n'étant pas établie et l'identité de l'interprète n'étant pas précisée ;
- il méconnaît les dispositions de l'article 13 et de l'article 22 du règlement (UE)
n° 604/2013 ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la situation du Soudan justifie que soit mise en oeuvre la procédure de l'article 17 du règlement n° 604-2013.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 juillet 2018, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris du 5 juillet 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Hamon, président assesseur,
- les conclusions de Mme Oriol, rapporteur public,
- et les observations de Me D...substituant Me Kati, avocat de M.B....
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., ressortissant soudanais, est entré en France le 15 août 2017 selon ses déclarations. A la suite du dépôt d'une demande d'asile intervenue le 1er septembre 2017, la consultation du fichier Eurodac a fait apparaître qu'il avait franchi la frontière italienne le
12 juin 2017. Par un arrêté du 16 février 2018, le préfet de police a décidé du transfert de M. B...aux autorités italiennes au motif qu'elles sont responsables de l'examen de sa demande d'asile.
M. B...fait appel du jugement du jugement du 14 mars 2018 par lequel le magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. En premier lieu, il y a lieu, par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge, d'écarter les moyens tirés de l'incompétence de l'auteur de l'acte attaqué et du défaut de motivation.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; b)des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. ". L'article 5 du même règlement précise : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ". Par ailleurs l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article L. 742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire.(...). Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger ".
4. Il ressort des pièces du dossier que M. B...a bénéficié, le 1er septembre 2017, d'un entretien individuel conduit à la préfecture de police par un agent des services de la préfecture. Alors même que l'identité de cet agent n'est pas mentionnée dans le compte-rendu qui a été établi à l'issue de cet entretien, il n'est pas sérieusement contesté que l'intéressé a bien été reçu par un agent des services de la préfecture, qualifié pour mener cet entretien. Si M. B...soutient que, durant cet entretien, aucune question ne lui a été posée sur une sortie du territoire de l'Union européenne pendant plus de trois mois, il ressort de ce même compte-rendu, dont il a signé le résumé, qu'il a pu faire valoir ses observations notamment quant à ses déplacements avant la décision attaquée. Il ne conteste pas sérieusement le caractère confidentiel de cet entretien en se bornant à relever qu'aucune mention de cette confidentialité ne figure dans son compte-rendu. Enfin, si le nom de l'interprète n'a pas été indiqué par écrit au requérant, l'omission d'une telle indication ne saurait être regardée comme ayant privé M. B...d'une garantie et n'a pas été de nature à exercer une influence sur le sens de la décision de transfert attaquée.
5. En troisième lieu, le paragraphe 2 de l'article 7 du règlement (UE) n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013 prévoit que : " la détermination de l'Etat membre responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un Etat membre ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 13 du même règlement : " Lorsqu'il est établi (...) que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un Etat membre dans lequel il est entré en venant d'un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière ". Il ressort des pièces du dossier que le requérant, ainsi qu'il l'a indiqué lors de l'entretien individuel et ainsi qu'il ressort de la consultation du fichier Eurodac, a franchi irrégulièrement la frontière de l'Italie en provenance d'un état extérieur à l'Union européenne le
12 juin 2017, avant d'entrer sur le territoire français. Dès lors, à la date de la demande, les autorités italiennes étaient responsables de l'examen de la demande d'asile du requérant. A la date de la décision attaquée, le délai de douze mois prévu à l'article 13 précité du règlement (UE) n°604/2013 n'étant pas expiré, M. B...n'est pas fondé à soutenir que les autorités italiennes ne seraient plus responsables de l'examen de sa demande d'asile.
6. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable (...) ". L'article 17 du même règlement dispose par ailleurs que : " 1) Chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers (...) même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". Enfin aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
7. En quatrième lieu, si M. B...invoque les conditions d'accueil défaillantes et dissuasives des demandeurs d'asile en Italie, il n'établit nullement qu'il serait exposé à un risque sérieux de ne pas être traité par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Par ailleurs, il ne démontre pas davantage qu'il serait personnellement exposé à des risques sérieux de traitement inhumains ou dégradants en Italie, alors que ce pays est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dès lors, il n'est pas fondé à soutenir que le préfet a méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegardes des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni les dispositions de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013. " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraineraient un risque de traitement inhumain ou dégradant, au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un Etat membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier Etat membre auprès duquel la demande a été introduite, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable devient l'Etat membre responsable ".
8. Enfin, l'article 17 du règlement UE n° 604/2013 du 26 juin 2013 dispose que : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée (...) même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés par le présent règlement (...) ". La décision attaquée n'ayant ni pour objet ni pour effet de renvoyer M. B...au Soudan, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation qu'aurait commise le préfet en ne faisant pas application de la clause discrétionnaire de l'article 17 précité, à raison de la situation dans ce pays, doit être écarté.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction, ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B...et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 19 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Even, président de chambre,
- Mme Hamon, président assesseur,
- Mme d'Argenlieu, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 11 décembre 2018.
Le rapporteur,
P. HAMONLe président,
B. EVENLe greffier,
S. GASPAR
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA01420