Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 25 mars 2019, Mme A..., représentée par Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1800367 du 31 janvier 2019 par lequel le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande ;
2°) d'annuler l'arrêté du 7 septembre 2018 par lequel la ministre de la transition écologique et solidaire chargée des transports a fixé la date de son admission à faire valoir ses droits à la retraite par limite d'âge au 4 mars 2019 ;
3°) d'enjoindre à l'administration de la réintégrer dans son corps à compter du 4 mars 2019 ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la différence de limites d'âge entre les ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne en fonction de leurs dates de naissance constitue une discrimination contraire aux objectifs de la directive du 27 novembre 2010 et de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; elle entraine un désavantage particulier quant à la durée de l'exercice des fonctions, à l'impossibilité d'obtenir un avancement et à la rémunération ;
- le dispositif méconnaît le principe d'égalité de traitement entre agents d'un même corps ; dès lors qu'une limite d'âge a été fixée pour un agent d'un même corps, il n'est pas possible de contraindre un agent, à raison de son âge, à quitter ses fonctions avant d'atteindre cette limite ; aucun objectif d'intérêt général ne serait de nature à autoriser cette discrimination.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juin 2019, la ministre chargée des transports, représentée par SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de Mme A... une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive n° 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 ;
- la loi n° 89-1007 du 31 décembre 1989 ;
- la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 ;
- le décret n° 2011-2103 du 30 décembre 2011 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mach, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ingénieur du contrôle de la navigation aérienne, née le 3 novembre 1961, a été admise à faire valoir ses droits à la retraite par limite d'âge à compter du 4 mars 2019, à l'âge de 57 ans et quatre mois, par un arrêté du 7 septembre 2018. Mme A... relève appel du jugement du 31 janvier 2019 par lequel le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989 relative au corps des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne : " Les ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne sont chargés d'assurer les services de la circulation aérienne dans les organismes de contrôle désignés dans les conditions fixées par le décret statutaire du corps et d'exécuter dans l'administration de l'aviation civile des missions d'encadrement, d'instruction, d'étude ou de direction de service ou de partie de service. / Le corps des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne est régi par un statut spécial fixé par décret en Conseil d'Etat, après avis du comité technique compétent. Ce statut peut, en raison des sujétions et des responsabilités exceptionnelles attachées aux fonctions de ces ingénieurs, déroger aux dispositions des articles 12 et 16 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et à celles de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat. ". Aux termes de l'article 3 de cette loi, dans sa rédaction issue de l'article 38 (V) de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites : " La limite d'âge des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne est fixée à cinquante-neuf ans, sans possibilité de report. " Aux termes de l'article 38 (XIX) de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites : " L'âge auquel la pension peut être liquidée par les agents mentionnés aux I à XVII du présent article évolue dans les conditions fixées par le décret prévu au II de l'article 22. La limite d'âge de ces agents évolue dans les conditions fixées par le décret prévu au II de l'article 28 et au II de l'article 31. Les durées de services effectifs mentionnées dans les mêmes I à XVII évoluent dans les conditions fixées par le décret prévu au II de l'article 35. ". Aux termes de l'article 31 de cette même loi : " I. - Pour les fonctionnaires relevant de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 précitée dont la limite d'âge est inférieure à soixante-cinq ans en application des dispositions législatives et réglementaires antérieures à l'entrée en vigueur de la présente loi, la limite d'âge est fixée : (...) 5° A soixante-deux ans lorsque cette limite d'âge était fixée antérieurement à soixante ans, pour les agents nés à compter du 1er janvier 1960 ; (...) II. - Cette limite d'âge est fixée par décret dans la limite respective des âges mentionnés au I pour les fonctionnaires atteignant avant le 1er janvier 2015 l'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite applicable antérieurement à la présente loi et, pour ceux atteignant cet âge entre le 1er juillet 2011 et le 31 décembre 2014, de manière croissante à raison : 1° De quatre mois par génération pour les fonctionnaires atteignant cet âge entre le 1er juillet 2011 et le 31 décembre 2011 ; 2° De cinq mois par génération pour les fonctionnaires atteignant cet âge entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2014. " Enfin, l'article 2 du décret du 30 décembre 2011 portant relèvement des bornes d'âge de la retraite des fonctionnaires, des militaires et des ouvriers de l'Etat fixe à 57 ans la limite d'âge des fonctionnaires nés à compter de 1960 dont la limite d'âge était antérieurement fixée à 55 ans.
3. Les dispositions de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail ont pour objet, en vertu de ses articles 1 et 2, de proscrire les discriminations professionnelles directes et indirectes, y compris les discriminations fondées sur l'âge. Toutefois, aux termes du paragraphe 1er de l'article 4 de la même directive : " Nonobstant l'article 2, paragraphes 1 et 2, les Etats membres peuvent prévoir qu'une différence de traitement fondée sur une caractéristique liée à l'un des motifs visés à l'article 1er ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d'une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l'objectif soit légitime et que l'exigence soit proportionnée ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 6 de la directive : " (...) les Etats membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires (...) ".
4. En premier lieu, en soutenant que l'obligation qui lui est faite, à raison de sa date de naissance, de cesser son activité à l'âge de 57 ans et quatre mois alors que la limite d'âge du corps auquel elle appartient a été portée à 59 ans par la loi du 9 novembre 2010, méconnaît le principe d'égalité de traitement entre fonctionnaires d'un même corps ainsi que les objectifs de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, Mme A... doit être regardée comme invoquant par voie d'exception l'illégalité du dispositif d'entrée en vigueur progressive du relèvement de la limite d'âge instauré par les dispositions précitées, dont elle ne conteste pas qu'il lui a été exactement appliqué.
5. Il résulte du II de l'article 31 et des III et XIX de l'article 38 de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, en vertu desquels le report à 59 ans de la limite d'âge des ingénieurs du contrôle de la navigation est applicable aux seuls ingénieurs nés à compter du 1er janvier 1963 et qui organisent le relèvement progressif de la limite d'âge antérieure de 57 ans, à raison de quatre mois pour les fonctionnaires nés entre le 1er juillet et le 31 décembre 1961 et de cinq mois supplémentaires pour les fonctionnaires nés entre le 1er janvier et le 31 décembre 1962, instituent une différence de traitement entre les agents selon leur date de naissance. La progressivité du relèvement de l'âge limite légal de départ à la retraite vise, dans le cadre du recul général de l'âge des départs à la retraite tenant compte des évolutions de l'espérance de vie et de l'état de santé et d'aptitude des populations, à laisser aux agents un temps d'adaptation suffisant, en évitant de bouleverser les projets de ceux qui sont proches de l'âge de la retraite. La différence de traitement ainsi instituée entre les agents d'un même corps en fonction de leur âge repose sur des critères objectifs et rationnels. Au demeurant, cette différence revêt un caractère provisoire et est inhérente à la succession de deux régimes juridiques dans le temps. Elle doit être regardée comme nécessaire et proportionnée au regard des dispositions du paragraphe 1 de l'article 4 de la directive invoquée. Dès lors, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté attaqué méconnaît les objectifs de la directive du Conseil du 27 novembre 2000 interdisant les discriminations en fonction de l'âge. Pour les mêmes motifs, elle n'est pas plus fondée à soutenir qu'il méconnaîtrait le principe d'égalité de traitement entre agents publics appartenant à un même corps.
6. En second lieu, le moyen soulevé par Mme A... et tiré de la méconnaissance des objectifs de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne n'est pas assorti de précisions de fait et de droit permettant d'en apprécier le bien-fondé.
7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que Mme A... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de Mme A... le versement de la somme que l'Etat demande sur le fondement des mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'Etat présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A... et à la ministre de la transition écologique.
Délibéré après l'audience du 30 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme B..., président de chambre,
- M. Mantz, premier conseiller,
- Mme Mach, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 13 novembre 2020.
Le rapporteur,
A-S MACHLe président,
M. B...Le greffier,
S. GASPARLa République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA01129