Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés respectivement le 3 janvier 2018 et le
21 mars 2018, M. A..., représenté par Me Charles, demande à la Cour :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;
2°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1717493/8 du
29 novembre 2017 ;
3°) d'annuler l'arrêté du préfet de police du 30 octobre 2017 ;
4°) d'enjoindre au préfet de police d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du
10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors que le premier juge a omis de statuer sur le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 21-1 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- l'arrêté attaqué méconnaît les dispositions des articles 5-5 et 5-6 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dès lors qu'il ne mentionne pas l'identité de la personne ayant mené l'entretien et que le compte rendu de l'entretien qui a été réalisé ne contient pas les informations essentielles fournies ;
- il méconnaît les dispositions de l'article 21-1 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dès lors que la demande de reprise en charge a été adressée aux autorités italiennes plus de trois mois après sa demande d'asile ;
- il méconnaît les dispositions de l'article 3-2 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, ainsi que les stipulations des articles 4 de la charte des droits fondamentaux et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, puisqu'il sera exposé à des traitements inhumains et dégradants en cas de retour en Italie et qu'il existe des défaillances systémiques dans le traitement des demandes d'asile dans ce pays ;
- il méconnaît les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 en ce que le préfet de police n'a pas mis en oeuvre la clause discrétionnaire qu'elles prévoient.
Par un mémoire enregistré le 16 mars 2018 le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A...ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) nº 2725/2000 du Conseil du 11 décembre 2000 ;
- les règlements (UE) n° 603/2013 et 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Even, président de chambre,
- les conclusions de Mme Oriol, rapporteur public,
- et les observations de Me Charles, avocat de M.A....
1. M.A..., ressortissant soudanais, né le 14 juillet 1991, entré en France le 3 janvier 2017 selon ses déclarations, a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. Par un arrêté du 30 octobre 2017, le préfet de police a décidé sa remise aux autorités italiennes au motif qu'elles sont responsables de l'examen de sa demande d'asile. M. A... relève appel du jugement du 29 novembre 2017 par lequel le magistrat désigné du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :
2. Par une décision du 5 février 2018, le président du bureau d'aide juridictionnelle du Tribunal de grande instance de Paris a admis M. A...au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, les conclusions présentées par l'intéressé aux fins d'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire sont devenues sans objet.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Le magistrat désigné par le Tribunal administratif de Paris a omis de statuer sur le moyen invoqué par M.A..., qui n'est pas inopérant, tiré de ce que la demande de reprise en charge effectuée par le préfet de police auprès des autorités italiennes, le 19 avril 2017, était tardive, dès lors qu'elle est intervenue au-delà du délai de trois mois défini par l'article 21-1 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Par suite, l'intéressé est fondé à soutenir que le jugement qu'il conteste est irrégulier et doit être annulé. Il y a lieu de statuer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur la demande présentée par M. A... devant le Tribunal administratif de Paris.
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
4. Aux termes de l'article 20 intitulé " Début de la procédure " du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé du 26 juin 2013 : " 1. Le processus de détermination de l'Etat membre responsable commence dès qu'une demande de protection internationale est introduite pour la première fois auprès d'un État membre. 2. Une demande de protection internationale est réputée introduite à partir du moment où un formulaire présenté par le demandeur ou un procès-verbal dressé par les autorités est parvenu aux autorités compétentes de l'État membre concerné. Dans le cas d'une demande non écrite, le délai entre la déclaration d'intention et l'établissement d'un procès-verbal doit être aussi court que possible... 5. L'Etat membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite pour la première fois est tenu, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, et en vue d'achever le processus de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen de la demande de protection internationale, de reprendre en charge le demandeur qui se trouve dans un autre État membre sans titre de séjour ou qui y introduit une demande de protection internationale après avoir retiré sa première demande présentée dans un autre État membre pendant le processus de détermination de l'Etat membre responsable. Cette obligation cesse lorsque l'Etat membre auquel il est demandé d'achever le processus de détermination de l'État membre responsable peut établir que le demandeur a quitté entre-temps le territoire des États membres pendant une période d'au moins trois mois ou a obtenu un titre de séjour d'un autre Etat membre. Toute demande introduite après la période d'absence visée au deuxième alinéa est considérée comme une nouvelle demande donnant lieu à une nouvelle procédure de détermination de l'Etat membre responsable. " Aux termes de l'article 21 de ce même règlement : " L'Etat membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre Etat membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date d'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre Etat membre aux fins de prise en charge du demandeur. / Nonobstant le premier alinéa, en cas de résultat positif (" hit ") Eurodac (...), la requête est envoyée dans un délai de deux mois à compter de la réception de ce résultat positif (...). Si la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur n'est pas formulée dans les délais fixés par le premier et le deuxième alinéa, la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale incombe à l'Etat membre auprès duquel la demande a été introduite (...) ".
5. Il ressort des stipulations précitées, interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans son arrêt du 26 juillet 2017, Tsegezab Mengesteab c / Bundesrepublik Deutschland, affaire n° C-670/16, qu'un demandeur d'asile peut invoquer, dans le cadre d'un recours exercé contre une décision de transfert prise à son égard, l'expiration d'un délai énoncé à l'article 21, paragraphe 1, dudit règlement, et ce même si l'État membre requis est disposé à prendre ce demandeur en charge. L'article 21, paragraphe 1, du règlement n° 604/2013 doit être interprété en ce sens qu'une demande aux fins de prise en charge ne peut être valablement formulée plus de trois mois après l'introduction de la demande d'asile, même si cette requête est formulée moins de deux mois après la réception d'un résultat positif " Eurodac ", au sens de cette disposition. L'article 20, paragraphe 2, du règlement n° 604/2013 reconnait expressément la validité d'une demande d'asile non écrite et précise que le délai entre cette déclaration d'intention et l'établissement d'un procès-verbal par l'autorité administrative doit être aussi court que possible. La demande de protection internationale est réputée introduite lorsqu'un document écrit, établi par une autorité publique et attestant qu'un ressortissant de pays tiers a sollicité la protection internationale, est parvenu à l'autorité chargée de l'exécution des obligations découlant de ce règlement et, le cas échéant, lorsque seules les principales informations figurant dans un tel document, mais non celui-ci ou sa copie, sont parvenues à cette autorité. Il n'est pas nécessaire que le document écrit dressé à cette fin revête une forme précisément déterminée ou qu'il comporte des éléments supplémentaires pertinents pour l'application des critères fixés par le règlement Dublin III ou, a fortiori, pour l'examen au fond de la demande de protection internationale. Il n'est pas non plus nécessaire, à ce stade de la procédure, qu'un entretien individuel ait déjà été organisé.
6. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du mémoire en défense du préfet de police produit en appel, que M. A... " s'est fait connaitre de la préfecture de police " en se présentant, le 16 janvier 2017, au " centre d'examen de situation administrative (CESA) " de Paris, sur convocation de l'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). Il soutient, sans être contesté, qu'il a alors exprimé son intention de solliciter l'asile. Le préfet de police reconnait par ailleurs que le même jour ses empreintes digitales ont été relevées pour permettre une vérification avec le fichier " Eurodac ". La circonstance qu'aucun résultat positif n'a alors été observé et que l'intéressé a, comme le précise le préfet de police, été convoqué, le 14 mars 2017, afin de se présenter à la préfecture de police, le 11 avril suivant, pour un entretien et qu'il soit procédé à l'enregistrement de sa demande d'asile, est sans incidence. M. A... doit dès lors être regardé comme ayant valablement introduit une demande d'asile, dès le 16 janvier 2017, au sens des stipulations précitées de l'article 20 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé du 26 juin 2013.
7. Il est constant que le préfet de police n'a adressé la demande de reprise en charge de l'intéressé aux autorités italiennes, que le 19 avril 2017, soit après l'expiration du délai de trois mois prescrit par les dispositions précitées de l'article 21 du règlement (UE) n° 604-2013 du
26 juin 2013. Dans ces conditions, en application du troisième alinéa de ce même article, la responsabilité de l'examen de la demande de M. A...incombe aux autorités françaises. En décidant, par l'arrêté contesté du 30 octobre 2017, de le remettre aux autorités italiennes, le préfet de police a méconnu l'article 21 du règlement du 26 juin 2013. Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens soulevés à l'encontre de la décision attaquée, M. A...est fondé à obtenir son annulation.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
8. Le présent arrêt, qui annule la décision de transfert attaquée, implique nécessairement l'enregistrement de la demande d'asile de M. A...et la délivrance à celui-ci d'une autorisation provisoire de séjour, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il y ait eu lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais de justice :
9. M. A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me Charles, avocat de M.A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à
Me Charles de la somme de 1 500 euros.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. A...tendant à l'octroi de l'aide juridictionnelle provisoire.
Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1717493/8 du 29 novembre 2017 et l'arrêté du préfet de police du 30 octobre 2017 sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de police d'enregistrer la demande d'asile de M. A...et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A...est rejeté.
Article 5 : L'Etat versera à Me Charles, avocat de M.A..., une somme de 1 500 euros en application du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que
Me Charles renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A..., à Me Charles et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 27 mars 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Even, président de chambre,
- Mme Hamon, président assesseur,
- Mme d'Argenlieu, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 22 mai 2018.
Le président rapporteur,
B. EVENLe président assesseur,
P. HAMONLe greffier,
I. BEDR La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA00013