Par un arrêt nos 18PA00938/18PA00939/18PA00940/18PA01222/18PA01223/18PA01224 du 24 mai 2018, la Cour administrative d'appel de Paris a transmis les dossiers au Conseil d'Etat au motif qu'en application des dispositions de l'article R. 811-1 du code de justice administrative, les requêtes en litige avaient le caractère de " litiges relatifs aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'aide ou de l'action sociale " ne relevant pas de la compétence de la Cour mais de celle du Conseil d'Etat statuant en tant que juge de cassation.
Par une décision nos 420940/420944/420961/420945/420943/420941 du 12 octobre 2018, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la Cour.
Procédure devant la Cour
Par une requête enregistrée le 21 mars 2018, l'association " Ohalei Yaacov - Le silence des justes " représentée par Me D...demande à la Cour :
1°) de confirmer le jugement du Tribunal administratif de Melun n° 1609370 du
8 février 2018 en ce qu'il a mis à la charge du département du Val-de-Marne les frais d'entretien, d'éducation et de conduite générés par le placement au sein de l'association " Ohalei Yaacov - Le silence des justes " du jeune M. A...B... ;
2°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a considéré que devaient être déduits de la somme due les montants déjà versés par le département, calculés sur la base des tarifs fixés par l'Agence régionale de santé (ARS) pour l'accueil de jour ;
3°) de mettre à la charge du département du Val-de-Marne une somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que n'étant pas agréée, seuls les tarifs fixés par son conseil d'administration devaient être pris en compte, et qu'ainsi il n'était pas possible de retrancher de ces tarifs les montants fixés par l'Agence régionale de santé pour l'accueil de jour.
Par un mémoire en défense et un mémoire complémentaire enregistrés les 27 avril et
14 novembre 2018, le département du Val-de-Marne conclut, à titre principal, à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il le condamne au paiement des frais d'entretien, d'éducation et de conduite alors qu'une telle charge relève de l'assurance maladie et, à titre subsidiaire, à l'annulation de ce jugement en tant qu'il le condamne au paiement des dépenses d'entretien, d'éducation et de conduite alors qu'elles ne sont pas établies par l'association, et, enfin, à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'association en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit au regard des articles L. 228-3 et
4 du code de l'action sociale et de la famille dans la mesure où les frais générés par le placement de mineurs auprès des associations telles que l'association " Ohalei Yaacov - Le silence des justes " relèvent de l'assurance maladie ;
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit dans la mesure où il a fixé unilatéralement le montant des dépenses à rembourser par le département, sans avoir recueilli au préalable les éléments lui permettant non seulement d'établir le caractère certain de ces dépenses, ni leur justification.
Par un nouveau mémoire enregistré le 30 janvier 2019, l'association demande à la Cour de mettre en cause l'Agence régionale de santé (ARS).
Par une lettre du 5 février 2019, le président de la formation de jugement a informé les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la Cour était susceptible de retenir un moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité des conclusions tendant à la mise en cause d'une partie non présente en première instance.
Une réponse au moyen d'ordre public a été enregistrée le 12 février 2019 pour l'association " Ohalei Yaacov - Le silence des justes ".
Une réponse au moyen d'ordre public a été enregistrée le 6 mars 2019 pour le département du Val-de-Marne.
Un mémoire, enregistré le 30 avril 2018, a été présenté pour l'association
" Ohalei Yaacov - Le Silence des justes ".
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil,
- le code de l'action sociale et de la famille,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme d'Argenlieu, rapporteur,
- les conclusions de Mme Oriol, rapporteur public,
- les observations de Me D...pour l'association " Ohalei Yaacov - Le Silence des justes ",
- et les observations de Me C...pour le département du Val-de-Marne.
Considérant ce qui suit
1. Le juge des enfants du Tribunal de grande instance de Créteil a, par un jugement
du 6 février 2015, confié le mineur A...B..., atteint de troubles autistiques, au service départemental de l'aide sociale à l'enfance du département du Val-de-Marne et placé ce mineur pour une durée d'un an auprès de l'association " Ohalei Yaacov - Le silence des justes ". Le département du Val-de-Marne a, dans un premier temps, pris en charge l'ensemble des frais d'accueil du mineur. Toutefois, à compter du mois d'avril 2015, il a informé l'association qu'il cessait d'assumer cette prise en charge. L'association " Ohalei Yaacov - Le silence des justes " a, par une lettre du
11 août 2016, reçue le 16 du même mois, demandé au département du Val-de-Marne de lui verser la somme de 225 055,50 euros restant due au titre des frais d'hébergement de ce mineur pour les mois d'avril 2015 à juillet 2016. Le département a implicitement rejeté cette demande d'indemnisation. Par un jugement n° 1609370 du 8 février 2018, le Tribunal administratif de Melun a condamné le département du Val-de-Marne à payer les dépenses d'entretien, d'éducation et de conduite devant être prises au titre du placement du mineur A...B...au sein de cette association. Il a jugé que le montant des sommes doit être calculé sur le fondement de la tarification établie par le conseil d'administration de l'association " Ohalei Yaacov - Le silence des justes " pour la prise en charge dans sa cellule d'urgence médicalisée de son établissement de Saint-Denis, au titre des années 2015 et 2016, sous déduction des règlements déjà effectués par le département, sur la période concernée soit les mois d'avril 2015 à juillet 2016. L'association concernée fait appel de ce jugement en tant qu'il a considéré que devaient être déduits de la somme due par le département les montants déjà versés par ce dernier, calculés sur la base des tarifs fixés par l'agence régionale de santé (ARS) pour l'accueil de jour. Par un appel incident, le département du Val-de-Marne demande quant à lui l'annulation du jugement en tant qu'il a mis à sa charge les dépenses d'entretien, d'éducation et de conduite et, en tout état de cause, en ce qu'il l'a condamné aux paiements de sommes non établies au vu des pièces du dossier.
Sur les conclusions dirigées en appel contre l'Agence régionale de santé :
2. L'ARS n'a pas présenté en première instance de conclusions contre le département du Val-de-Marne. Par suite, les conclusions présentées par l'Association " Ohalei Yaacov - Le silence des justes ", tendant à la mise en cause d'une partie qui n'était pas présente en première instance, constituent une demande nouvelle et doivent être rejetées comme irrecevables.
Sur le principe de la prise en charge des frais d'entretien, d'éducation et de conduite par le département du Val-de-Marne :
3. Aux termes de l'article 375-3 du code civil alors en vigueur : " Si la protection de l'enfant l'exige, le juge des enfants peut décider de le confier : 1° A l'autre parent ; 2° A un autre membre de la famille ou à un tiers digne de confiance ; 3° A un service départemental de l'aide sociale à l'enfance ; 4° A un service ou à un établissement habilité pour l'accueil de mineurs à la journée ou suivant toute autre modalité de prise en charge ; 5° A un service ou à un établissement sanitaire ou d'éducation, ordinaire ou spécialisé. (ou sur le territoire duquel sa résidence a été fixée)) ". Aux termes de l'article L. 222-5 du code de la famille et de l'aide sociale : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : (...) 3° Les mineurs confiés au service en application du 3° de l'article 375-3 du code civil, des articles 375-5, 377, 377-1, 380, 411 du même code ou du 4° de l'article 10 et du 4° de l'article 15 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante ;(...) ". L'article L. 313-10 du même code ajoute que : " L'habilitation à recevoir des mineurs confiés habituellement par l'autorité judiciaire, soit au titre de la législation relative à l'enfance délinquante, soit au titre de celle relative à l'assistance éducative, est délivrée par le représentant de l'Etat dans le département après avis du président du conseil départemental, pour tout ou partie du service ou de l'établissement. L'habilitation au titre de l'enfance délinquante et celle au titre de l'assistance éducative peuvent être délivrées simultanément par une même décision. " ;
4. Il ressort de l'article L. 228-3 du code de l'action sociale et des familles que : " Le département prend en charge financièrement au titre de l'aide sociale à l'enfance, à l'exception des dépenses résultant de placements dans des établissements et services publics de la protection judiciaire de la jeunesse, les dépenses d'entretien, d'éducation et de conduite de chaque mineur : / 1° Confié par l'autorité judiciaire en application des articles 375-3, 375-5 et 433 du code civil à des personnes physiques, établissements ou services publics ou privés ; / 2° Confié au service de l'aide sociale à l'enfance dans les cas prévus au 3° de l'article L. 222-5 ; / 3° Ou pour lequel est intervenue une délégation d'autorité parentale, en application des articles 377 et 377-1 du code civil, à un particulier ou à un établissement habilité dans les conditions fixées par voie réglementaire. (ou sur le territoire duquel sa résidence a été fixée)) ". L'article L. 228-4 du même code précise que : " Sous réserve des dispositions du deuxième alinéa du présent article, les prestations d'aide sociale à l'enfance mentionnées au chapitre II du présent titre sont à la charge du département qui a prononcé l'admission dans le service de l'aide sociale à l'enfance. / Les dépenses mentionnées à l'article L. 228-3 sont prises en charge par le département du ressort de la juridiction qui a prononcé la mesure en première instance, nonobstant tous recours éventuels contre les décisions correspondantes, dans les conditions suivantes : 1° Les dépenses mentionnées au 2° de l'article L. 228-3 sont prises en charge par le département auquel le mineur est confié par l'autorité judiciaire ; 2° Les autres dépenses mentionnées à l'article L. 228-3 résultant de mesures prononcées en première instance par l'autorité judiciaire sont prises en charge par le département sur le territoire duquel le mineur est domicilié.ou sur le territoire duquel sa résidence a été fixée) (ou sur le territoire duquel sa résidence a été fixée) Le département chargé de la prise en charge financière d'une mesure, en application des deuxième et troisième alinéas ci-dessus, assure celle-ci selon le tarif en vigueur dans le département où se trouve le lieu de placement de l'enfant. ". L'article L. 313-6 du code de l'action sociale et de la famille prévoit en outre que : " L'autorisation délivrée pour les projets de création, de transformation et d'extension supérieure au seuil prévu au I de l'article L. 313-1-1 des établissements et services sociaux et médico-sociaux est valable sous réserve du résultat d'une visite de conformité aux conditions techniques minimales d'organisation et de fonctionnement mentionnées au II de l'article L. 312-1 dont les modalités sont fixées par décret. L'autorisation délivrée pour les projets d'extension inférieure au seuil prévu au I de l'article
L. 313-1-1 donne lieu à une visite de conformité lorsqu'ils nécessitent des travaux subordonnés à la délivrance d'un permis de construire, une modification du projet d'établissement mentionné à l'article L. 311-8 ou un déménagement sur tout ou partie des locaux. L'autorisation ou son renouvellement valent, sauf mention contraire, habilitation à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale et, lorsque l'autorisation est accordée par le représentant de l'Etat ou le directeur général de l'agence régionale de santé, seul ou conjointement avec le président du conseil départemental, autorisation de dispenser des prestations prises en charge par l'Etat ou les organismes de sécurité sociale. L'ouverture à l'ensemble des assurés sociaux, sans modification de sa capacité d'accueil, d'un établissement ou d'un service antérieurement autorisé à délivrer des soins remboursables à certains de ces assurés n'est pas considérée comme une création au sens de l'article L. 313-1-1 et pour l'application du même article. Cette ouverture est autorisée dans les conditions prévues
au 2° de l'article L. 313-4 ". Enfin, l'article R. 314-105 du code de l'action sociale et de la famille dispose que : " Les dépenses liées à l'activité sociale et médico-sociale des établissements et services régis par le présent chapitre sont, sous réserve de l'habilitation mentionnée à l'article
L. 313-6, prises en charge : (...) II.- Pour les établissements et services mentionnés au 2° de l'article L. 312-1 : 1° Pour les services d'éducation et de soins à domicile qui prennent en charge de jeunes handicapés sur décision de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées ou dans le cadre de l'intégration scolaire, par l'assurance maladie en application du 3° de l'article L. 160-8 du code de la sécurité sociale, sous la forme d'une dotation globale établie et versée dans les conditions fixées par les articles R. 174-16-1 à R. 174-16-5 du code de la sécurité sociale ;
2° Pour les autres établissements et services, par l'assurance maladie en application du 3° de l'article L. 160-8 du code de la sécurité sociale, sous la forme d'un prix de journée établi et versé conformément aux dispositions du sous-paragraphe 3 du paragraphe 2 de la sous-section 3 de la présente section ".
5. Il résulte de l'instruction que le placement en litige a été décidé par le juge des enfants du Tribunal de grande instance de Créteil auprès de l'association " Ohalei Yaacov - Le silence des justes " dont l'objet, tel qu'il ressort de ses statuts, consiste, notamment, en l'accueil permanent de personnes handicapées dans des structures adaptées à leurs besoins et en l'organisation de nombreuses activités de nature à permettre aux résidents une meilleure intégration dans la société. L'établissement de Saint-Denis, au sein duquel le jeune A...B...a été placé, comprend en plus d'une cellule de jour, une cellule d'urgence médicalisée. Cette association relève donc de la catégorie des établissements sanitaires et d'éducations, ordinaires ou spécialisés au sens des dispositions combinées des articles L. 228-3 précité du code de l'action sociale et de la famille et 375-3 du code civil. Par suite, alors même que l'association appelante n'aurait pas été agréée par le département du Val-de-Marne, la prise en charge des dépenses d'entretien, d'éducation et de conduite exposées au titre du placement de M. A...B...incombait non pas à l'assurance maladie mais à ce département. L'article R. 314-105 précité du code de l'action sociale et de la famille, dont le département entend se prévaloir, n'est pas applicable en l'espèce celui-ci visant uniquement les structures agréées au sens de l'article L. 313-6 du même code.
Sur l'évaluation du montant des dépenses :
6. L'état du dossier ne permet pas d'évaluer le montant des sommes devant être mises à la charge du département du Val-de-Marne au titre du placement du jeune A...B...au cours de la période allant d'avril 2015 à juillet 2016.
7. Dans ces conditions, il y a lieu d'inviter, d'une part, l'association " Ohalei Yaacov - Le silence des justes " à produire le détail des frais d'entretien, d'éducation et de conduite qu'elle a engagés durant cette période pour financer le placement de M. A...B...et, d'autre part, le département du Val-de-Marne à transmettre à la Cour le détail, mois par mois, des sommes réglées à ce même titre au cours de la même période, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
DECIDE :
Article 1er : Il est ordonné, avant dire droit, la production par l'association " Ohalei Yaacov - Le silence des justes " du détail des frais d'entretien, d'éducation et de conduite qu'elle a engagés entre les mois d'avril 2015 à juillet 2016 pour le placement de M. A...B..., et la production par le département du Val-de-Marne du détail, mois par mois, des sommes réglées à ce même titre au cours de la même période, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 2 : Tous droits, conclusions et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'à la fin de l'instance.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association " Ohalei Yaacov - Le silence des justes " et au département du Val-de-Marne.
Délibéré après l'audience du 1er avril 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Even, président,
- Mme Hamon, président assesseur,
- Mme Lorraine d'Argenlieu, premier conseiller.
Lu en audience publique le 23 avril 2019.
Le rapporteur,
L. d'ARGENLIEU Le président,
B. EVENLe greffier,
S. GASPAR
La République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 18PA03330