Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 16 octobre 2020 et le 9 février 2021, le préfet de police demande à la Cour d'annuler les articles 2, 3 et 4 du jugement du 15 septembre 2020 du Tribunal administratif de Paris et de rejeter la demande présentée par M. C....
Il soutient que :
- contrairement à ce qu'a jugé le Tribunal administratif de Paris, son arrêté de transfert est suffisamment motivé ;
- M. C... a reçu l'information prévue par l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement et du Conseil en date du 26 juin 2013 ;
- l'entretien individuel dont a bénéficié M. C... est conforme aux stipulations de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement et du Conseil en date du 26 juin 2013 ;
- l'Italie est bien l'État responsable de l'examen de la demande d'asile de l'intéressé au regard des articles 3, 18 et 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement et du Conseil en date du 26 juin 2013 ;
- il n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne mettant pas en oeuvre l'article 17 du règlement n° 604/2013 qui permet à tout État membre de prendre en charge le traitement d'une demande d'asile et n'a pas méconnu l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 février 2021, M. C..., représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'État sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative contre renoncement au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 8 février 2021, la clôture de l'instruction de l'affaire a été fixée au 10/02/2021 à 12 h 00.
Par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris en date du 11 janvier 2021, M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement et du Conseil en date du 26 juin 2013 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 ;
- les décrets n° 2020-1404 et n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 portant application de la loi sur l'aide juridictionnelle ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les observations de Me A..., pour M. D... C....
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., de nationalité afghane, est entré en France le 24 juin 2020 selon ses déclarations. La consultation du fichier " Eurodac " effectuée le 2 juillet 2020 a révélé que M. C... avait déjà été enregistré en tant que demandeur d'asile par les autorités autrichiennes, le 3 septembre 2016, puis par les autorités italiennes, le 8 septembre 2016. Le préfet de police a saisi les autorités autrichiennes et italiennes d'une demande de reprise en charge de M. C.... Les autorités autrichiennes ont décliné leur responsabilité, par une décision du 10 juillet 2020 précisant que la demande d'asile de l'intéressé relevait de la responsabilité des autorités italiennes, en application des dispositions de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement et du Conseil en date du 26 juin 2013, dès lors qu'en dépit de l'accord qu'elles avaient donné, le 15 novembre 2016, à la requête de reprise en charge présentée par l'Italie, les autorités italiennes n'avaient pas exécuté cette mesure dans les délais requis. Les autorités italiennes ont, quant à elles, accepté, le 9 juillet 2020, leur responsabilité sur le fondement des dispositions de l'article 18 1. d) dudit règlement. Par un arrêté du 14 août 2020, le préfet de police a décidé de transférer M. C... aux autorités italiennes. Le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a, par un jugement n° 2012922 du 15 septembre 2020, accordé l'aide juridictionnelle provisoire à M. C... et fait droit également à ses autres conclusions. Le préfet de police fait appel des articles 2, 3 et 4 du jugement du 15 septembre 2020 par lequel le magistrat désigné a annulé l'arrêté du 14 août 2020 du préfet de police décidant le transfert de M. C... aux autorités italiennes, lui a enjoint de réexaminer la demande d'asile de l'intéressé et mis à la charge de l'État la somme de 800 euros au titre des frais de justice.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'alinéa 2 de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, " la décision de transfert d'un demandeur d'asile doit être suffisamment motivée afin de le mettre à même de critiquer1'application du critère de détermination de l'État responsable de sa demande et, ainsi, d'exercer le droit à un recours effectif garanti par les dispositions de l'article 27 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ".
3. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement (UE) n° 604/2013 précité et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre État membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application. S'agissant d'un étranger ayant, dans les conditions posées par le règlement, présenté une demande d'asile dans un autre État membre et devant, en conséquence, faire l'objet d'une reprise en charge par cet État, doit être regardé comme suffisamment motivée la décision de transfert qui, après avoir visé le règlement, relève que le demandeur a antérieurement présenté une demande dans l'État en cause, une telle motivation faisant apparaître qu'il est fait application du b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 ou du paragraphe 5 de l'article 20 du règlement.
4. L'arrêté prononçant le transfert de M. C... aux autorités italiennes vise le règlement (UE) n° 604/2013 précité ainsi que deux règlements portant sur les modalités d'application du règlement n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable d'une demande d'asile, relève le caractère irrégulier de l'entrée en France de M. C..., et précise que la consultation du fichier Eurodac a montré que l'intéressé était connu des autorités autrichiennes et italiennes auprès desquelles il avait sollicité l'asile et indique les dates et numéros de ses demandes et mentionne que les autorités italiennes ont donné leur accord, le 9 juillet 2020, à son transfert sur le fondement du d) du 1 de l'article 18 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. L'arrêté, qui prononce le transfert aux autorités italiennes, n'avait pas à faire état de la procédure suivie auprès des autorités autrichiennes. L'arrêté énonce ainsi les considérations de fait et de droit qui le fonde. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté de transfert contesté doit être écarté.
5. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant la Cour et le Tribunal administratif de Paris.
Sur le moyen tiré de ce que l'Autriche serait l'État responsable de sa demande d'asile :
6. Aux termes, premièrement, de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. 1 2. Lorsqu'aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen. (...). 1 Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". Aux termes, deuxièmement, de l'article 18 de ce même règlement : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) 1 d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ". Aux termes, troisièmement, de l'article 29 du même règlement, " 1. Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'État membre requérant vers l'État membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'État membre requérant, après concertation entre les États membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de 1'acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. (...) 1 2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite (...) ".
7. Si, en application des critères, tels que prévus par l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 précité, l'Italie n'était initialement pas responsable de la demande d'asile de M. C..., il ressort du refus des autorités autrichiennes en date du 09 juillet 2020 que l'Italie qui avait été saisi le 7 novembre 2016, par l'Autriche, en sa qualité alors d'État membre responsable, n'a pas renvoyé l'intéressé dans ce dernier pays dans les délais requis par les dispositions de l'article 29 du règlement précité, en dépit de l'accord qu'elle avait obtenu de l'Autriche le 15 novembre 2016, de sorte que les autorités italiennes étaient devenues, en conséquence, l'État membre responsable de la demande d'asile de l'intéressé, en application de ce même article. Dès lors, M. C..., n'est pas fondé à soutenir qu'en application des articles 3 et 18 du règlement (UE) n° 604/3013 précité, l'Autriche devait être regardée comme l'État responsable de sa demande d'asile, en tant que premier pays dans lequel ses empreintes avaient été enregistrées. Le moyen tiré de ce que l'Autriche serait l'État responsable de sa demande d'asile ne peut qu'être écarté.
Sur la méconnaissance de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du Parlement et du Conseil en date du 26 juin 2013 :
8. M. C..., s'est vu remettre, dès le 2 juillet 2020, les brochures A, intitulée " J'ai demandé 1'asile dans 1'Union européenne - Quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et B intitulée " je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", éditées en pachtou, langue qu'il a déclaré comprendre et dans laquelle il a souhaité, le cas échant, être entendu devant 1'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). L'intéressé a, en outre, signé la première page de chacun de ces documents sans émettre de réserves. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance du droit à l'information sur le traitement de sa demande de protection internationale qu'il tient des stipulations de l'article 4 du règlement (UE) du 26 juin 2013 doit être écarté.
Sur la méconnaissance de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du Parlement et du Conseil en date du 26 juin 2013 :
9. M. C... a bénéficié, le 2 juillet 2020, d'un entretien individuel réalisé par un agent qualifié dans les locaux de la préfecture de police, assisté d'un interprète en langue pachtou. L'intéressé a signé le compte-rendu d'entretien et déclaré qu'il en avait compris l'ensemble des termes. Il ne développe aucun élément de nature à établir que cet entretien, ne se serait pas déroulé dans les conditions prévues par les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, alors que l'absence d'indication de l'identité de l'agent de préfecture ayant conduit cet entretien individuel n'a pas privé l'intéressé de la garantie tenant au bénéfice de cet entretien et de la possibilité de faire valoir toutes observations utiles. Par suite le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 5 du règlement (UE) du 26 juin 2013 relatives à l'entretien individuel du demandeur d'asile doit être écarté.
Sur la méconnaissance de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du Parlement et du Conseil en date du 26 juin 2013 :
10. En premier lieu, la faculté pour les autorités françaises d'examiner, au titre des stipulations de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 précité, une demande d'asile présentée par un ressortissant d'un État tiers, alors que cet examen ne leur incombe pas, relève de 1'entier pouvoir discrétionnaire du préfet et ne constitue pas un droit pour les demandeurs d'asile. La circonstance que la demande d'asile d'un ressortissant d'un État tiers a fait l'objet d'un rejet définitif dans l'un des pays membres de l'Union, alors que le demandeur d'asile soutient craindre des traitements inhumains et dégradants dans son pays d'origine, ne créé pas cependant par elle-même une obligation pour le préfet de police d'admettre 1'intéressé à déposer une nouvelle demande d'asile en France, dès lors que la procédure prévue par le règlement n° 604/2013 précité a pour objectif principal d'éviter le dépôt de demandes d'asile successives ou simultanées dans chacun des pays européens entre lesquels a été établie une liberté de circulation.
11. En second lieu, M. C... ne donne aucun détail sur les conditions de son séjour en Italie, ne justifie pas davantage de circonstances qui justifieraient la mise en oeuvre, par le préfet de police, de ces dispositions alors qu'il ne réside sur le territoire français que depuis quelques mois. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 précité doit être écarté.
Sur la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
12. M. C... ne développe aucun élément à l'appui du moyen tiré de ce que la décision de transfert vers l'Italie porterait atteinte à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en vertu duquel " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Ce moyen ne pourra qu'être écarté.
13. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement n° 2012922 du 15 septembre 2020, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 14 août 2020 de transfert de M. C... aux autorités italiennes, enjoint au préfet de police de procéder au réexamen de sa demande d'asile et mis la somme de 800 euros à la charge de l'État.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. C... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement du 15 septembre 2020 du Tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : La demande de première instance de M. C... est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. C... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. D... C....
Copie en sera adressée, pour information, au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 11 février 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Formery, président de chambre,
- M. Platillero, président-assesseur,
- Mme B..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 mars 2021.
Le rapporteur,
I. B...Le président,
S.-L. FORMERY
La greffière,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA02982