Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 6 avril 2018 et le 25 novembre 2020, M. B..., représenté par Me E..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1509373 du 6 février 2018 du Tribunal administratif de Melun ;
2°) de condamner l'État à lui verser la somme de 43 356,50 euros en réparation des préjudices liés au harcèlement moral qu'il estime avoir subi ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre du remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens de première instance ainsi que la somme de 2 100 euros sur le fondement du même article en cause d'appel.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier car sa minute ne comporte pas les signatures obligatoires ;
- le tribunal aurait dû faire usage de ses pouvoirs d'instruction pour obtenir le témoignage des agents du bureau des métiers sur les faits de harcèlement moral dont il a été victime ;
- le tribunal a commis une erreur de droit en estimant qu'il n'avait pas été victime d'un harcèlement moral ;
- l'ensemble des agissements de sa hiérarchie, pris dans leur globalité, caractérise un harcèlement moral à son encontre ;
- ce harcèlement moral qui s'est traduit notamment par l'attribution d'une indemnité de fonctions et d'objectifs inférieure à celle que percevait son prédécesseur pour le même emploi, à une détérioration de son état de santé qui l'ont conduit à être placé en congés maladie et s'est achevé par la sanction disciplinaire de réintégration dans son ancien emploi au centre de détention pénitentiaire de Fresnes est à l'origine d'un préjudice matériel et moral qu'il évalue à la somme globale de 43 356,50 euros.
Par un mémoire en défense enregistré, le 21 septembre 2020, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 ;
- le décret n° 2006-441 du 14 avril 2006 ;
- le décret n° 2010-1711 du 30 décembre 2010 ;
- les décrets n° 2020-1404 et n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- l'arrêté du 12 mars 2009 relatif à la déconcentration de la gestion de certains personnels relevant des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de Mme Lescaut, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... détient, depuis 2003, le grade de lieutenant pénitentiaire qui relève du corps de commandement du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire. Alors qu'il était affecté au centre pénitentiaire de Fresnes, il a été mis à disposition de l'administration centrale pour une durée indéterminée, par un arrêté du 18 avril 2013, qui a pris effet à la date du 1er juillet 2013, pour exercer les fonctions de chef d'unité des métiers au sein du bureau des métiers, du recrutement et de la formation (RH7) de la sous-direction des ressources humaines et des relations sociales de la direction de l'administration pénitentiaire du ministère de la justice. Par un arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice du 27 août 2015, il a été mis fin à la mise à disposition de M. B... qui a été affecté au centre pénitentiaire de Fresnes à compter du 7 septembre 2015. S'estimant victime de faits de harcèlement moral dans l'exercice de ses fonctions, M. B... a présenté, le 7 novembre 2015, une demande indemnitaire tendant à la réparation du préjudice matériel et moral en résultant. Le silence gardé par l'administration a fait naître une décision implicite de rejet. Par une requête introduite le 20 novembre 2015 au Tribunal administratif de Melun, M. B... a demandé la condamnation de l'État à lui verser la somme de 43 356,50 euros en réparation des préjudices, matériel et moral, qu'il estime avoir subis. Par un jugement du 6 février 2018, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. M. B... fait appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. ".
3. La minute du jugement du 6 février 2018 comporte la signature du rapporteur, du président de la formation de jugement et du greffier d'audience. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative doit être écarté comme manquant en fait.
4. En deuxième lieu, dès lors qu'il estimait que M. B... ne lui avait pas soumis des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral, le tribunal n'était en tout état de cause pas tenu d'ordonner une mesure d'instruction en vue de recueillir le témoignage des agents du service dans lequel était affecté l'intéressé pour vérifier ses allégations.
5. En troisième lieu, le moyen tiré de ce que les premiers juges auraient commis une erreur de droit en estimant que les agissements de l'administration ne relevaient pas de faits de harcèlement moral se rapporte au bien-fondé du jugement et est sans incidence sur sa régularité.
Sur le bien-fondé du jugement :
6. Il résulte du premier alinéa de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 qu'" Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. ". Pour être qualifiés de harcèlement moral, de tels faits répétés doivent excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Il appartient, par ailleurs, à l'agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement et il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement.
7. En premier lieu, M. B... soutient qu'il a fait l'objet d'une discrimination par rapport à son prédécesseur dans la mesure où ce dernier bénéficiait d'une indemnité de fonctions et d'objectifs supérieure à celle qu'il a perçue tout en exerçant exactement les mêmes fonctions. Il résulte néanmoins de l'instruction que M. B... était, dans le cadre de sa position d'activité, mis à disposition de l'administration centrale et continuait à être rémunéré par son administration d'origine selon les modalités antérieures. L'administration fait en outre valoir sans être contredite sur ce point que le montant de l'indemnité de fonctions et d'objectifs de 245,93 euros mensuel perçu par le prédécesseur de M. B... excédait le montant annuel de référence de cette indemnité. Enfin, le requérant n'établit pas que sa manière de servir justifiait qu'il bénéficiât d'une indemnité de fonctions et d'objectifs équivalente à celle de son prédécesseur, alors qu'il ne tient d'aucun texte le droit de bénéficier d'une indemnité identique à celle perçue par ses prédécesseurs. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait fait l'objet d'une discrimination pouvant s'analyser d'un agissement constitutif d'un harcèlement moral.
8. En deuxième lieu, le requérant soutient qu'il a vu ses attributions se réduire et sa rémunération diminuée avant même que la réorganisation de l'administration centrale initiée par le ministère de la justice ne soit effective. Il ne produit cependant aucun élément à l'appui de ses affirmations, alors que le nouveau bureau de recrutement et de la formation des personnels de la nouvelle sous-direction des métiers et de l'organisation des services n'a été créé qu'à compter du 15 septembre 2015, soit postérieurement à sa réintégration, le 7 septembre 2015, dans un emploi au centre pénitentiaire de Fresnes.
9. En troisième lieu, M. B... soutient que des tensions seraient apparues avec sa hiérarchie au cours du premier semestre 2014 à la suite de sa demande de congés pour suivre une formation de type master of business administration (MBA) à raison de deux ou trois jours par mois. L'administration en défense fait valoir, toutefois, sans être contredite que l'intéressé a bénéficié des jours de congés demandés. Par ailleurs, M. B... n'indique pas en quoi une réticence ou une opposition de sa hiérarchie à lui accorder des jours de congés périodiquement tout au long de l'année constituerait un acte ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail et caractériserait ainsi un harcèlement à son encontre.
10. En quatrième lieu, le requérant soutient que ses conditions de travail se sont dégradées, dans un contexte de conflit ouvert avec sa hiérarchie au sujet de la réorganisation de la direction de l'administration pénitentiaire. Selon lui, la demande de sa cheffe de bureau de " rendre sa hiérarchie destinataire de tous les mails qu'il envoyait, sans exception " contreviendrait à l'article 21 du décret du 30 décembre 2010 portant code de déontologie du service pénitentiaire aux termes duquel " L'autorité investie du pouvoir hiérarchique exerce les fonctions de commandement et d'encadrement. A ce titre, elle prend les décisions et les fait appliquer ; elle les traduit par des ordres qui doivent être précis et assortis des explications nécessaires à leur bonne exécution. ". Toutefois, le code de déontologie des personnels de l'administration pénitentiaire ne trouve à s'appliquer qu'au personnel exerçant des fonctions dans l'administration pénitentiaire, ce qui n'était pas le cas de M. B... mis à disposition de l'administration centrale. De plus, la demande de la cheffe de bureau de M. B... - qui a été présentée en vue de permettre une meilleure information de la hiérarchie du requérant - répond à l'intérêt du service et ne présente pas de caractère vexatoire. De même, le requérant n'apporte aucun élément à l'appui de ses allégations selon lesquelles il aurait été isolé au sein du service au mois d'août 2015, alors qu'il a reçu dix-huit courriels relatifs à cinq sujets à caractère professionnel. De même, la dégradation, au demeurant modérée, de l'évaluation de M. B..., les contrôles dont il a fait l'objet pendant ses congés de maladie, le refus de lui allouer une décharge d'activité syndicale à temps plein et le reproche qui lui a été fait d'avoir envoyé des convocations alors qu'il était en arrêt maladie ne revêtent pas de caractère vexatoire ou abusif de nature à caractériser des actes de harcèlement moral.
11. En cinquième lieu, si M. B... soutient qu'il a sombré dans une dépression nerveuse à l'été 2015 pendant quatre mois durant lesquels il a été placé en arrêt de maladie, il ne produit cependant aucun document de nature à établir que son état de santé aurait été en lien avec un harcèlement moral de la part de sa hiérarchie.
12. En dernier lieu, aucun des faits invoqués par le requérant ne révèle de volonté de sa hiérarchie de dégrader ses conditions de travail. Si l'intéressé s'est opposé à la réorganisation du service et à la transformation de son poste qu'il a jugé dévalorisante, cette circonstance n'est pas de nature à établir que ses supérieurs auraient excédé les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Aucun des faits invoqués par le requérant pris isolément ou ensemble ne révèle un harcèlement moral de la part de sa hiérarchie. En l'absence de toute faute de l'administration, le requérant ne peut donc rechercher la responsabilité de l'État.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la Cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par M. B... doivent dès lors être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 14 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Formery, président de chambre,
- M. Platillero, président assesseur,
- Mme C..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 février 2021.
Le rapporteur,
I. C...Le président,
S. L. FORMERY
La greffière,
C. DABERT
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA01146