Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 8 décembre 2017 et 27 juillet 2018, la société Bel de Nuit, représentée par MeB..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1615821 du 10 octobre 2017 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 47 465 euros dont elle disposait au titre du mois de juin 2016, assorti du paiement des intérêts moratoires ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal ne pouvait fonder sa décision sur l'absence de production de factures et de justification du paiement de la somme de 25 597 euros, alors que la décision du service ne reposait sur aucun de ces motifs ;
- les prestations facturées par la société Expérimental Group ont été acquittées, au 31 décembre 2015, par inscription en compte courant d'associé détenu dans ses comptes par cette dernière et la taxe sur la valeur ajoutée correspondante doit être regardée comme ayant été encaissée au sens des dispositions du c du 2 de l'article 269 du code général des impôts ;
- elle justifie par les factures indiquant les montants de taxe sur la valeur ajoutée figurant sur les déclarations déposées au titre de période comprise entre le mois de novembre 2015 et le mois de mai 2016, de la déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 25 597 euros, et partant de son droit à remboursement.
Par un mémoire en défense et un mémoire, enregistrés les 11 avril et 28 août 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au non-lieu à statuer à concurrence du dégrèvement prononcé en cours d'instance et au rejet du surplus des conclusions de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Bel de Nuit ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées de ce que l'arrêt de la Cour était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, tiré de ce que la demande de la société requérante présentée en application de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales pour obtenir des intérêts moratoires est irrecevable en l'absence de litige né et actuel.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lescaut,
- les conclusions de M. Lemaire, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., représentant la société Bel de Nuit.
Considérant ce qui suit :
1. La société à responsabilité limitée (SARL) Bel de Nuit, qui exploite un bar restaurant, a sollicité le 7 juillet 2016 le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 47 465 euros au titre du mois de juin 2016 correspondant, d'une part, à un crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 24 507 euros déclaré au titre du mois de juin 2016, et d'autre part, au report du crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 25 597 euros déclaré par la requérante dans sa précédente déclaration de chiffre d'affaires, déduction faite de la taxe sur la valeur ajoutée collectée de 2 639 euros. La société Bel de Nuit relève appel du jugement en date du 10 octobre 2017 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande de remboursement de ce crédit de taxe sur la valeur ajoutée.
Sur l'étendue du litige :
2. Par une décision du 3 septembre 2018, postérieure à l'enregistrement de la requête, le directeur général des finances publiques de Paris a prononcé le remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée reporté par la société Bel de Nuit dans la déclaration de taxe sur la valeur ajoutée du mois de juin 2016 pour un montant de 25 597 euros. Les conclusions de la requête de la société Bel de Nuit tendant au remboursement de ce crédit de taxe sur la valeur ajoutée de 25 597 euros sont, dans cette mesure, devenues sans objet et il n'y a pas lieu d'y statuer.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à l'intégralité des arguments présentés par la société requérante, ont précisé les motifs de droit et de fait qu'ils ont retenus pour juger, s'agissant des factures produites à l'appui de la demande de la société requérante de remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée de 25 597 euros, que si la société Other Club et la société requérante constituaient une seule et même société dont la dénomination a simplement été modifiée en octobre 2015, les factures produites étaient cependant insuffisantes à justifier la déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée correspondant à sa demande, en l'absence de justificatif permettant d'attester le paiement effectif des factures en cause, et l'encaissement des sommes correspondantes par la société Experimental Group. Ainsi, et contrairement à ce que soutient la société Bel de Nuit, le tribunal, qui a expressément relevé le changement de nom de la société requérante, a répondu à son moyen tiré de ce que les factures libellées au nom de la société Other Club justifiaient l'existence et le montant du crédit demandé de 25 597 euros, lequel ayant trait au bien fondé du crédit de taxe sur la valeur ajoutée et non à la régularité du jugement attaqué ne peut qu'être écarté.
Sur les conclusions tendant au remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée relatif au mois de juin 2016 d'un montant de 24 507 euros :
4. En application de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales, il appartient à la requérante, dont la taxe sur la valeur ajoutée a été établie conformément à ses propres déclarations, de justifier qu'elle remplit les conditions ouvrant droit à la restitution dont elle revendique le bénéfice.
5. Il résulte de l'instruction que la société Bel de Nuit, après avoir déduit de la taxe sur la valeur ajoutée collectée du mois de juin 2016, le montant de taxe déductible pour ce même mois de 23 385 euros auquel s'ajoutait une taxe sur la valeur ajoutée déductible de 1 122 euros au titre d'achats de biens et marchandises, et de diverses prestations de services, a demandé le remboursement dans sa déclaration du mois de juin 2016 d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée de 24 507 euros.
En ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée déductible de 23 385 euros :
6. Aux termes, en premier lieu, du 2 de l'article 269 du même code : " La taxe est exigible : (...) c) Pour les prestations de services autres que celles visées au b bis, lors de l'encaissement des acomptes, du prix, de la rémunération ou, sur option du redevable, d'après les débits. (...) ".
7. La société Other Club, devenue la société Bel de Nuit, a passé avec la société Experimental Group, société dont elle est filiale, plusieurs conventions tendant à lui assurer une assistance dans la gestion de ses actifs ainsi qu'une assistance commerciale, comptable, administrative, juridique et fiscale, en contrepartie desquelles elle lui a versé, au titre de la redevance prévue, la somme totale de 168 206,74 euros hors taxe donnant lieu à un crédit de taxe sur la valeur ajoutée de 23 385 euros.
8. Pour contester la décision de l'administration de lui refuser le remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée de 23 385 euros correspondant à ces prestations, la société Bel de Nuit soutient que la somme totale de 168 206,74 euros hors taxe a été acquittée le 31 décembre 2015 par inscription au compte courant d'associé ouvert dans ses comptes au nom de sa société mère, et fait à cet égard valoir que la taxe sur la valeur ajoutée correspondante doit être regardée comme ayant été encaissée au sens des dispositions du c du 2 de l'article 269 du code général des impôts.
9. Il résulte de l'instruction, notamment du compte courant d'associé 451309 ouvert au nom de la société Expérimental Group dans les livres de la société requérante, et de l'extrait du compte fournisseur dénommé " 99 expérimental " arrêté dans les comptes de celle-ci au 31 décembre 2015, que la société requérante a enregistré à cette date au crédit du compte courant d'associé la somme de 168 206,74 euros, ce qui n'est pas contesté par le ministre qui admet également que la société Expérimental Group est titulaire au 31 décembre 2015 d'une créance de 168 206,74 euros, ainsi qu'en atteste d'ailleurs l'extrait du compte client de la société Bel de Nuit, anciennement dénommée Other Club, figurant dans la comptabilité de la société Expérimental Group. La société Bel de Nuit justifie ainsi que les montants facturés par la société Expérimental Group pour un total de 168 206,74 euros ont été mis à la disposition de sa société mère le 31 décembre 2015 par l'inscription en compte courant d'associé détenu dans ses livres par cette société.
10. L'administration fait cependant valoir en appel, en se fondant sur les dispositions du c) du 2 de l'article 269 du code général des impôts, que la somme de 168 206, 74 euros n'a pas été acquittée par la société requérante, dès lors que l'inscription au crédit du compte courant d'associé de la société Experimental Group n'est qu'une simple écriture de compensation d'une dette au bénéfice de cette dernière société par une écriture au crédit de son compte courant d'associé, qui ne vaut pas paiement effectif de cette somme, à défaut pour elle de prouver ce paiement par chèque, virement bancaire ou tout autre moyen de paiement en vigueur, et du transfert physique des fonds en banque.
11. Toutefois, contrairement à ce que soutient le ministre, l'inscription d'une somme correspondant au règlement d'une facture au crédit d'un compte courant d'associé vaut mise à disposition de cette somme au profit du titulaire du compte. Elle doit, par suite, être regardée comme un encaissement au sens de l'article 269 du code général des impôts. Ainsi, et dès son inscription, cette somme est réputée distribuée à l'associée titulaire du compte et appréhendée par celle-ci, alors même qu'elle n'aurait fait l'objet d'aucun prélèvement. Or, il résulte du point 9 que la société Expérimental Group avait bien la disposition de la somme de 168 206, 74 euros à la date de son inscription le 31 décembre 2015 au crédit de son compte courant d'associé ouvert dans les livres de la société Bel de Nuit. Et il n'est pas contesté que la somme de 168 206,74 euros inscrite au crédit de ce compte courant d'associé correspond aux sommes facturées à la société Bel de Nuit. Enfin, la circonstance invoquée par le ministre selon laquelle la société Expérimental Group n'aurait déclaré qu'une somme, toutes taxes comprises, de 107 376 euros, ne fait pas obstacle à ce que la somme de 168 206,74 euros soit regardée comme ayant été effectivement mise à sa disposition par son inscription au crédit de son compte courant d'associé.
12. En second lieu, en vertu des dispositions combinées des articles 271, 272 et 283 du code général des impôts, un contribuable n'est pas en droit de déduire de la taxe sur la valeur ajoutée dont il est redevable à raison de ses propres opérations la taxe mentionnée sur une facture établie à son nom par une personne qui ne lui a fourni aucun bien ou aucune prestation de services. Dans le cas où l'auteur de la facture était régulièrement inscrit au registre du commerce et des sociétés et assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée, il appartient à l'administration, si elle entend refuser à celui qui a reçu la facture le droit de déduire la taxe qui y était mentionnée, d'établir qu'il s'agissait d'une facture fictive ou d'une facture de complaisance. Si l'administration apporte des éléments suffisants permettant de penser que la facture ne correspond pas à une opération réelle, il appartient alors au contribuable d'apporter toutes justifications utiles sur la réalité de cette opération.
13. Ainsi qu'il est rappelé au point 7, la société Other Club devenue la société Bel de Nuit a passé avec la société Experimental Group, son unique actionnaire, plusieurs conventions signées les 13 septembre 2010, 1er janvier 2013, 2014 et 2015 tendant à lui assurer une assistance dans la gestion de ses actifs et une assistance commerciale, comptable, administrative, juridique et fiscale, en contrepartie desquelles elle versait à sa société mère, une redevance mensuelle entrant dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajouté. L'administration soutient en appel que les factures d'honoraires de la société Expérimental Group à l'intention de sa filiale ne correspondaient à aucune opération réelle, faisant valoir que les conventions présentées sont insuffisantes à établir la réalité de ces prestations. Il ressort cependant des conventions conclues entre la société Experimental Group et sa filiale que la nature des prestations rendues, d'ailleurs conformes aux statuts de la société mère, ainsi que leur mode de rémunération sont explicitées par celles-ci. Les affirmations de l'administration, contestées par la société requérante, selon lesquelles les factures correspondant à ces prestations, où ne figure aucune mention relative à un quelconque paiement, ont un libellé imprécis et une rémunération peu explicite, alors qu'il existe des discordances entre les prix stipulés dans les conventions et les prix facturés, ne sont toutefois assorties d'aucun élément de justification. L'administration n'apporte ainsi pas la preuve qui lui incombe du caractère fictif des prestations facturées par la société Expérimental Group.
14. Il résulte des points 9, 11 et 13 que la société Bel de Nuit est fondée à demander le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée de 20 733 euros, correspondant à la taxe sur la valeur ajoutée déductible de 23 372 euros, déduction faite de la taxe sur la valeur ajoutée collectée du mois de juin 2016 de 2 639 euros.
En ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée déductible de 1 122 euros :
15. La société requérante ne justifie pas de son droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 1 122 euros supportée lors de l'acquisition de marchandises et du paiement de prestations de services, à défaut de produire les factures précisément identifiées correspondantes.
16. Il résulte de tout ce qui précède que la société Bel de Nuit est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté le surplus des conclusions de sa demande tendant au remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée de 20 733 euros correspondant à la taxe sur la valeur ajoutée appliquée aux prestations fournies par la société Expérimental Group pour un montant de 23 372 euros, déduction faite de la taxe sur la valeur ajoutée collectée du mois de juin 2016 de 2 639 euros.
Sur la demande d'intérêts moratoires :
17. Ainsi qu'en ont été informées les parties, en l'absence de litige né et actuel entre la société requérante et le comptable chargé du recouvrement, les conclusions de la requête tendant au versement d'intérêts moratoires doivent être rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
18. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
19. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 2 500 euros au titre des frais exposés par la société Bel de Nuit dans le cadre de la présente instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de la société Bel de Nuit tendant au remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 25 597 euros accordé en cours d'instance.
Article 2 : L'État remboursera à la société Bel de Nuit une somme de 20 733 euros correspondant à la taxe sur la valeur ajoutée de 23 372 euros appliquée aux prestations fournies par la société Expérimental Group, déduction faite de la taxe sur la valeur ajoutée collectée du mois de juin 2016 de 2 639 euros.
Article 3 : Le jugement n° 1615821 du 10 octobre 2017 du Tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'État versera une somme de 2 500 euros à la société Bel de Nuit au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Bel de Nuit est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Bel de Nuit et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris (pôle fiscal parisien 2 - service du contentieux d'appel déconcentré).
Délibéré après l'audience du 4 octobre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Formery, président de chambre,
- Mme Poupineau, président assesseur,
- Mme Lescaut, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 18 octobre 2018.
Le rapporteur,
C. LESCAUTLe président,
S.-L. FORMERY
Le greffier,
N. ADOUANE
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA03749