Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 17 mars 2021, le préfet du Val-de-Marne, représenté par Me E..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le Président du Tribunal administratif de Melun du 22 février 2021 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le Tribunal administratif de Melun.
Il soutient que :
- c'est à tort que le magistrat désigné par le Président du tribunal administratif a fait droit au moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation affectant le refus de mettre en oeuvre la clause discrétionnaire de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- les autres moyens soulevés devant le Tribunal administratif ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 avril 2021, M. B..., représenté par Me A..., conclut à titre principal au non-lieu à statuer, à titre subsidiaire au rejet de la requête, et en tout état de cause à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- sa demande d'asile a été enregistrée par l'OFPRA ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n ° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n ° 604/2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003, modifié par le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant afghan né le 10 mai 2001 à Qarabagh, Ghazni (Afghanistan), qui est entré irrégulièrement sur le territoire français, après avoir transité, notamment, par la Suède en octobre 2015, a, le 26 novembre 2020, sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. A la suite de la consultation du fichier " Eurodac ", le préfet du Val-de-Marne a, le 5 décembre 2020, saisi les autorités suédoises aux fins de reprise en charge de l'intéressé. Ces autorités ayant, le 10 décembre 2020, accepté de le reprendre en charge, le préfet du Val-de-Marne a, par un arrêté du 30 décembre 2020, décidé de transférer M. B... vers la Suède. Il fait appel du jugement du 22 février 2021 par lequel le magistrat désigné par le Président du Tribunal administratif de Melun a annulé cet arrêté.
Sur les conclusions de M. B... à fin de non-lieu à statuer :
2. Contrairement à ce que soutient M. B..., l'enregistrement de sa demande d'asile par l'OFPRA, en exécution de l'injonction prononcée à l'article 3 du jugement attaqué, ne prive pas d'objet l'appel du préfet du Val-de-Marne contre ce jugement.
Sur la requête du préfet du Val-de-Marne :
3. Aux termes de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
4. Pour annuler l'arrêté en litige comme entaché d'une erreur manifeste d'appréciation affectant le refus de mettre en oeuvre la clause discrétionnaire de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, cité ci-dessus, le premier juge s'est fondé sur le risque de renvoi de M. B... et de sa mère, Mme F..., en Afghanistan compte tenu du rejet définitif de leur demande d'asile par les autorités suédoises, sur les menaces auxquelles ils seraient exposés en Afghanistan, notamment compte tenu de leur conversion au christianisme, sur son état de santé, jugé préoccupant compte tenu d'une tentative de suicide, sur l'état dépressif de sa mère qui suit un traitement médical lourd, et sur le risque d'une séparation de M. B... et de sa mère ainsi que de ses frère et soeur compte tenu de l'annulation, par un jugement n° 2100703 du magistrat désigné par le Président du Tribunal administratif de Melun du 9 février 2021, de l'arrêté du 30 décembre 2020 par lequel le préfet du Val-de-Marne avait prononcé le transfert de Mme F... aux autorités suédoises.
5. Toutefois l'arrêté en litige ne prononce pas l'éloignement de M. B... à destination de l'Afghanistan, mais seulement son transfert vers la Suède. Or, la Suède, Etat membre de l'Union européenne, est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. De plus, M. B... ne produit aucun élément de nature à établir que sa demande de protection internationale n'aurait pas été traitée dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Si M. B... persiste à soutenir que son retour en Afghanistan serait certain en cas de transfert en Suède compte tenu du rejet définitif de sa demande d'asile, et qu'il craint des persécutions en cas de retour dans ce pays, il ne ressort pas des pièces du dossier que les autorités suédoises, alors même que sa demande d'asile a été rejetée, l'éloigneront à destination de l'Afghanistan, sans procéder, préalablement, à une évaluation des risques auxquels il serait exposé en cas d'exécution d'une telle mesure d'éloignement, notamment compte tenu de son état de santé et de celui de sa mère. M. B... n'établit d'ailleurs pas ne pas avoir effectivement eu accès aux soins que requiert son état, en Suède. Il ne saurait enfin se prévaloir du jugement du 9 février 2021 annulant l'arrêté du 30 décembre 2020 par lequel le préfet du Val-de-Marne avait prononcé le transfert de Mme F... aux autorités suédoises, pour soutenir qu'il risquerait de se trouver séparé de sa mère ainsi que de ses frère et soeur, ce jugement étant postérieur à l'arrêté en litige. Dans ces conditions, le préfet du Val-de-Marne est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le Président du tribunal administratif a annulé l'arrêté en litige comme entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
6. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le magistrat désigné par le Président du Tribunal administratif de Melun, et en appel.
Sur les autres moyens soulevés par M. B... :
7. En premier lieu, l'arrêté litigieux, après avoir visé le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, mentionne les éléments de fait de la situation de M. B..., en rappelant notamment que le relevé de ses empreintes a révélé qu'il avait sollicité l'asile auprès des autorités suédoises préalablement au dépôt de sa demande d'asile en France, que les autorités suédoises, saisies d'une demande de reprise en charge en application de l'article 18 (1) (b) de ce règlement, ont, le 10 décembre 2020, accepté de le reprendre en charge, qu'il ne relève pas des clauses dérogatoires des articles 3 et 17 du règlement, qu'il ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale en France stable et qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie familiale, et enfin qu'il n'établit pas l'existence d'un risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités suédoises. Même si elle ne fait pas mention du caractère définitif du rejet de sa demande d'asile par les autorités suédoises, il ne ressort pas de cette motivation que le préfet du Val-de-Marne ne se serait pas livré à un examen sérieux de sa situation.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du
26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent (...) b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères (...) c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de 1'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ".
9. Il ressort des pièces du dossier que M. B... s'est vu remettre, le 26 novembre 2020, à l'occasion de l'entretien individuel, les documents d'information A et B, intitulés respectivement " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande " et " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", qui constituent la brochure commune prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement cité ci-dessus. Ces documents lui ont été remis en langue persane, langue qu'il a déclaré comprendre devant les services de la préfecture. Il ressort également des pièces du dossier qu'il a bénéficié des services d'un interprète en langue persane. Dès lors, le moyen tiré d'une méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
10. En troisième lieu, à la différence de l'obligation d'information instituée par le règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, l'obligation d'information prévue par les dispositions de l'article 29, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013, a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des Etats membres relevant du régime européen d'asile commun. La méconnaissance de cette obligation d'information ne peut donc être utilement invoquée à l'encontre de l'arrêté en litige.
11. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 111-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'un étranger fait l'objet d'une mesure de non-admission en France, de maintien en zone d'attente, de placement en rétention, de retenue pour vérification du droit de circulation ou de séjour ou de transfert vers l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile et qu'il ne parle pas le français, il indique au début de la procédure une langue qu'il comprend. Il indique également s'il sait lire. Ces informations sont mentionnées sur la décision de non-admission, de maintien, de placement ou de transfert (...). Ces mentions font foi sauf preuve contraire. (...) ".
12. Si M. B... soutient qu'il ne sait pas lire, il ressort des mentions portées sur les brochures mentionnées ci-dessus qu'elles lui ont été lues par l'interprète dont il a bénéficié et qu'il les a comprises. Dans ces conditions, il ne saurait utilement se plaindre de l'absence de précision sur ce point dans l'arrêté de transfert.
13. En cinquième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du
26 juin 2013 : " Entretien individuel : 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / 2. (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
14. Il ressort des pièces du dossier, notamment du résumé auquel il a donné lieu, que M. B... a bénéficié d'un entretien individuel le 26 novembre 2020 dans les locaux de la préfecture du Val-de-Marne. Cet entretien a été mené par un agent de la préfecture. En l'absence de tout élément contraire versé au dossier, cet agent doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national. M. B... ne saurait utilement se plaindre de ce que le nom et la qualité de cette personne ne sont pas mentionnés dans le compte rendu de l'entretien, et de ce que cette personne n'aurait pas reçu de délégation du préfet. Le moyen tiré d'une méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit donc être écarté.
15. En sixième lieu, il ressort des pièces produites par le préfet du Val-de-Marne qu'il a, contrairement à ce que M. B... a soutenu devant le magistrat désigné par le Président du tribunal administratif, saisi les autorités suédoises d'une demande de reprise en charge présentée le 5 décembre 2020 en application de l'article 18 (b) du règlement du 26 juin 2013 dans les conditions précisées par le règlement n° 1560/2003, et que les autorités suédoises ont le 10 décembre 2020 fait connaître leur accord. Le moyen tiré d'irrégularités au regard des articles 23 et 25 du règlement du 26 juin 2013 doit donc être écarté.
16. En septième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 5, M. B... ne saurait se prévaloir du jugement du 9 février 2021 par lequel le magistrat désigné par le Président du Tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du préfet du Val-de-Marne du 30 décembre 2020 décidant le transfert de sa mère aux autorités suédoises, pour soutenir qu'il risquerait de se trouver séparé de sa mère ainsi que de ses frère et soeur, en violation de son droit au respect de sa vie privée et familiale.
17. En dernier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 5, l'arrêté en litige a seulement pour objet de renvoyer M. B... en Suède et non en Afghanistan. Les moyens tirés de violations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article L. 712-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 53-1 de la Constitution, en raison des risques qu'il encourrait en cas de retour en Afghanistan, doivent donc être écartés.
18. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Val-de-Marne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le Président du Tribunal administratif de Melun a annulé son arrêté du 30 décembre 2020 décidant la remise de
M. B... aux autorités suédoises.
Sur les conclusions de M. B... présentées sur le fondement des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative :
19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme que M. B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 2 à 4 du jugement n° 2100702 du magistrat désigné par le Président du Tribunal administratif de Melun du 22 février 2021 sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le Tribunal administratif de Melun et ses conclusions présentées devant la Cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. C... B... et à Me A....
Copie en sera adressée au préfet du Val-de-Marne.
Délibéré après l'audience du 21 mai 2021, à laquelle siégeaient :
Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
M. D..., président-assesseur,
M. Pagès, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 juin 2021.
Le rapporteur,
J-C. D...Le président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
K. PETIT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA01384