Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 22 novembre 2018, 15 avril 2019 et
25 avril 2019, la société Urban District, représentée par son gérant M. B..., représentée par
Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 4 octobre 2018 ;
2°) d'enjoindre au préfet de Paris, préfet de la région Ile-de-France de modifier l'autorisation tacite révélée par la lettre du 2 juin 2017 en en supprimant les termes limitant cette autorisation à une durée de trois ans et prévoyant les modalités de renouvellement de cette autorisation ;
3°) si la Cour s'estime insuffisamment éclairée, de saisir la Cour de justice de l'union européenne d'une question sur la compatibilité des articles L. 7122-9 et R. 7122-4 du code du travail avec la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal a, à tort, écarté le moyen tiré de la méconnaissance de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 au motif que celle-ci avait été transposée, sans vérifier qu'elle avait fait l'objet d'une transposition complète et exacte ;
- la décision attaquée est contraire aux objectifs de la directive, figurant notamment dans ses considérants 43, 46, et 54 et aux conditions posées par celle-ci à son article 11 pour le maintien d'autorisations à durée déterminée ;
- l'Etat ne s'est pas acquitté de son obligation de transposition complète et exacte dès lors qu'aucune des dispositions de l'article 12 de la loi n° 2011-302 du 22 mars 2011 ne respecte l'objectif de simplification administrative posé au considérant 43 de la directive et que le décret n° 2011-994 du 23 août 2011 ne contient aucune disposition de transposition destinée à simplifier le régime d'obtention de la licence d'entrepreneur de spectacles en organisant un renouvellement automatique ;
- il n'est pas justifié d'un motif impérieux d'intérêt général satisfaisant aux critères des articles 10 et 16 de la directive dès lors notamment que la durée limitée de l'autorisation et la nécessité d'un renouvellement ne respectent pas l'objectif de nécessité ;
- le maintien d'un régime d'autorisation à durée limitée en matière de spectacles alors que la liberté artistique devrait être traitée de manière identique à la liberté d'expression, contrevient à l'objectif posé par le considérant 15 de la directive et révèle une transposition incomplète de cette directive ;
- le préfet de police étant l'autorité de régulation en charge de la délivrance des licences aux entrepreneurs de spectacles vivants, tout en étant ès qualité membre du conseil d'administration de diverses entreprises de spectacles, se trouve en situation de conflit d'intérêts, de même que le ministre qui définit la politique gouvernementale en matière de spectacles vivants, tout en étant membre de droit de diverses structures mettant en oeuvre des programmes culturels concurrentiels, et dès lors les mémoires en défense de l'un comme de l'autre sont irrecevables ;
- le maintien d'une autorisation à durée déterminée contrevient à la liberté artistique ;
- il porte aussi atteinte à la diversité des expressions culturelles protégée par la convention de l'Unesco ;
- il crée une discrimination à l'égard des entreprises privées légales et en raison de la situation de conflit d'intérêts dans laquelle se trouve le préfet de police ;
- le ministre de la culture n'a pas d'intérêt à intervenir dans la présente instance ;
- le ministre n'est pas recevable à défendre dans cette instance dès lors que la délivrance des licences relève d'un pouvoir propre du préfet de région en application de l'article R. 7122-4 du code du travail.
Par des mémoires en défense enregistrés les 26 mars 2019 et 30 avril 2019 le ministre de la culture demande à la Cour de rejeter la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 15 avril 2019, la clôture de l'instruction a été reportée au
30 avril 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2006/123/CE du parlement européen et du conseil du 12 décembre 2006 ;
- la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 ;
- la loi n° 2011-302 du 22 mars 2011 ;
- le décret n° 2011-994 du 23 août 2011 ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par courrier du 2 juin 2017 de la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) d'Ile-de-France, M. A... B..., gérant de la société Urban District, a été informé qu'il était titulaire d'une licence d'entrepreneur de spectacles vivants valable trois ans depuis le
22 juin 2016. Par courrier du 27 juin 2017, M. B... a demandé au préfet de la région
Ile-de-France de supprimer de la lettre du 2 juin 2017 la mention " pour une durée de trois ans " ainsi que le paragraphe indiquant les modalités de renouvellement des licences. Le préfet de la région Ile-de-France a rejeté sa demande par décision du 4 juillet 2017 dont la société Urban district a saisi le Tribunal administratif de Paris. Celui-ci a toutefois rejeté la demande par jugement du 4 octobre 2018 dont cette société interjette appel.
Sur les fins de non-recevoir opposées aux écritures en défense du ministre :
2. Aux termes de l'article R. 431-12 du code de justice administrative relatif à la représentation de l'Etat devant les cours administratives d'appel : " L'Etat est dispensé du ministère d'avocat soit en demande, soit en défense, soit en intervention. / Les recours, les mémoires en défense et les mémoires en intervention présentés au nom de l'Etat sont signés par le ministre intéressé ".
3. En application de ces dispositions la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le ministre n'aurait pas eu qualité pour présenter des observations en défense dans la présente instance.
4. Par ailleurs la circonstance que tant le préfet de région que le ministre de la culture soient amenés à siéger en leur qualité de représentants de l'Etat au conseil d'administration de divers organismes à caractère culturel et établissements de spectacles, n'est pas de nature à créer une situation de conflits d'intérêts qui s'opposerait à ce qu'ils puissent représenter l'Etat en justice, devant le tribunal pour le préfet, et devant la Cour pour le ministre.
Sur le bien-fondé du jugement :
5. La transposition en droit interne des directives communautaires, qui est une obligation résultant du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, revêt, en vertu de l'article 88-1 de la Constitution, le caractère d'une obligation constitutionnelle. Il appartient au juge national, juge de droit commun de l'application du droit communautaire, de garantir l'effectivité des droits que toute personne tient de cette obligation à l'égard des autorités publiques. Tout justiciable peut en conséquence demander l'annulation des dispositions règlementaires qui seraient contraires aux objectifs définis par les directives et, pour contester une décision administrative, faire valoir, par voie d'action ou par voie d'exception, qu'après l'expiration des délais impartis, les autorités nationales ne peuvent ni laisser subsister des dispositions réglementaires, ni continuer de faire application des règles, écrites ou non écrites, de droit national qui ne seraient pas compatibles avec les objectifs définis par les directives. En outre, tout justiciable peut se prévaloir, à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d'une directive, lorsque l'État n'a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires.
6. Si la société Urban district soutient que le tribunal aurait à tort écarté son moyen tiré de la méconnaissance de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 au motif que celle-ci avait était transposée, elle ne peut utilement faire état de ce que le juge administratif doit annuler les actes règlementaires incompatibles avec les objectifs et les dispositions impératives d'une directive, la décision attaquée en l'espèce étant un acte individuel.
7. Par ailleurs, c'est à juste titre que le tribunal a relevé que la directive 2006/123/CE avait été transposée dans le droit interne par la loi n° 2011-302 du 22 mars 2011 et par le décret
n° 2011-994 du 23 août 2011 relatif à la licence d'entrepreneur de spectacles vivants, ce qui ne permettait plus à la société Urban district de se prévaloir de la méconnaissance des dispositions de l'article 11 de cette directive, à l'appui de sa requête dirigée contre la décision individuelle attaquée. Elle ne peut que tenter d'exciper de l'incompatibilité des dispositions légales ou réglementaires dont la décision individuelle fait application, aux objectifs de cette directive qu'elles transposent.
8. Aux termes de l'article 9 de la directive 2006/123/CE : " Les Etats membres ne peuvent subordonner l'accès à une activité de service et son exercice à un régime d'autorisation que si les conditions suivantes sont réunies : a) le régime d'autorisation n'est pas discriminatoire à l'égard du prestataire visé ; b) la nécessité d'un régime d'autorisation est justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général ; c) l'objectif poursuivi ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu'un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle ". Aux termes de l'article 11 de la même directive : " 1. L'autorisation octroyée au prestataire ne doit pas avoir une durée limitée, à l'exception des cas suivants : a) l'autorisation fait l'objet d'un renouvellement automatique ou est subordonnée seulement à l'accomplissement continu d'exigences ; b) le nombre d'autorisations disponibles est limité par une raison impérieuse d'intérêt général ; ou c) une durée limitée d'autorisation est justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général. " Enfin, l'article 4 de cette directive dispose que : " Aux fins de la présente directive, on entend par : (...) " raisons impérieuses d'intérêt général ", des raisons reconnues comme telles par la jurisprudence de la Cour de justice, qui incluent les justifications suivantes : l'ordre public, la sécurité publique, la santé publique, la préservation de l'équilibre financier du système de sécurité sociale, la protection des consommateurs, des destinataires de services et des travailleurs, la loyauté des transactions commerciales, la lutte contre la fraude, la protection de l'environnement et de l'environnement urbain, la santé des animaux, la propriété intellectuelle, la conservation du patrimoine national historique et artistique, des objectifs de politique sociale et des objectifs de politique culturelle ".
9. Il est constant que le régime d'autorisation d'une durée de trois ans renouvelable instauré par les articles L. 7122 et R. 7122-4 du code du travail, s'applique à toute personne souhaitant produire des spectacles vivants, et ne revêt pas, dès lors, de caractère discriminatoire à l'égard de la société Urban district. Par ailleurs, ce régime d'autorisation temporaire ayant notamment pour objet la préservation de l'équilibre financier du système de sécurité sociale, la protection des travailleurs de ce secteur, la protection littéraire et artistique et des objectifs de politique culturelle, il est dès lors justifié par des raisons impérieuses d'intérêt général telles que définies par l'article 4 cité ci-dessus de la directive. Par ailleurs, si d'autres mécanismes que l'autorisation à durée déterminée, tels que le recours aux tribunaux et l'inspection du travail permettraient, selon la société Urban district, de poursuivre l'objectif de respect de la règlementation du travail, ils ne peuvent tenir lieu de contrôle régulier et automatique du respect de cette règlementation, de la préservation de l'équilibre financier du système de sécurité sociale, et de la protection littéraire et artistique, et dès lors ni l'existence de ces contrôles, ni le rapport d'évaluation du dispositif, établi en septembre 2016 par l'inspection générale du travail, recensant les limites et imperfections du régime instauré par les dispositions des articles L. 7122 et R. 7122-4 du code du travail, ne permettent d'établir que l'instauration d'un régime d'autorisation temporaire serait disproportionné par rapport aux objectifs de protection poursuivis et que ceux-ci pourraient être atteints par une mesure moins contraignante.
10. Ce régime d'autorisation pour une durée de trois ans renouvelable étant justifié par des raisons impérieuses d'intérêt général, proportionné aux objectifs poursuivis, et compatible avec les dispositions des articles 9 et 11 de la directive 2006/123/CE, il n'est pas contraire à l'objectif de simplification administrative exposé au considérant 43 de la même directive. La société Urban district n'est donc pas fondée à déduire du maintien de ce régime, que cette directive 2006/123/CE n'aurait été qu'imparfaitement transposée en droit interne.
11. Par ailleurs, ainsi que l'ont à juste titre retenu les premiers juges, le maintien de ce régime d'autorisation à durée limitée en matière de spectacles vivants, justifié par une raison impérieuse d'intérêt général, ne contrevient pas au principe de liberté artistique, tel qu'énoncé notamment par l'article 2 de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, sans que la société Urban district puisse utilement faire état des origines historiques de ce régime d'autorisation. De plus, contrairement à ce qui est soutenu, ce principe de renouvellement périodique de l'autorisation n'a ni pour objet ni pour effet de permettre à l'administration de se prononcer sur la qualité du travail fourni par le pétitionnaire au cours des trois années précédentes, ni de créer une " police des spectacles " mais seulement de s'assurer du respect des conditions légales d'exercice des sociétés de spectacles vivants.
12. En outre, à supposer même qu'en l'absence de toute atteinte par ce régime à la liberté artistique ou à la liberté d'expression, la société Urban district puisse néanmoins rappeler utilement que la CJCE n'autorise les mesures nationales restrictives de l'exercice des libertés fondamentales garanties par le traité que si elles s'appliquent de manière non discriminatoire, répondent à des raisons impérieuses d'intérêt général, sont propres à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre, ces conditions sont, en tout état de cause, satisfaites en l'espèce. Il est en effet constant que ce régime, qui s'applique à tout entrepreneur de spectacles vivants, ne présente pas de caractère discriminatoire, et il résulte de ce qui précède qu'il obéit à des raisons impérieuses d'intérêt général. Enfin il n'est pas établi, en dépit des allégations de la société Urban district, qu'il ne serait pas propre à garantir les objectifs qu'il poursuit, ni qu'il irait au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs. Le moyen tiré de la méconnaissance du principe de liberté artistique ne peut ainsi, en tout état de cause, qu'être écarté.
13. Par ailleurs la société Urban district ne justifie pas en quoi le maintien d'un régime de licence d'une durée limitée porterait atteinte, comme elle le soutient, à la diversité des expressions culturelles protégée par la convention de l'Unesco, dont les dispositions ne sont au demeurant pas directement opposables dans l'ordre juridique interne ;
14. Enfin aux termes du 6° de l'article 14 de la directive mentionnée ci-dessus : " Les États membres ne subordonnent pas l'accès à une activité de services ou son exercice sur leur territoire au respect de l'une des exigences suivantes : (...) " l'intervention directe ou indirecte d'opérateurs concurrents, y compris au sein d'organes consultatifs, dans l'octroi d'autorisations ou dans l'adoption d'autres décisions des autorités compétentes, à l'exception des ordres et associations professionnels ou autres organisations qui agissent en tant qu'autorité compétente ; cette interdiction ne s'applique ni à la consultation d'organismes tels que les chambres de commerce ou les partenaires sociaux sur des questions autres que des demandes d'autorisation individuelles ni à une consultation public ". L'article 4 de la directive, précise que l'on entend par autorité compétente : " tout organe ou toute instance ayant, dans un État membre, un rôle de contrôle ou de réglementation des activités de services, notamment les autorités administratives, y compris les tribunaux agissant à ce titre, les ordres professionnels et les associations ou autres organismes professionnels qui, dans le cadre de leur autonomie juridique, réglementent de façon collective l'accès aux activités de services ou leur exercice ".
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15. En application de ces dispositions, comme le relève à juste titre le ministre, le préfet et lui-même doivent être regardés comme des " autorités compétentes " et non des opérateurs concurrents des entrepreneurs de spectacles vivants et, alors même qu'ils sont amenés à participer, non en leur nom personnel mais en leur qualité de représentants de l'Etat, au conseil d'administration de divers établissements de spectacles, ils ne se trouvent pas en situation de conflit d'intérêts. La société Urban district n'est par suite pas fondée à invoquer l'existence d'un tel conflit pas plus qu'à mettre en cause, sans le moindre commencement de preuve, l'objectivité de ces autorités administratives dans l'instruction et la délivrance des licences de spectacles vivants ou dans leur renouvellement.
Sur les conclusions tendant à ce que la Cour saisisse la Cour de justice de l'union européenne d'une question sur la compatibilité des articles L. 7122-9 et R. 7122-4 du code du travail avec la directive 2006/123/CE :
16. Il ressort de tout ce qui vient d'être dit que les dispositions de l'article 11 de cette directive ne posent pas de difficulté d'interprétation. Ces conclusions ne peuvent dès lors qu'être rejetées. 17. Il résulte de tout ce qui précède que la société Urban district n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Sa requête ne peut par suite qu'être rejetée, y compris ses conclusions à fins d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Urban district est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Urban district et au ministre de la culture.
Délibéré après l'audience du 20 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- Mme D... premier conseiller.
Lu en audience publique, le 10 novembre 2020.
Le rapporteur,
M-I. D...Le président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
T. ROBERT
La République mande et ordonne au ministre de la culture en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA03646