Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 29 mars 2019, le ministre de l'intérieur demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 31 janvier 2019 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. F... devant le tribunal administratif.
Il soutient que c'est à tort que le tribunal administratif a admis la recevabilité de la demande présentée par M. F... contre un avis émis sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure, alors qu'un tel avis ne constitue pas un acte faisant grief.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 24 juin et le 25 juillet 2019,
M. F..., représenté par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 2 000 euros soit mis à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens invoqués par le ministre ne sont pas fondés.
Par deux mémoires, enregistrés les 2 et 24 juillet 2019, la Régie autonome des transports parisiens (RATP), représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris du 31 janvier 2019 ;
2°) de mettre à la charge de M. F... le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a admis la recevabilité de la demande présentée par M. F... contre un avis émis sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure, alors qu'un tel avis ne constitue pas un acte faisant grief ;
- la demande de M. F... devant le tribunal administratif était en tout état de cause tardive au regard du délai de quinze jours prévu au neuvième alinéa du même article ;
- le licenciement de M. F..., qui se trouvait en période de stage, était justifié par une cause réelle et sérieuse ;
- la RATP a intérêt et qualité pour faire appel du jugement attaqué.
Par une ordonnance du 9 juillet 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 31 juillet 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. E...,
- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,
- les observations de Mme B..., pour le ministre de l'intérieur,
- et les observations de Me A..., pour la RATP.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que, par un jugement du 31 janvier 2019, le Tribunal administratif de Paris a, à la demande de M. F..., annulé l'avis d'incompatibilité émis à son encontre le 22 février 2018 par le ministre de l'intérieur en application de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure. Le ministre de l'intérieur fait appel de ce jugement.
2. Aux termes de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction applicable en l'espèce, issue de l'article 5 de la loi n° 2017-258 du 28 février
2017 : " Les décisions de recrutement et d'affectation concernant les emplois en lien direct avec la sécurité des personnes et des biens au sein d'une entreprise de transport public de personnes ou d'une entreprise de transport de marchandises dangereuses soumise à l'obligation d'adopter un plan de sûreté peuvent être précédées d'enquêtes administratives destinées à vérifier que le comportement des personnes intéressées n'est pas incompatible avec l'exercice des fonctions ou des missions envisagées. / Si le comportement d'une personne occupant un emploi mentionné au premier alinéa laisse apparaître des doutes sur la compatibilité avec l'exercice des missions pour lesquelles elle a été recrutée ou affectée, une enquête administrative peut être menée à la demande de l'employeur ou à l'initiative de l'autorité administrative. / L'autorité administrative avise sans délai l'employeur du résultat de l'enquête. / La personne qui postule pour une fonction mentionnée au même premier alinéa est informée qu'elle est susceptible, dans ce cadre, de faire l'objet d'une enquête administrative dans les conditions du présent article. / L'enquête précise si le comportement de cette personne donne des raisons sérieuses de penser qu'elle est susceptible, à l'occasion de ses fonctions, de commettre un acte portant gravement atteinte à la sécurité ou à l'ordre publics. / L'enquête peut donner lieu à la consultation du bulletin n° 2 du casier judiciaire et de traitements automatisés de données à caractère personnel relevant de l'article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, à l'exception des fichiers d'identification. / Lorsque le résultat d'une enquête réalisée en application du deuxième alinéa du présent article fait apparaître, le cas échéant après l'exercice des voies de recours devant le juge administratif dans les conditions fixées au neuvième alinéa, que le comportement du salarié concerné est incompatible avec l'exercice des missions pour lesquelles il a été recruté ou affecté, l'employeur lui propose un emploi autre que ceux mentionnés au premier alinéa et correspondant à ses qualifications. En cas d'impossibilité de procéder à un tel reclassement ou en cas de refus du salarié, l'employeur engage à son encontre une procédure de licenciement. Cette incompatibilité constitue la cause réelle et sérieuse du licenciement, qui est prononcé dans les conditions prévues par les dispositions du code du travail relatives à la rupture du contrat de travail pour motif personnel. / L'employeur peut décider, à titre conservatoire et pendant la durée strictement nécessaire à la mise en oeuvre des suites données au résultat de l'enquête qui lui est communiqué par l'autorité administrative, de retirer le salarié de son emploi, avec maintien du salaire. / Le salarié peut contester, devant le juge administratif, l'avis de l'autorité administrative dans un délai de quinze jours à compter de sa notification et, de même que l'autorité administrative, interjeter appel puis se pourvoir en cassation dans le même délai. Les juridictions saisies au fond statuent dans un délai de deux mois. La procédure de licenciement ne peut être engagée tant qu'il n'a pas été statué en dernier ressort sur ce litige. / Le présent article est applicable aux salariés des employeurs de droit privé, ainsi qu'au personnel des personnes publiques employé dans les conditions du droit privé ou régi par un statut particulier, recrutés ou affectés sur les emplois mentionnés au premier alinéa. / Un décret en Conseil d'Etat fixe la liste des fonctions concernées et détermine les modalités d'application du présent article. ". L'article R. 114-7 du même code fixe la liste des fonctions pour lesquelles l'avis peut être sollicité par l'employeur. Le I et le II de l'article R. 114-8 définissent respectivement les modalités selon lesquelles les demandes d'avis doivent être présentées par l'employeur avant le recrutement ou l'affectation d'une personne sur un emploi correspondant à l'une de ces fonctions, et dans le cas d'un salarié occupant déjà un tel emploi. Le I de l'article R. 114-10 détermine les modalités de la transmission, par le ministre de l'intérieur, du résultat de l'enquête à l'employeur sous la forme d'un avis de compatibilité ou d'incompatibilité à l'issue des enquêtes réalisées en application du I de l'article R. 114-8. Le II de l'article R. 114-10 détermine les modalités de la notification au salarié de l'avis motivé d'incompatibilité à l'issue des enquêtes réalisées en application du II de l'article R. 114-8 et institue, en outre, une procédure particulière de recours administratif devant le ministre de l'intérieur à l'encontre d'un tel avis.
3. L'article L. 113-1 du code de justice administrative dispose : " Avant de statuer sur une requête soulevant une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel peut, par une décision qui n'est susceptible d'aucun recours, transmettre le dossier de l'affaire au Conseil d'Etat, qui examine dans un délai de trois mois la question soulevée. Il est sursis à toute décision au fond jusqu'à un avis du Conseil d'Etat ou, à défaut, jusqu'à l'expiration de ce délai ".
4. La requête du ministre de l'intérieur pose les questions suivantes :
- un avis d'incompatibilité émis à la suite d'une demande présentée par l'employeur sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure est-il susceptible de recours pour excès de pouvoir '
- un avis peut-il être demandé par l'employeur sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure, alors que le salarié se trouve en période de stage '
- quelles conséquences tirer de la circonstance que l'employeur a saisi à tort l'administration d'une demande présentée sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure alors que le salarié est susceptible de relever du deuxième alinéa '
5. Ces questions constituent des questions de droit nouvelles présentant des difficultés sérieuses et susceptibles de se poser dans de nombreux litiges. Dans ces conditions, il y a lieu de surseoir à statuer sur la requête du ministre de l'intérieur et de transmettre le dossier de l'affaire au Conseil d'Etat pour avis sur ces questions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le dossier de la requête du ministre de l'intérieur est transmis au Conseil d'Etat pour examen des questions de droit suivantes :
1°) un avis d'incompatibilité émis à la suite d'une demande présentée par l'employeur sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure est-il susceptible de recours pour excès de pouvoir '
2°) un avis peut-il être demandé par l'employeur sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure, alors que le salarié se trouve en période de stage '
3°) quelles conséquences tirer de la circonstance que l'employeur a saisi à tort l'administration d'une demande présentée sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure alors que le salarié est susceptible de relever du deuxième alinéa '
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête du ministre de l'intérieur jusqu'à l'intervention de l'avis du Conseil d'Etat ou, à défaut, jusqu'à l'expiration du délai de trois mois à compter de la transmission du dossier prévue à l'article 1er.
Article 3 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à la Régie autonome des transports parisiens, à M. C... F... et au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat.
Délibéré après l'audience du 10 septembre 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. E..., président-assesseur,
- Mme Labetoulle, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 octobre 2019.
Le rapporteur,
J-C. E...Le président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
T. ROBERT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 19PA01191 6