Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 24 janvier 2021, M. C..., représenté par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Montreuil du 23 décembre 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté mentionné ci-dessus du 14 septembre 2020 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de l'Oise de procéder à l'effacement de l'intéressé du Fichier SIS ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'un défaut d'examen des pièces du dossier puisqu'il établit son intégration professionnelle et que le premier juge n'a pas examiné les pièces produites en ce sens ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français est insuffisamment motivée et n'a pas été précédée d'un examen approfondi de sa situation personnelle ;
- cette décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il justifie d'une intégration professionnelle et sociale sur le territoire français où il vit de manière continue depuis 2016 avec son épouse et ses deux enfants ;
- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant en raison de la présence de ses deux enfants sur le territoire français, l'un étant scolarisé à l'école maternelle et l'autre étant inscrite à la crèche ;
- la décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire français est illégale en conséquence de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français ;
- cette décision n'a pas été précédée d'un examen particulier de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît le III de l'article L. 511-1 et l'article R. 511-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en ce qu'elle prévoit que l'interdiction prend effet à compter de l'expiration du délai de départ volontaire ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard du III de l'article
L. 511-1 du même code dès lors qu'il vit en France depuis 2016 avec son épouse et ses deux enfants, qui y sont scolarisés, qu'il n'a pas fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement et qu'il ne représente pas une menace à l'ordre public.
Vu les autres pièces du dossier.
La requête a été communiquée au préfet de l'Oise, lequel n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
-le rapport de M. Pagès,
- et les observations de Me Ozeki substituant Me A... pour M. C....
Considérant ce qui suit :
1. Par arrêté du 14 septembre 2020, à la suite d'un contrôle d'identité, la préfète de l'Oise a obligé M. C..., ressortissant ukrainien né le 28 août 1990, à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. M. C... relève appel du jugement du 23 décembre 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. M. C... soutient que le jugement attaqué est irrégulier car le premier juge n'aurait pas procédé à un examen des pièces qui lui étaient soumis, ne faisant aucune mention des pièces attestant de son activité professionnelle. Toutefois, ce moyen relève du bien-fondé du jugement et non de sa régularité et ne peut donc qu'être écarté comme inopérant.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 de ce code : " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
4. La décision attaquée, qui vise les dispositions des textes dont elle fait application, en particulier les article 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, expose avec suffisamment de précision les motifs de fait relatifs à la situation personnelle, familiale et professionnelle de l'intéressé, notamment en ce qui concerne la présence des membres de sa famille sur le territoire français et comporte ainsi l'énoncé des considérations de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté. Par ailleurs, cette motivation ne révèle pas que la préfète de l'Oise ne se serait pas livrée à un examen particulier de la situation de M. C....
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
6. M. C... soutient que la décision attaquée porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale et fait en particulier valoir que son épouse est présente sur le territoire français, que ses enfants sont scolarisés en France et qu'il justifie d'une intégration professionnelle. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le requérant ne justifie pas être présent, ainsi que son épouse et ses enfants, sur le territoire français depuis l'année 2016 et que les époux C... n'ont jamais sollicité l'asile ou tenté de faire régulariser leur situation depuis lors. M. C... n'établit par aucune pièce que sa cellule familiale ne pouvait pas se reconstituer, à la date de la décision attaquée, en Ukraine, pays d'origine, le fait que ses enfants étaient scolarisés en France n'étant pas de nature, à lui seul, et dans les circonstances de l'espèce, à y faire obstacle. M. C... produit, en revanche, et contrairement à ce qui était jugé en première instance, des pièces de nature à établir son intégration professionnelle : exercice d'une activité d'auto-entrepreneur en mars 2019 ; puis activité salariée de peintre au profit de la société Prefa France sur la base d'un contrat à durée déterminée depuis octobre 2019 puis d'un contrat à durée indéterminée à compter du 29 mai 2020 avec une rémunération de 2 200 euros par mois.
Il justifie aussi d'activités bénévoles au profit d'associations. Il témoigne donc d'une volonté d'intégration dans la société française. Toutefois, cette circonstance est insuffisante, compte tenu de l'ensemble des autres circonstances de fait, pour considérer que la préfète de l'Oise, en prenant la décision attaquée, aurait porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de M. C... ou aurait commis une erreur manifeste d'appréciation.
7. En dernier lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990, publiée par décret le 8 octobre 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
8. Ainsi qu'il a été dit au point 6 ci-dessus, d'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier que la cellule familiale ne pouvait pas se reconstituer en Ukraine, à la date de la décision attaquée, d'autre part, la décision attaquée n'a pas vocation à séparer les enfants du requérant ni de leur mère mais avait seulement pour effet de l'obliger à quitter le territoire français. Alors même qu'il n'est fait état d'aucun élément de nature à démontrer que ses enfants ne pouvaient pas l'accompagner, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit donc être écarté.
9. Toutefois, si l'évolution de la situation en Ukraine postérieurement à la date de l'arrêté attaqué est sans incidence sur la légalité dudit arrêté, cette circonstance est de nature à faire obstacle à l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français à destination de l'Ukraine.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français.
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
11. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour (...) Lorsqu'elle ne se trouve pas en présence du cas prévu au premier alinéa du présent III, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. (...) ". Aux termes du huitième alinéa du même article : " La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ".
12. Comme l'a relevé la préfète elle-même, M. C... n'a pas déjà fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement et ne constitue pas une menace pour l'ordre public. En outre, comme il a été dit au point 6, M. C... témoigne d'une volonté d'intégration dans la société française, en particulier professionnelle. Dès lors, M. C... est fondé à soutenir que l'interdiction de retour sur le territoire français, pour une durée d'un an est entachée d'erreur d'appréciation et à en demander, pour ce motif, l'annulation. Au surplus l'interdiction de retour sur le territoire français est entachée d'une erreur de droit dès lors qu'elle fixe comme point de départ de sa durée la date de l'expiration du délai de départ volontaire et non la date de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français en méconnaissance du quatrième alinéa du III de l'article L. 511-1 précité.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Montreuil a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
14. L'annulation de l'interdiction de retour sur le territoire français implique nécessairement l'effacement de cette dernière décision du fichier Système d'information Shengen. Il y a donc lieu d'enjoindre au préfet de l'Oise de procéder à cet effacement dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme de 1 000 euros à la charge de l'Etat au titre des dispositions susvisées sous réserve que Me A... renonce à la part contributive de l'Etat.
DÉCIDE :
Article 1er : La décision du 14 septembre 2020 par lequel la préfète de l'Oise a prononcé une interdiction de retour d'un an sur le territoire français à l'encontre de M. C... est annulée.
Article 2 : Le jugement n° 2010055 du 23 décembre 2020 du Tribunal administratif de Montreuil est reformé en tant qu'il est contraire au présent arrêt.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Oise de procéder à l'effacement de la mention de l'interdiction de retour sur le territoire français de M. C... du fichier Système d'information Shengen, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera une somme de 1 000 euros à Mme A... au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve qu'elle renonce à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., au ministre de l'intérieur et au préfet de l'Oise.
Délibéré après l'audience du 8 mars 2022 à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- M. Niollet, président assesseur,
- M. Pagès, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 mars 2022.
Le rapporteur,
D. PAGES
Le président,
T. CELERIER
La greffière,
K. PETIT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA00416