Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 7 janvier 2022, et un mémoire, enregistré le
28 février 2022, Mme A..., représentée par Me Atger, demande à la Cour dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris du 17 décembre 2021 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de police du 23 novembre 2021 ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer une attestation de demande d'asile ou, à tout le moins, de procéder au réexamen de sa situation, dans un délai de deux semaines et sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la Cour doit procéder à une mesure d'instruction auprès du préfet de police afin qu'il communique l'attestation de réalisation d'une prestation d'interprétariat par ISM le 24 septembre 2021 en langue dioula ;
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de fait concernant les brochures qui lui ont été remises ;
- le jugement attaqué a commis une erreur manifeste d'appréciation en rejetant le moyen tiré de l'absence de la mise en œuvre de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ; il est resté silencieux sur son état de grossesse ;
- le jugement et l'arrêté attaqués ont méconnu l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
Par mémoire en défense, enregistré le 14 février 2022, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris du 14 janvier 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Célérier a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1.Mme A..., ressortissante ivoirienne, qui serait née le 1er janvier 1985 à Abidjan (Côte d'Ivoire) et qui est entrée irrégulièrement sur le territoire français, a, le 24 septembre 2021, sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. Après avoir été informée par le ministère de l'intérieur de ce que le relevé de ses empreintes avait révélé qu'elle avait franchi irrégulièrement les frontières de l'Espagne le 26 juillet 2021, le préfet de police a saisi les autorités espagnoles d'une demande de prise en charge de Mme A... sur le fondement de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Ces autorités ayant accepté de la prendre en charge, le préfet de police a décidé du transfert de Mme A... par un arrêté du 23 novembre 2021. Mme A... fait appel du jugement du 17 décembre 2021 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : / a) des objectifs du présent règlement (...) / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ".
3. Aux termes de l'article 5 du même règlement : " 1. Afin de faciliter
le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...). / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / (...) ".
4. Aux termes de l'article L. 141-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque les dispositions du présent code prévoient qu'une information ou qu'une décision doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits dans cette langue, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur une liste établie par le procureur de la République ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger ".
5. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou s'il a privé les personnes intéressées par ces actes d'une garantie. Par suite, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un tel moyen d'apprécier si l'intéressée a été, en l'espèce, privée de cette garantie ou, à défaut, si cette irrégularité a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de cette décision.
6. Il est constant que la brochure " A " et la brochure " guide du demandeur d'asile " ont été remises en mains propres contre signature à Mme A... en langue française, le
24 septembre 2021. Il ressort des mentions portées sur la page de garde de chacune de ces brochures que, si ces dernières lui ont été délivrées en langue française, langue qu'elle ne comprend pas et alors qu'elle a déclaré ne pas savoir lire, elles lui ont toutefois été lues et traduites dans leur intégralité en langue dioula, langue qu'elle a déclaré comprendre, par le concours d'un interprète d'ISM interprétariat, sans qu'il ressorte des pièces du dossier qu'elles n'auraient pas été intégralement traduites ou comprises, alors qu'elle a signé la vignette indiquant que ces informations ont été portée à sa connaissance en langue dioula par le concours d'un interprète. Si cette vignette ne comporte pas le nom et les coordonnées de l'interprète, l'omission de cette indication n'a pas privé Mme A... d'une garantie en l'espèce. Enfin, il ne ressort pas non plus du compte-rendu de l'entretien du 28 septembre 2021, à l'occasion duquel la brochure " B " lui a été remise, également mené en présence d'un interprète en langue dioula, dont l'identité est mentionnée, que Mme A... aurait formulé des réserves indiquant qu'elle n'aurait pas compris tout ou partie des informations portées à sa connaissance. Elle a, au contraire, déclaré avoir compris la procédure engagée à son encontre et certifié à l'issue de l'entretien que l'information sur les règlements communautaires lui a été remise. Ainsi, dans ces circonstances, alors même que les brochures lui ont été remises en langue française, Mme A... n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait été privé d'une garantie et que l'arrêté contesté aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière. Par suite, sans qu'il soit besoin d'ordonner la mesure d'instruction demandée, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement UE du n° 604/2013 du 26 juin 2013 et de l'article L. 141-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être rejetés.
7. En second lieu, aux termes de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".
8. D'une part, Mme A... ne peut utilement soutenir que le tribunal administratif de Paris n'aurait pas répondu au moyen tiré de l'absence de mise en œuvre de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 en raison de son état de grossesse qui nécessiterait un suivi médical et ferait obstacle à ce qu'elle soit transférée en Espagne alors qu'il ressort des pièces du dossier qu'elle n'a pas fait état de ces éléments devant lui. D'autre part, Mme A..., dont la grossesse médicalement constatée remonte au 15 novembre 2021, ne produit aucune pièce établissant qu'elle n'était pas en mesure de voyager vers l'Espagne à la date de l'arrêté litigieux, ou que sa grossesse exigeait un suivi médical particulier que les autorités espagnoles ne pouvaient prendre en charge. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que le préfet de police aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant de mettre en œuvre la clause discrétionnaire de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
9. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à Me Atger et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 8 mars 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- M. Pagès, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 mars 2022.
L'assesseur le plus ancien,
J-C. NIOLLETLe président-rapporteur,
T. CELERIER
La greffière,
K. PETIT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA00083