Par un jugement n° 1822547/3-1 du 31 janvier 2019, le Tribunal administratif de Paris a annulé cet avis.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête, enregistrée sous le N° 19PA01191 le 29 mars 2019, le ministre de l'intérieur demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 31 janvier 2019 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. E... devant le tribunal administratif.
Il soutient que c'est à tort que le tribunal administratif a admis la recevabilité de la demande présentée par M. E... contre un avis émis sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 114-2, alors qu'un tel avis ne constitue pas un acte faisant grief.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 24 juin et le 25 juillet 2019, M. E..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 2 000 euros soit mis à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens invoqués par le ministre ne sont pas fondés.
Par deux mémoires, enregistrés le 2 et le 24 juillet 2019, la Régie autonome des transports parisiens (RATP), représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris du 31 janvier 2019 ;
2°) de mettre à la charge de M. E... le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a admis la recevabilité de la demande présentée par M. E... contre un avis émis sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 114-2, alors qu'un tel avis ne constitue pas un acte faisant grief ;
- la demande de M. E... devant le tribunal administratif était en tout état de cause tardive au regard du délai de quinze jours prévu au neuvième alinéa du même article ;
- le tribunal administratif a, à tort, estimé que ce texte n'institue pas un régime de recours particulier, exclusif du recours pour excès de pouvoir ;
- le licenciement de M. E... qui se trouvait en période de stage, était justifié par une cause réelle et sérieuse ;
- la RATP a intérêt et qualité pour faire appel.
Par un mémoire, enregistré le 17 septembre 2019, le ministre de l'intérieur conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens.
Par un arrêt n° 19PA01191 du 15 octobre 2019, la Cour, avant de statuer sur l'appel du ministre de l'intérieur a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de la requête au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1°) Un avis d'incompatibilité émis à la suite d'une demande présentée par l'employeur sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure est-il susceptible de recours pour excès de pouvoir '
2°) Un avis peut-il être demandé par l'employeur sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure, alors que le salarié se trouve en période de stage '
3°) Quelles conséquences tirer de la circonstance que l'employeur a saisi à tort l'administration d'une demande présentée sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure alors que le salarié est susceptible de relever du deuxième alinéa '
Le Conseil d'Etat a statué sur ces questions par un avis n° 435379 du 10 juin 2020.
Par deux mémoires, enregistrés le 9 et le 31 juillet 2020, le ministre de l'intérieur conclut aux mêmes fins que la requête.
Il déclare renoncer au moyen tiré de l'irrecevabilité de la demande présentée devant le tribunal administratif par M. E... contre un avis émis sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure, et soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont accueilli le moyen selon lequel l'avis a à tort été émis sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 114-2, alors que M. E... était déjà en poste ;
- ce moyen était inopérant ;
- il n'était pas tenu de retirer l'avis litigieux ;
- M. E... est susceptible, à l'occasion de ses fonctions, de commettre un acte portant gravement atteinte à la sécurité ou à l'ordre publics.
Par deux mémoires, enregistrés le 21 juillet et le 25 août 2020, M. E..., conclut aux mêmes fins que ses précédents mémoires par les mêmes moyens.
Il soutient en outre que :
- la RATP a frauduleusement mis en oeuvre la procédure prévue au premier alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure, plutôt que la procédure prévue au deuxième alinéa du même article ;
- les faits recensés au fichier des antécédents judiciaires dont le ministre de l'intérieur fait état, ne sont pas incompatibles avec ses fonctions ;
- il s'agit d'un fait isolé, ancien, non réitéré dans la période récente, et sans lien avec le terrorisme ;
- il n'a pas été informé de ce qu'il pouvait faire l'objet d'une enquête administrative ;
- la décision du ministre ne saurait compte tenu des dispositions de l'article 9 du code civil et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, se fonder sur sa vie privée.
Par une ordonnance du 3 août 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au
31 août 2020.
II. Par une requête, enregistrée sous le N° 19PA01201 le 1er avril 2019, la RATP, représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris du 31 janvier 2019 ;
2°) de mettre à la charge de M. E... le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir les mêmes moyens que dans ses mémoires enregistrés sous le N° 19PA01191.
Par trois mémoires en défense, enregistrés le 24 juin, le 4 juillet et 25 juillet 2019, M. E..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 2 000 euros soit mis à la charge de la RATP sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la RATP ne justifie d'aucun intérêt à faire appel ;
- les moyens invoqués par la RATP ne sont pas fondés.
Par deux mémoires en réplique, enregistrés le 2 et le 24 juillet 2019, la RATP conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens.
Par un mémoire, enregistré le 23 juillet 2019, le ministre de l'intérieur renvoie à ses écritures produites sous le N° 19PA01191.
Par une ordonnance du 6 juillet 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 31 juillet 2020.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code du travail ;
- le code civil ;
- la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D...,
- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,
- les observations de Me A... pour la RATP,
- et les observations de Me C... pour M. E....
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que, par un jugement du 31 janvier 2019, le Tribunal administratif de Paris a, à la demande de M. E..., annulé l'avis d'incompatibilité émis à son encontre le 22 février 2018 par le ministre de l'intérieur en application de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure. Le ministre de l'intérieur et la RATP font appel de ce jugement.
2. Les requêtes du ministre de l'intérieur et de la RATP sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la requête du ministre de l'intérieur :
3. Aux termes de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de l'article 5 de la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique : " Les décisions de recrutement et d'affectation concernant les emplois en lien direct avec la sécurité des personnes et des biens au sein d'une entreprise de transport public de personnes ou d'une entreprise de transport de marchandises dangereuses soumise à l'obligation d'adopter un plan de sûreté peuvent être précédées d'enquêtes administratives destinées à vérifier que le comportement des personnes intéressées n'est pas incompatible avec l'exercice des fonctions ou des missions envisagées. / Si le comportement d'une personne occupant un emploi mentionné au premier alinéa laisse apparaître des doutes sur la compatibilité avec l'exercice des missions pour lesquelles elle a été recrutée ou affectée, une enquête administrative peut être menée à la demande de l'employeur ou à l'initiative de l'autorité administrative. / L'autorité administrative avise sans délai l'employeur du résultat de l'enquête. / La personne qui postule pour une fonction mentionnée au même premier alinéa est informée qu'elle est susceptible, dans ce cadre, de faire l'objet d'une enquête administrative dans les conditions du présent article. / L'enquête précise si le comportement de cette personne donne des raisons sérieuses de penser qu'elle est susceptible, à l'occasion de ses fonctions, de commettre un acte portant gravement atteinte à la sécurité ou à l'ordre publics. / (...) Lorsque le résultat d'une enquête réalisée en application du deuxième alinéa du présent article fait apparaître, le cas échéant après l'exercice des voies de recours devant le juge administratif dans les conditions fixées au neuvième alinéa, que le comportement du salarié concerné est incompatible avec l'exercice des missions pour lesquelles il a été recruté ou affecté, l'employeur lui propose un emploi autre que ceux mentionnés au premier alinéa et correspondant à ses qualifications. En cas d'impossibilité de procéder à un tel reclassement ou en cas de refus du salarié, l'employeur engage à son encontre une procédure de licenciement. Cette incompatibilité constitue la cause réelle et sérieuse du licenciement, qui est prononcé dans les conditions prévues par les dispositions du code du travail relatives à la rupture du contrat de travail pour motif personnel. / (...) Le salarié peut contester, devant le juge administratif, l'avis de l'autorité administrative dans un délai de quinze jours à compter de sa notification et, de même que l'autorité administrative, interjeter appel puis se pourvoir en cassation dans le même délai. Les juridictions saisies au fond statuent dans un délai de deux mois. La procédure de licenciement ne peut être engagée tant qu'il n'a pas été statué en dernier ressort sur ce litige (...) ". L'article R. 114-7 du même code fixe la liste des fonctions pour lesquelles une enquête peut être sollicitée par l'employeur sur le fondement de ces dispositions. Le I de l'article R. 114-8 définit les modalités selon lesquelles les demandes d'enquête doivent être présentées par l'employeur lorsqu'elles le sont avant le recrutement ou l'affectation d'une personne sur un emploi et le II du même article définit ces modalités lorsqu'elles visent un salarié occupant déjà un tel emploi. Le I de l'article R. 114-10 détermine les modalités de la transmission à l'employeur, par le ministre de l'intérieur, du résultat de l'enquête réalisée avant le recrutement ou l'affectation sur un emploi, sous la forme d'un avis de compatibilité ou d'incompatibilité qui n'a pas à être motivé. Enfin, le II de l'article R. 114-10 détermine les modalités de la communication du résultat de l'enquête réalisée sur un salarié occupant déjà un emploi lorsqu'elle donne lieu à un avis d'incompatibilité, en précisant que, dans ce cas, l'avis est notifié au salarié et doit être motivé. Le même article institue, en outre, une procédure particulière de recours administratif devant le ministre de l'intérieur contre un tel avis.
4. Ainsi que le fait valoir le ministre de l'intérieur, les moyens tirés, devant le juge de l'excès de pouvoir saisi de la légalité de l'avis rendu à l'issue d'une telle enquête, de ce que l'employeur aurait saisi l'administration sur un fondement qui ne correspond pas au statut de la personne concernée ou que l'avis rendu aurait dû respecter les règles applicables aux avis rendus sur un autre terrain que celui qu'a choisi l'employeur sont inopérants.
5. Le ministre de l'intérieur est donc fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris a annulé l'avis d'incompatibilité émis le 22 février 2018 à la suite de l'enquête concernant M. E... diligentée à la demande de la RATP, aux motifs que l'enquête relevait, non du premier alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure, mais du deuxième alinéa de cet article, et qu'aucun avis motivé n'avait été notifié à M. E....
6. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. E... devant le tribunal administratif.
7. En premier lieu, M. E... ne saurait invoquer le principe général des droits de la défense qui n'implique pas, eu égard à l'objet des enquêtes prévues à l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure et à leur portée, que la personne faisant l'objet d'une telle enquête en soit avertie et soit mise à même de présenter ses observations avant que l'autorité administrative n'émette son avis au vu du résultat de l'enquête.
8. En deuxième lieu, M. E... ne conteste pas la réalité des faits de trafic et d'usage de stupéfiants pour lesquels il a été condamné à une peine d'emprisonnement avec sursis par le tribunal correctionnel de Paris le 11 juillet 2017, dont le ministre de l'intérieur fait état dans son mémoire du 31 juillet 2020. Ces faits sont, contrairement à ce qu'il soutient, incompatibles avec ses fonctions. Il n'est donc pas fondé à soutenir que l'avis attaqué ne pouvait se fonder sur ces faits pour en conclure qu'il est susceptible, à l'occasion de ses fonctions, de commettre un acte portant gravement atteinte à la sécurité ou à l'ordre publics.
9. En troisième lieu, M. E... ne saurait invoquer utilement les dispositions de l'article 9 du code civil. Par ailleurs, l'avis litigieux, ne portant aucune atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale eu égard au but poursuivi, le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.
10. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé l'avis litigieux, et à demander l'annulation de ce jugement.
Sur la requête de la RATP :
11. Compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, il n'y a pas lieu de statuer la requête N° 19PA01201 de la RATP.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat et de la RATP, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, le versement des sommes que M. E... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la RATP dans l'instance N° 19PA01191 sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1822547/3-1 du Tribunal administratif de Paris du 31 janvier 2019 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. E... devant le Tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions en annulation de la requête de la RATP.
Article 4 : Les conclusions de M. E... et de la RATP, présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à la Régie autonome des transports parisiens et à M. B... E....
Délibéré après l'audience du 8 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. D..., président-assesseur,
- M. Pagès, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 22 septembre 2020.
Le rapporteur,
J-C. D...Le président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
P. TISSERAND
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°s 19PA01191-19PA01201