Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 25 mars 2019, M. A..., représenté par Me Bechieau, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris du 6 février 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 8 novembre 2018 par lequel le préfet de police a décidé sa remise aux autorités bulgares ;
3°) à titre principal, d'enjoindre au préfet de police de l'admettre au séjour au titre de l'asile dans un délai de 24 heures à compter de la notification du présent arrêt, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour pendant la durée de l'examen de sa demande d'asile ;
4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de police de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour pour la durée de ce réexamen, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- le jugement attaqué indique à tort que l'accord des autorités bulgares est fondé sur le b) de l'article 18 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, alors qu'il est fondé sur le d) de cet article ;
- l'arrêté contesté est entaché d'une insuffisance de motivation révélant un défaut d'examen complet de sa situation, la motivation ne faisant pas mention des mauvais traitements subis en Bulgarie dont il a fait part au préfet de police par courrier du 28 septembre 2018 ;
- le préfet de police ne justifie pas que l'accord des autorités bulgares est intervenu préalablement à l'édiction de l'arrêté contesté, ainsi que l'exigent les articles 25 et 26.2 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- il a méconnu l'article 3 du règlement du 26 juin 2013 car il existe en Bulgarie des défaillances systémiques dans l'accueil et le traitement des demandeurs d'asile ;
- il a commis une erreur manifeste d'appréciation en n'exerçant pas le pouvoir qu'il tient de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 alors qu'il a subi des traitements inhumains et dégradants en Bulgarie et qu'il risque d'être renvoyé en Afghanistan à la suite de son transfert vers cet Etat.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 mai 2019, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A...ne sont pas fondés.
M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris du 10 avril 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Niollet a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., ressortissant afghan né le 13 mars 1999, a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile le 6 septembre 2018. Mais, par un arrêté du 8 novembre 2018, le préfet de police a décidé sa remise aux autorités bulgares. M. A...fait appel du jugement du 6 février 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement :
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :
2. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants". Aux termes du deuxième alinéa de l'article 3 du règlement du Parlement européen et du Conseil n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable ". Ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 16 février 2017, affaire n° C-578/16 PPU : " L'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit être interprété en ce sens que : même en l'absence de raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques dans l'État membre responsable de l'examen de la demande d'asile, le transfert d'un demandeur d'asile dans le cadre du règlement n° 604/2013 ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l'intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de cet article ".
3. M. A...fait valoir que lors de son passage en Bulgarie, il a été enfermé dans une cellule sans lumière et sans fenêtre pendant une période de quinze jours puis pendant une période de cinq jours et qu'il a été frappé à plusieurs reprises par les policiers bulgares. Il produit un certificat médical d'un médecin de l'hôpital Hôtel Dieu constatant une cicatrice au niveau du cuir chevelu en forme de " U " et de 4 cm de long en regard de la partie droite de l'occipital et une dépression osseuse au niveau du plancher orbitaire, susceptible de corroborer ces faits. Dans ces conditions, alors même que les éléments qu'il produit ne seraient pas suffisants pour démontrer l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Bulgarie, le transfert de M. A...dans ce pays est susceptible d'entraîner un risque qu'il y subisse à nouveau des traitements inhumains et dégradants.
4. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
5. Le présent arrêt implique uniquement, en application de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, qu'il soit enjoint au préfet de police de délivrer une autorisation provisoire de séjour à M. A...dans un délai qu'il y a lieu de fixer, dans les circonstances de l'espèce, à un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Me Bechieau, avocate de M. A..., au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Bechieau renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
DECIDE :
Article 1er : L'arrêté du 8 novembre 2018 par lequel le préfet de police a décidé la remise de M. A... aux autorités bulgares en vue de l'examen de sa demande d'asile et le jugement n° 1820633/8 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris du 6 février 2019 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de police de délivrer une autorisation provisoire de séjour à M.A..., dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Bechieau, avocate de M.A..., une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Bechieau renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Bechieau et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée pour information au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 11 juin 2019, à laquelle siégeaient :
Mme Fuchs Taugourdeau, président,
M. Niollet, président-assesseur,
Mme Labetoulle, premier conseiller.
Lu en audience publique le 25 juin 2019.
Le rapporteur,
J-C. NIOLLET
Le président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
T. ROBERT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA01135