Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 12 mars 2021, Mme B... A..., représentée par Me Semak, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1809633 du 15 janvier 2021 du Tribunal administratif de Montreuil en ce qu'il a limité la condamnation de l'Etat à la somme de 4 595,02 euros ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 36 000 euros, incluant celle déjà allouée par le tribunal administratif, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la délivrance tardive du récépissé de sa demande de renouvellement de titre de séjour, assortie des intérêts de droit et de leur capitalisation à chaque échéance annuelle ;
3°) d'enjoindre à l'Etat de procéder au paiement de cette somme dans un délai de quinze jours à compter de la date de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 400 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la convocation par le préfet pour le renouvellement de son titre de séjour postérieure à la date d'expiration de ce dernier et la délivrance tardive du récépissé correspondant constituent des fautes de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
- elle a subi un préjudice matériel en ce qu'elle n'a pu percevoir, en raison de la délivrance tardive du récépissé de titre de séjour, l'allocation aux adultes handicapés, l'allocation de logement et la majoration pour vie autonome sur la période allant de novembre 2017 à mars 2018 ;
- elle a également subi pour les mêmes raisons un préjudice personnel en raison de l'impossibilité de suivre une formation professionnelle ;
- elle a subi un préjudice matériel et un trouble dans ses conditions d'existence en ce que n'ayant pu bénéficier des aides entre la période de novembre 2017 à mars 2018, elle n'a pu régler ses loyers, ses factures médicales et ses frais et charges divers ;
- elle a subi un préjudice moral en raison de l'anxiété résultant de la situation de précarité induite par la délivrance tardive du récépissé attestant de son droit au séjour.
Le mémoire a été communiqué au préfet de la Seine-Saint-Denis, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Jurin,
- et les conclusions de M. Segretain, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le 8 juin 2017 Mme B... A..., ressortissante haïtienne, a sollicité de la préfecture de la Seine-Saint-Denis le renouvellement, sur le fondement des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de son titre de séjour qui expirait le 20 août 2017, auprès de la préfecture de la Seine-Saint-Denis. Un premier rendez-vous lui a été accordé pour le 4 octobre 2017, puis un second lui a été fixé pour le 21 novembre 2017, avant qu'un récépissé de demande de renouvellement de titre lui soit délivré le 14 mars 2018. Par une demande préalable du 3 juillet 2018, Mme B... A... a réclamé à l'Etat une indemnité de 36 000 euros en réparation des préjudices résultant selon elle des fautes commises par le préfet dans le cadre de la procédure de renouvellement de son titre de séjour. Le préfet ayant rejeté sa demande par une décision du 6 août 2020, Mme B... A... a saisi le Tribunal administratif de Montreuil, qui, par un jugement du 15 janvier 2021, a condamné l'Etat à lui verser la somme de 4 595,02 euros. Mme B... A... relève appel de ce jugement en ce qu'il a rejeté le surplus de sa demande.
Sur la fin de non-recevoir opposée en première instance par le préfet de la Seine-Saint-Denis :
2. Le préfet a soutenu devant les premiers juges que la demande indemnitaire préalable de la requérante était fondée sur le refus de l'administration de lui délivrer un récépissé de demande de titre de séjour et non sur le délai déraisonnable écoulé avant la délivrance de ce récépissé et qu'en conséquence, le contentieux n'était pas lié pour ce fait générateur. Toutefois, il résulte de l'instruction, et des termes mêmes de la demande préalable de Mme B... A... du 3 juillet 2018, que cette demande tendait à l'indemnisation des préjudices résultant de la délivrance tardive d'un récépissé ce qui comprend donc l'indemnisation des préjudices résultant du délai anormalement long avant la délivrance de ce récépissé. Ainsi, la fin de non-recevoir opposée par le préfet de la Seine-Saint-Denis, sur laquelle les premiers juges ont au demeurant omis de statuer, doit être écartée.
Sur la responsabilité :
3. Aux termes de l'article R. 311-2 du code l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version applicable : " La demande est présentée par l'intéressé dans les deux mois de son entrée en France. S'il y séjournait déjà, il présente sa demande : (...) / 4° Soit dans le courant des deux derniers mois précédant l'expiration de la carte de séjour dont il est titulaire, sauf s'il est titulaire du statut de résident de longue durée-UE accordé par la France en application des articles L. 314-8, L. 314-8-1 et L. 314-8-2. ". Aux termes de l'article R. 311-4 du même code : " Il est remis à tout étranger admis à souscrire une demande de première délivrance ou de renouvellement de titre de séjour un récépissé qui autorise la présence de l'intéressé sur le territoire pour la durée qu'il précise. Ce récépissé est revêtu de la signature de l'agent compétent ainsi que du timbre du service chargé, en vertu de l'article R. 311-10, de l'instruction de la demande. ". Aux termes de l'article R. 313-23 du même code : " Le rapport médical visé à l'article R. 313-22 est établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à partir d'un certificat médical établi par le médecin qui le suit habituellement ou par un médecin praticien hospitalier inscrits au tableau de l'ordre, dans les conditions prévues par l'arrêté mentionné au deuxième alinéa de l'article R. 313-22. (...) Sous couvert du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration le service médical de l'office informe le préfet qu'il a transmis au collège de médecins le rapport médical. En cas de défaut de présentation de l'étranger lorsqu'il a été convoqué par le médecin de l'office ou de présentation des examens complémentaires demandés dans les conditions prévues au premier alinéa, il en informe également le préfet ; dans ce cas le récépissé prévu à l'article R. 311-4 n'est pas délivré. ".
4. Il résulte de l'instruction que Mme B... A... a sollicité le 8 juin 2017 soit dans le délai prévu à l'article R. 311-2 précité le renouvellement de son titre de séjour expirant le 20 août 2017. Elle est ainsi fondée à soutenir qu'en ne lui accordant un rendez-vous pour le renouvellement de son titre de séjour qu'environ quatre mois après sa demande le 4 octobre 2017, et postérieurement à l'expiration de celui-ci, le préfet, qui ne peut, comme il l'a fait en première instance, se prévaloir d'un prétendu retard de Mme B... A... à solliciter le renouvellement de son titre de séjour, a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
5. En outre, il résulte des dispositions combinées des articles R. 311-4 et R. 313-23 précités que le récépissé de demande de renouvellement de titre de séjour doit, pour les titres de séjour prévus au 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, être délivré à l'étranger lorsque le service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) transmet le rapport médical au collège de médecins. Or, il ressort des pièces du dossier que si le rapport médical a été transmis au collège de médecins de l'OFII le 3 janvier 2018, un récépissé n'a été délivré à Mme B... A... que le 14 mars 2018. Par suite, la requérante est fondée à soutenir que la délivrance tardive du récépissé méconnaît les dispositions des articles R. 311-4 et R. 311-23 précités et constitue également une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
6. Aux termes de l'article R. 313-4-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger déjà admis à résider en France qui sollicite le renouvellement d'une carte de séjour ou la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle générale prévue à l'article L. 313-17 doit présenter à l'appui de sa demande, outre les pièces mentionnées à l'article R. 311-2-2, les pièces suivantes : / 1° Un justificatif de domicile ".
7. En première instance, le préfet fait valoir qu'un nouveau rendez-vous a dû être accordé à la requérante en raison du caractère incomplet de son dossier qui ne comprenait pas de justificatif de domicile, et que donc le retard dans la délivrance du récépissé du titre de séjour lui était donc imputable. Toutefois, s'il ressort des pièces du dossier que le rendez-vous accordé à Mme B... A... pour le 4 octobre 2017 a dû être déplacé au 17 novembre 2017 car il manquait un justificatif de domicile à son dossier, il est constant que le premier rendez-vous était postérieur à la date d'expiration du titre de séjour de la requérante du 20 août 2017, et que les préjudices dont se prévaut la requérante portent sur la période entre les mois de novembre 2017 et mars 2018. Dès lors, le préfet n'est pas fondé à soutenir que le caractère incomplet du dossier de Mme B... A... lors du rendez-vous du 4 octobre 2017 constitue une circonstance de nature à atténuer ou à exonérer l'Etat de la responsabilité qu'il encourt.
Sur les préjudices :
8. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme B... A... n'a pas pu justifier d'un droit au séjour régulier entre les mois de novembre 2017 et mars 2018. Cette circonstance a pour origine la fixation d'une date de rendez-vous tardive en vue du renouvellement du titre de séjour de la requérante et la délivrance tardive du récépissé correspondant. La requérante, par les pièces qu'elle produit, établit n'avoir pas pu bénéficier du versement de l'allocation aux adultes handicapés, de la majoration pour la vie autonome, et de l'allocation de logement, qui ont été suspendus durant la période correspondante. Les montants mensuels de ces aides étant respectivement de 810,89 euros en 2017 et 819 euros en 2018, de 104,77 euros et de 421 euros. Ainsi, le préjudice matériel subi par la requérante pendant ces 5 mois correspond à la somme de 6 707,63 euros.
9. En deuxième lieu, Mme B... A... soutient qu'elle n'a pu bénéficier du renouvellement de sa couverture maladie universelle complémentaire en l'absence d'un document établissant la régularité de son séjour, ce qui a entraîné la mise à sa charge de frais médicaux. Au regard des factures des mois de décembre 2017 et janvier 2018 produites, les premiers juges ont fait une juste appréciation de ce préjudice en condamnant l'Etat à lui verser la somme de 110,71 euros à ce titre.
10. En troisième lieu, si Mme B... A... soutient avoir subi un préjudice personnel résultant d'une perte de chance en ce qu'elle n'a pu s'inscrire à une formation d'assistante, elle n'établit pas, par les pièces qu'elle produit, l'existence de cette formation ni ses modalités. Elle n'établit pas plus la perte de chance qui en aurait résulté sur le plan professionnel. Elle n'est donc pas fondée à se prévaloir de l'existence d'un préjudice à ce titre.
11. En quatrième et dernier lieu, Mme B... A... soutient avoir subi un préjudice matériel et des troubles dans ses conditions d'existence en ce que n'ayant pu bénéficier des aides rappelées supra durant la période entre novembre 2017 et mars 2018, elle n'a pu faire face à certaines dépenses de la vie quotidienne. Elle se prévaut également d'un préjudice moral en raison de l'anxiété induite par l'impossibilité de prouver la régularité de son séjour et la précarité induite par l'impossibilité de faire face aux dépenses nécessaires en l'absence de versement des aides. A ce titre, Mme B... A... produit un commandement de payer du 25 avril 2018 en raison de loyers impayés portant sur la période entre novembre 2017 et mars 2018, ainsi que des factures d'électricité et de frais de cantine concernant la même période. Par ces pièces, Mme B... A... établit que l'absence de versement des aides résultant de l'impossibilité de prouver la régularité de son séjour l'a placée dans une situation de difficulté économique et d'anxiété, ce de surcroît au regard de sa condition médicale qui fait l'objet d'une prise en charge en France et au titre de laquelle elle s'est vu délivrer son titre de séjour " vie privée et familiale ". Par suite, Mme B... A... établit l'existence de troubles dans ses conditions d'existence et d'un préjudice moral, qui présentent un lien direct et certain avec les fautes commises par l'Etat dans le cadre de la procédure de renouvellement de titre de séjour. La requérante n'est cependant pas fondée à soutenir que l'absence de récépissé de titre de séjour lui aurait causé un préjudice en ce que la commission de médiation du droit au logement aurait rejeté sa demande par une décision du 4 octobre 2017, dès lors que ce rejet est également justifié par l'absence d'aboutissement d'une procédure de regroupement familial. En conséquence, dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence de Mme B... A... en les évaluant à la somme globale de 1 500 euros.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la somme de 4 595,02 euros que l'Etat a été condamné à verser à Mme B... A... en réparation de ses préjudices doit être portée à la somme de 8 318,34 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 2018 et de la capitalisation des intérêts à compter du 4 juillet 2019.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
13. Aux termes de l'article L. 911-9 du code de justice administrative : " (...) Lorsqu'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée a condamné l'Etat au paiement d'une somme d'argent dont le montant est fixé par la décision elle-même, cette somme doit être ordonnancée dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de justice. (...) A défaut d'ordonnancement dans les délais mentionnés aux alinéas ci-dessus, le comptable assignataire de la dépense doit, à la demande du créancier et sur présentation de la décision de justice, procéder au paiement. ".
14. Dès lors que la disposition législative précitée permet à la requérante, en cas d'inexécution du présent arrêt dans le délai prescrit, d'obtenir le mandatement d'office de la somme que l'Etat est condamné à lui verser par ce même arrêt, il n'y a pas lieu de faire droit à ses conclusions aux fins d'injonction sous astreinte.
Sur les frais liés au litige :
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros à Mme B... A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à raisons des frais de justice exposés par elle.
D E C I D E :
Article 1er : La somme de 4 595,02 euros que l'Etat a été condamné à verser à Mme B... A... est portée à la somme de 8 318,34 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 2018 et de la capitalisation des intérêts à compter du 4 juillet 2019.
Article 2 : L'article 1er du jugement du 15 janvier 2021 du Tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme B... A... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... A..., au préfet de la Seine-Saint-Denis et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 8 février 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Jardin, président de chambre,
- Mme Hamon, présidente assesseure,
- Mme Jurin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 mars 2022.
La rapporteure,
E. JURINLe président,
C. JARDIN
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21PA01297 2