Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 4 février 2017, la société E-Expert, représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement en ce qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;
2°) de prononcer la décharge des impositions restant en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la procédure d'imposition est irrégulière dès lors que l'envoi simultané des lettres n° 754 et 3925 à ses clients a induit ces derniers en erreur sur le caractère contraignant des demandes, seul le courrier n° 3925 relevant du droit de communication à caractère contraignant ;
- les impositions sont mal fondées au regard de la loi fiscale au motif que, n'étant pas issue de la restructuration des activités préexistantes de la société de droit américain
E-Expert LLC, ses activités de travaux de recherche et de développement dans le domaine de l'intelligence artificielle étant éligibles au statut de jeune entreprise innovante ;
- les impositions sont mal fondées au regard de la prise de position formelle ayant donné lieu à rescrit du 30 septembre 2008 au sens de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales ;
- la majoration pour manquement délibéré est mal fondée dès lors qu'elle a exercé son droit à exonération d'impôt sur les sociétés sur la base d'un rescrit.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 juillet 2017, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que la requête est irrecevable pour méconnaissance des dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative et qu'aucun moyen n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Auvray,
- et les conclusions de Mme Mielnik-Meddah, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre, tirée de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative.
1. La société à responsabilité limitée (SARL) E-Expert exerce, d'une part, une activité de conseil aux entreprises en matière de crédit d'impôt recherche et de statut de jeune entreprise innovante, d'autre part, une activité de recherche en intelligence artificielle appliquée aux réseaux de neurones artificiels. A l'issue de la vérification de comptabilité dont elle a fait l'objet, la société E-Expert s'est notamment vu assigner des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos le 31 décembre 2007, le 31 décembre 2008 et le 30 juin 2010 dont elle a, en vain, sollicité la décharge devant le Tribunal administratif de Paris.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :
2. La société E-Expert soutient qu'en adressant en même temps à ses clients et à ceux de la société de droit américain E-Expert LLC, d'une part, sur le fondement de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales, une lettre n° 754 intitulée " demande de renseignements ", d'autre part, sur le fondement de l'article L. 81 du même livre, une lettre n° 3925 intitulée " droit de communication " qui mentionnait que le refus de répondre était sanctionné par l'amende prévue à l'article 1734 du code général des impôts, le service a induit ces derniers en erreur en les laissant croire que les demandes formulées par ces deux lettres revêtaient un caractère contraignant alors que tel n'était le cas que dans le cadre de l'exercice du droit de communication mis en oeuvre par le seul courrier n° 3925.
3. Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, il résulte de l'instruction que la lettre n° 754 mentionnait expressément qu'elle ne revêtait pas de caractère contraignant. A cet égard, la circonstance que certains clients aient apporté une réponse commune à ces deux courriers n'est pas de nature à établir qu'ils se seraient mépris sur l'étendue du caractère contraignant des demandes qui leur avaient été adressées. Au surplus, les destinataires de la lettre n° 754 étaient tous soumis au droit de communication prévu en faveur de l'administration par les articles L. 81 et suivants du livre des procédures fiscales.
En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :
4. L'article 44 sexies-0 A du code général des impôts dispose que : " Une entreprise est qualifiée de jeune entreprise innovante réalisant des projets de recherche et de développement lorsque, à la clôture de l'exercice, elle remplit simultanément les conditions suivantes : (...) 5° elle n'est pas créée dans le cadre d'une concentration, d'une restructuration, d'une extension d'activités préexistantes ou d'une reprise d'activités au sens du III de l'article 44 sexies ". Selon l'article 44 sexies A de ce code dans sa version alors applicable: " I-1 Les entreprises répondant aux conditions fixées à l'article 44 sexies-0 A sont exonérées d'impôt sur le revenu ou d'impôt sur les sociétés à raison des bénéfices réalisées au titre des trois premiers exercices ou périodes d'impositions bénéficiaires, cette période d'exonération totale des bénéfices ne pouvant excéder trente-six mois. / Les bénéfices réalisés au titre des deux exercices ou périodes d'imposition bénéficiaires suivant cette période d'exonération ne sont soumis à l'impôt sur le revenu ou l'impôt sur les sociétés que pour la moitié de leur montant (...) " ;
5. La société E-Expert a bénéficié de l'exonération totale, puis partielle, des bénéfices qu'elle a réalisés au titre des exercices vérifiés. Lors du contrôle sur place dont la requérante a fait l'objet, le service a cependant remis en cause ces exonérations, qu'elle avait appliquées en qualité de jeune entreprise innovante au motif qu'elle ne remplissait pas la condition prévue au 5° de l'article 44 sexies-0 A du code général des impôts dès lors qu'elle avait été créée dans le cadre d'une restructuration d'activités existantes.
6. En premier lieu, la SARL E-Expert, créée le 14 juin 2007, conteste, sur le terrain de la loi fiscale, la remise en cause de son statut de jeune entreprise innovante et, partant, celle des exonérations au bénéfice desquelles ce statut lui ouvrait droit, au motif qu'elle n'est pas issue de la restructuration des activités préexistantes de la société de droit américain
E-Expert LLC, immatriculée aux Etats-Unis d'Amérique le 27 septembre 2005. Toutefois, ce moyen doit être écarté par adoption des motifs retenus à juste titre par les premiers juges et qu'en l'absence de tout élément nouveau, il y a lieu, pour la Cour, d'adopter, compte tenu des éléments circonstanciés qui, apportés par l'administration, établissent que la société requérante a en réalité été créée dans le cadre de la restructuration d'activités préexistantes menées par la société E-Expert LLC.
7. En second lieu, l'intéressée se prévaut d'une prise de position formelle, tant tacite en application du 4° de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, qu'expresse eu égard au courrier du 30 septembre 2008 par lequel l'administration lui a reconnu le statut de jeune entreprise innovante. Aux termes de ces dispositions : " La garantie prévue (...) est applicable : 1° Lorsque l'administration a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait (...) ; elle se prononce dans un délai de trois mois lorsqu'elle est saisie d'une demande écrite, précise et complète par un redevable de bonne foi (...) / 4° Lorsque l'administration n'a pas répondu de manière motivée dans un délai de trois mois à un contribuable de bonne foi qui a demandé, à partir d'une présentation écrite précise et complète de la situation de fait, si son entreprise constitue une jeune entreprise innovante au sens de l'article 44 sexies-0 A du code général des impôts (...) ".
8. Il résulte cependant de l'instruction qu'au courrier du 10 avril 2008, par lequel le service a notamment interrogé la SARL E-Expert sur le caractère nouveau de son activité et sur la nature de ses liens avec la société de droit américain E-Expert LLC, l'intéressée a indiqué, le 24 avril suivant, que " le caractère nouveau de la R§D ne peut être scientifiquement contesté et qu'il n'y a aucune obligation contractuelle entre les sociétés, mais au contraire une totale indépendance des activités ", après avoir mentionné, dans sa demande de rescrit du 12 mars 2008, que son activité ne prolongeait pas celle d'une entreprise préexistante. Eu égard à ce qui a été dit au point 6, la présentation faite par l'intéressée ne peut être regardée comme précise et complète au sens et pour l'application des dispositions de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, ce qui fait obstacle à ce qu'elle prévale d'une prise de position formelle de l'administration sur le fondement de ces dispositions.
En ce qui concerne la majoration pour manquement délibéré de 40 % :
9. Si la société requérante soutient que la notion de manquement délibéré est difficilement compatible avec l'exercice d'un droit qu'elle a sollicité dans le cadre d'un rescrit, il résulte de ce qui a été dit supra que la présentation des faits par l'intéressée à l'appui de sa demande de rescrit n'était pour le moins ni précise, ni complète, en particulier quant aux points sur lesquels le service lui avait pourtant demandé des précisions. Par suite, alors surtout que, comme le relève en outre le ministre, le gérant de la SARL E-Expert a exercé des fonctions d'expert scientifique et technologique auprès du ministère chargé de la recherche, l'administration établit l'intention de la requérante d'éluder l'impôt, ainsi qu'il lui incombe de le faire en vertu de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL E-Expert n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin de décharge ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SARL E-Expert est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au cabinet B.T.S.G. ès qualités de mandataire liquidateur de la société à responsabilité limitée E-Expert et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris (pôle fiscal parisien 1).
Délibéré après l'audience du 13 avril 2018, à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, président de chambre,
- M. Auvray, président-assesseur,
- M. Boissy, premier conseiller.
Lu en audience publique le 18 mai 2018.
Le rapporteur,
B. AUVRAYLe président,
M. HEERSLe greffier,
F. DUBUY
La République mande et ordonne au ministre l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA00437