Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 29 juin 2021, M. B..., représenté par Me Mohsenzadegan, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1906461 du 28 mai 2021 du Tribunal administratif de Montreuil ;
2°) d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de police a refusé d'abroger l'arrêté d'expulsion du 20 décembre 2002 ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de procéder à l'abrogation de l'arrêté du 20 décembre 2002, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de sept jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision implicite contestée n'a fait l'objet d'aucune motivation alors qu'elle était soumise à une telle obligation au regard des dispositions de l'article L. 211-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision méconnaît les dispositions de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable en ce qu'il ne constitue plus une menace grave pour l'ordre public ;
- la décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par ordonnance du 10 novembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 novembre 2021 à 12h.
Un mémoire en défense a été produit par le préfet de police le 2 décembre 2021, après clôture de l'instruction.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal judiciaire de Paris du 11 août 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Perrine Hamon,
- et les conclusions de M. Segretain, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant sénégalais né le 12 février 1960, s'est vu reconnaître le statut de réfugié par une décision du 5 mai 1993. Il a par la suite fait l'objet le 20 décembre 2002 d'un arrêté d'expulsion pris par le ministre de l'intérieur, pour menace grave à l'ordre public. M. B..., qui est depuis 2014 assigné à résidence en raison de l'impossibilité de procéder à son expulsion, a sollicité le 18 décembre 2018 l'abrogation de l'arrêté d'expulsion auprès du préfet de police, demande qui a été implicitement rejetée par une décision née du silence gardé par l'administration. M. B... fait appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable : " Sous réserve des dispositions des articles L. 521-2, L. 521-3 et L. 521-4, l'expulsion peut être prononcée si la présence en France d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public ". Aux termes de l'article L. 524-1 du même code : " L'arrêté d'expulsion peut à tout moment être abrogé. Lorsque la demande d'abrogation est présentée à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de l'exécution effective de l'arrêté d'expulsion, elle ne peut être rejetée qu'après avis de la commission prévue à l'article L. 522-1, devant laquelle l'intéressé peut se faire représenter. ". Aux termes de l'article L. 524-2 du même code, alors en vigueur : " Sans préjudice des dispositions de l'article L. 524-1, les motifs de l'arrêté d'expulsion donnent lieu à un réexamen tous les cinq ans à compter de la date d'adoption de l'arrêté. L'autorité compétente tient compte de l'évolution de la menace pour l'ordre public que constitue la présence de l'intéressé en France, des changements intervenus dans sa situation personnelle et familiale et des garanties de réinsertion professionnelle ou sociale qu'il présente, en vue de prononcer éventuellement l'abrogation de l'arrêté. L'étranger peut présenter des observations écrites. ". Enfin, aux termes de l'article R. 524-2 du même code, dans sa rédaction applicable : " Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur une demande d'abrogation d'un arrêté d'expulsion vaut décision de rejet. ".
3. Il résulte des dispositions précitées qu'indépendamment du réexamen auquel elle procède tous les cinq ans, il appartient à l'autorité administrative compétente, saisie d'une demande d'abrogation d'un arrêté d'expulsion, d'apprécier, en vertu des dispositions des articles L. 524-1 et L. 524-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur rédaction alors en vigueur, si la présence de l'intéressé sur le territoire français constitue toujours, à la date à laquelle elle se prononce, une menace grave pour l'ordre public de nature à justifier légalement que la mesure d'expulsion ne soit pas abrogée, en tenant compte des changements intervenus dans sa situation personnelle et familiale et des garanties de réinsertion qu'il présente.
4. Il ressort des pièces du dossier que si, postérieurement à la mesure d'expulsion prononcée à son encontre le 20 décembre 2002 et faisant suite à une condamnation pour viol sur personne mineure de quinze ans, M. B..., assigné à résidence depuis 2014, a été condamné en 2003 à une peine de quatre mois pour une infraction relative aux stupéfiants et en 2006 à une peine de dix mois pour vols, cette dernière condamnation a été prononcée pour des faits commis treize ans avant la décision attaquée. Il ressort par ailleurs d'une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 4 juillet 2019, postérieure à la décision contestée, que la Cour a annulé la décision du 24 septembre 2018 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides mettant fin au statut de réfugié de M. B..., en indiquant notamment que si le requérant était connu des services de police pour des faits d'usage de stupéfiants, de port prohibé d'armes et de vol en 2007, 2008 et 2012, il n'avait pas été impliqué dans la commission de crimes ou de délits depuis cette date, et avait fait des efforts notables de réinsertion tant sur le plan personnel que professionnel. Il ressort ainsi des pièces du dossier que M. B... a régulièrement travaillé depuis 2009, dans le cadre de contrats à durée indéterminée et de missions d'intérim, et qu'il réside en France avec sa femme et ses enfants, nés en 2012 et 2016. Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, M. B... est fondé à soutenir qu'il ne constitue plus une menace grave à l'ordre public, et que la décision implicite du préfet de police refusant l'abrogation de l'arrêté du 20 décembre 2002 portant expulsion méconnaît les dispositions de l'article L. 521-1 précité.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
5. Compte tenu du motif d'annulation retenu au point 4, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement l'abrogation de l'arrêté prononçant l'expulsion de M. B.... Par suite il y a lieu d'enjoindre au préfet de police de procéder à l'abrogation de l'arrêté du 20 décembre 2002 prononçant l'expulsion de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
6. M. B... ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Mohsenzadegan, avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Mohsenzadegan de la somme de 1 500 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1906461 du 28 mai 2021 du Tribunal administratif de Montreuil et la décision implicite du préfet de police portant refus d'abrogation de l'arrêté du 20 décembre 2002 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de police d'abroger l'arrêté du 20 décembre 2002 prononçant l'expulsion de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Mohsenzadegan la somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cet avocat renonce à percevoir les sommes correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Sanam Mohsenzadegan, au ministre de l'intérieur et au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 1er mars 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Jardin, président de chambre,
- Mme Hamon, présidente assesseure,
- Mme Jurin, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 mars 2022.
La rapporteure,
P. HAMONLe président,
C. JARDIN
Le greffier,
C. MONGISLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21PA03594 2