Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 21 novembre 2019, la société Alsei, représentée par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler l'article 3 du jugement n° 1709485/1-3 du 25 septembre 2019 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés au titre de l'année 2012 demeurant à sa charge ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, assortie des intérêts au taux légal.
La société Alsei soutient que :
- le régime prévu à l'article 217 undecies du code général des impôts s'applique non seulement aux logements que l'entreprise loue aux personnes qui en font leur résidence principale, mais aussi à ceux qu'elle loue à un organisme public ou privé pour le logement à usage d'habitation principale de son personnel ;
- cette analyse se déduit notamment des travaux parlementaires qui révèlent l'intention du législateur ;
- les dispositions du dernier alinéa de l'article 199 undecies A du code général des impôts qui prévoient une réduction de l'impôt sur le revenu en cas de location d'un logement à un organisme public ou privé pour son personnel répondent à la même finalité que la déduction des bases imposables à l'impôt sur les sociétés instituée par l'article 217 undecies de ce code ;
- les dispositions réglementaires prises en application de l'article 217 undecies, lesquelles sont incohérentes, illustrent la volonté du législateur d'étendre le dispositif prévu à l'article 217 undecies aux immeubles loués à des personnes morales pour les besoins de leur personnel ;
- le dispositif régi par les articles 199 nonies, 199 decies et 199 decies A du code général des impôts ne prenait pas en compte, initialement, les logements loués à une personne morale pour les besoins de son personnel ;
- le motif retenu par l'administration fiscale n'était pas suffisant pour fonder le rehaussement ;
- l'article 217 undecies du code général des impôts méconnaît les droits garantis par les dispositions de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de l'article 34 de la Constitution ;
- la documentation administrative de base 4 A-2144 du 9 mars 2001 se réfère à la possibilité de louer à des organismes publics ou privés ;
- l'instruction BOI-IS-GEO-10-30-10-30 du 12 septembre 2012 se réfère au paragraphe 190 du BOI-IR-RICI-80-10-20-20, et donc nécessairement au paragraphe 200, en prévoyant la possibilité de louer à des organismes publics ou privés ;
- l'administration fiscale a formellement pris position dans une lettre du 18 juin 2010 notifiant un agrément à une SCI dans laquelle elle a pris une participation ;
- les commentaires d'un éditeur juridique précisent expressément que les conditions d'application de l'article 217 undecies du code général des impôts sont identiques à celles qui sont prévues pour l'application de la réduction d'impôt prévue à l'article 199 undecies A.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 juin 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par la société Alsei n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de Mme Stoltz-Valette, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., représentant la société Groupe Alsei.
Considérant ce qui suit :
1. La société Groupe Alsei, anciennement dénommée Alsei, qui exerce une activité de promotion immobilière et de holding, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration fiscale a estimé, d'une part, qu'elle avait méconnu en 2012 les engagements qu'elle avait contractés en application du sixième alinéa du I de l'article 217 undecies du code général des impôts au titre d'un investissement immobilier locatif outre-mer réalisé en 2007 et, d'autre part, qu'elle avait commis un acte anormal de gestion en déduisant de son bénéfice net imposable au titre de l'année 2014 une moins-value de cession de titres acquis dans la SCI PS LOC 1 pour participer à un investissement immobilier locatif outre-mer réalisé en 2009. Par un jugement du 25 septembre 2019, le Tribunal administratif de Paris a réduit la base de l'impôt sur les sociétés de la société Alsei au titre de l'année 2014 d'une somme de 452 734 euros correspondant à la moins-value de cession de titres réintégrée par le service dans le bénéfice net imposable de la société, a déchargé la société, en droits et pénalités, de la cotisation d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2014 correspondant à la réduction de la base d'imposition et a rejeté, en son article 3, le surplus des conclusions de la requête. La société Groupe Alsei relève appel de l'article 3 de ce jugement.
Sur l'application de la loi fiscale :
2. Aux termes du I de l'article 217 undecies du code général des impôts, dans sa rédaction applicable en 2007, les entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés peuvent déduire le prix de revient des acquisitions de logements neufs à usage locatif situés dans le département de La Réunion des résultats imposables de l'exercice au cours duquel l'acquisition est réalisée à la double condition, aux termes du sixième alinéa du I, que " l'entreprise s'engage à louer l'immeuble nu dans les six mois [...] de son acquisition [...] et pendant six ans au moins à des personnes qui en font leur résidence principale " et, aux termes du septième alinéa de ce même I, que " Le loyer et les ressources du locataire n'excèdent pas des plafonds fixés par décret ". Si l'une de ces conditions cesse d'être respectée, le huitième alinéa dispose que " les sommes déduites sont rapportées au résultat imposable de l'entreprise ayant opéré la déduction au titre de l'exercice au cours duquel cet événement se réalise ".
3. En premier lieu, il résulte de ces dispositions que le bénéfice du régime de déduction des résultats imposables à l'impôt sur les sociétés du prix de revient des acquisitions de logements neufs à usage locatif situés dans le département de La Réunion est notamment subordonné à la condition que l'entreprise loue ces logements à des personnes qui en font leur résidence principale. La société Groupe Alsei ne saurait utilement se prévaloir du dernier alinéa de l'article 199 undecies A du code général des impôts, dans sa rédaction alors en vigueur, lequel énonce que la " location d'un logement neuf consentie dans les conditions fixées par décret à un organisme public ou privé pour le logement à usage d'habitation principale de son personnel ne fait pas obstacle au bénéfice de la réduction d'impôt ", dès lors que ces dispositions ne s'appliquent qu'au régime de réduction d'impôt sur le revenu institué à l'article 199 undecies A, et non au régime de déduction des résultats imposables à l'impôt sur les sociétés prévu à l'article 217 undecies. La circonstance qu'il ressortirait des travaux préparatoires des différentes lois à l'origine de ces deux articles que le législateur aurait entendu, par ces dispositions, favoriser l'investissement locatif outre-mer afin de compenser le déficit de biens offerts à la location dans ces territoires, et que la réduction d'impôt sur le revenu et la déduction des bases imposables à l'impôt sur les sociétés tendraient à la même finalité incitative, est sans incidence et ne saurait conduire à donner des dispositions applicables une interprétation contraire à leur lettre. Par ailleurs, les dispositions prises en application du septième alinéa du I de l'article 217 undecies du code général des impôts, lequel confie au pouvoir réglementaire le soin de fixer les plafonds du loyer et des ressources du locataire, à savoir le troisième alinéa de l'article 140 nonies de l'annexe II au code général des impôts, qui renvoie à l'article 46 quater-0 ZZ ter de l'annexe III au même code, lequel renvoie lui-même aux 1 et 2 de l'article 46 AG duodecies de cette annexe, n'ont pas pour objet de procéder à une extension du bénéfice des dispositions de l'article 217 undecies du code général des impôts aux immeubles loués à un organisme public ou privé pour le logement de son personnel. La société requérante ne saurait à cet égard faire état des " incohérences " qui, selon elle, entacheraient ces dispositions réglementaires, lesquelles ne présentent pas de contradiction avec les dispositions de l'article 217 undecies du code général des impôts, ni se prévaloir des dispositions de l'article 46 quaterdecies de l'annexe III au code général des impôts, qui concernent l'application de l'article 199 undecies A du code général des impôts. Enfin, la société Alsei ne peut se prévaloir de l'évolution du dispositif de défiscalisation prévu par les articles 199 nonies, 199 decies et 199 decies A du code général des impôts, lequel n'est pas en litige dans la présente instance.
4. En deuxième lieu, si la société Groupe Alsei a, dès le mois de février 2008, loué à des personnes satisfaisant aux conditions prévues aux sixième et septième alinéas du I de l'article 217 undecies les deux appartements acquis, pour un prix global de 510 000 euros, dans le département de la Réunion, il est constant que, depuis le mois de juillet 2012, l'un des deux logements, ainsi que la place de stationnement associée, ont été loués au ministère de la défense, qui a pris ces lots à bail en vue d'assurer le logement de son personnel. Dans ces conditions, la société Groupe Alsei ne pouvait plus être regardée comme louant ce logement " à des personnes qui en font leur résidence principale ", au sens des dispositions de l'article 217 undecies du code général des impôts. Contrairement à ce que soutient la société, ce motif suffisait à justifier le chef de rehaussement contesté. C'est par suite à bon droit que l'administration a réintégré le montant de 267 565 euros correspondant au prix d'acquisition de ce logement dans les résultats imposables de la société Alsei au titre de l'exercice clos en 2012.
5. Enfin, si la société Groupe Alsei soutient que les impositions mises à sa charge résulteraient de l'application de dispositions législatives méconnaissant les droits garantis par les dispositions de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de l'article 34 de la Constitution, un tel moyen ne peut être utilement être invoqué que dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité formée dans les conditions prévues par l'article R. 771-3 du code de justice administrative. A défaut, il ne peut qu'être écarté.
Sur l'interprétation de la loi fiscale :
6. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente [...] ". Aux termes de l'article L. 80 B du même livre : " La garantie prévue au premier alinéa de l'article L. 80 A est applicable : / 1° Lorsque l'administration a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal ; elle se prononce dans un délai de trois mois lorsqu'elle est saisie d'une demande écrite, précise et complète par un redevable de bonne foi [...] ".
7. Eu égard aux règles qui régissent l'invocabilité des interprétations ou des appréciations de l'administration en vertu de ces articles, les contribuables ne sont en droit d'invoquer, sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 80 A et sur celui de l'article L. 80 B, lorsque l'administration procède à un rehaussement d'impositions antérieures, que des interprétations et appréciations antérieures à l'imposition primitive, ou sur le fondement du deuxième alinéa de l'article L. 80 A, qu'il s'agisse d'impositions primitives ou supplémentaires, que des interprétations antérieures à l'expiration du délai de déclaration.
8. Peuvent se prévaloir de la garantie prévue au 1° de l'article L. 80 B, pour faire échec à l'application de la loi fiscale, les contribuables qui se trouvent dans la situation de fait sur laquelle l'appréciation invoquée a été portée ainsi que les contribuables qui, à la date de la prise de position de l'administration, ont été partie à l'acte ou ont participé à l'opération qui a donné naissance à cette situation sans que les autres contribuables puissent utilement invoquer une rupture à leur détriment du principe d'égalité.
9. En premier lieu, la documentation administrative de base référencée 4 A-2144 du 9 mars 2001 ne s'applique, aux termes de son paragraphe 68, qu'aux acquisitions ou constructions de logements neufs " réalisés entre le 1er avril 1996 et le 31 décembre 2006 ". La société Groupe Alsei n'est donc pas fondée à se prévaloir des énonciations de cette documentation s'agissant de biens qu'elle a acquis le 31 décembre 2007. Si la société soutient que la documentation de base était annotée chaque année par des bulletins officiels des impôts qui intégraient les reconductions de régime décidées par le législateur, elle ne cite précisément aucun de ces bulletins, pas plus en appel qu'en première instance. Par suite, le moyen doit être écarté.
10. En deuxième lieu, le bulletin référencé BOI-IS-GEO-10-30-10-30 du 12 septembre 2012 relatif au droit à déduction prévu à l'article 217 undecies du code général des impôts ne fait pas référence à la location consentie à un organisme public ou privé pour le logement à usage d'habitation principal de son personnel. Si la société requérante se prévaut du paragraphe 110 de ce bulletin qui renvoie, s'agissant des plafonds des ressources du locataire et du loyer annuel, au paragraphe 190 du bulletin BOI-IR-RICI-80-10-20-20 relatif à la réduction d'impôt prévue à l'article 199 undecies A du code général des impôts, cette rédaction n'est entrée en vigueur que le 8 juillet 2015, après l'expiration du délai de déclaration des résultats de l'exercice clos en 2012, et n'est dès lors pas opposable, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, à la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle la société Groupe Alsei a été assujettie au titre de l'année 2012, seule en litige. En tout état de cause, ce paragraphe se borne à rappeler les conditions dans lesquelles le logement acquis par le contribuable doit être loué à titre de résidence principale pour être éligible à la réduction d'impôt ainsi que les modalités de détermination des plafonds de loyer et de ressources des locataires. Si le paragraphe 200 précise les conditions dans lesquelles le contribuable qui loue un logement à un organisme public ou privé pour les besoins de son personnel peut bénéficier de la réduction d'impôt, le renvoi effectué par le BOI-IS-GEO-10-30-10-30 ne concerne nullement ce paragraphe, et se limite au paragraphe 190. Par suite, le moyen doit être écarté.
11. En troisième lieu, la société Groupe Alsei invoque la position que l'administration fiscale aurait, selon elle, formellement prise, au regard de la condition énoncée au sixième alinéa du I de l'article 217 undecies du code général des impôts, au sujet de la location consentie à l'Etat, pour le logement de son personnel, par la SCI PS LOC 1. En particulier, elle fait valoir que la SCI PS LOC 1, dont elle est associée, a acquis en 2009 sept logements à La Réunion, destinés à être donnés en location aux conditions du secteur locatif intermédiaire pour un montant supérieur à un million d'euros et que, dans le cadre de la demande d'agrément présentée sur le fondement du II quater de l'article 217 undecies du code général des impôts, le directeur des services fiscaux de La Réunion, par courrier du 18 juin 2010, a estimé, en l'état des renseignements en sa possession, que l'opération était susceptible de bénéficier de l'agrément sollicité et ce alors qu'il avait été porté à sa connaissance que les logements pourraient éventuellement être loués au ministère de la défense. Toutefois, l'opération réalisée par la SCI PS LOC 1 porte sur l'acquisition de sept logements en 2009 alors que l'opération ayant donné lieu à la déduction en litige porte sur l'acquisition, par la société requérante, de deux logements et de places de stationnement au cours de l'année 2007. Ainsi les deux opérations d'investissement doivent être regardées comme distinctes. Dès lors, la société Groupe Alsei n'est pas fondée à se prévaloir, sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, de l'appréciation contenue dans la lettre notifiant la décision d'agrément du 18 juin 2010. Par suite, le moyen doit être écarté.
12. Enfin, si la société Groupe Alsei se prévaut de commentaires publiés par un éditeur juridique, ces derniers ne constituent pas une interprétation formelle de la loi fiscale au sens de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales. Le moyen doit donc être écarté comme inopérant.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Groupe Alsei n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 3 du jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant au paiement de frais de justice, assortis d'intérêts, ne peuvent qu'être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Groupe Alsei est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Groupe Alsei et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Ile-de-France (division juridique).
Délibéré après l'audience du 16 mars 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Hamon, président,
- M. Segretain, premier conseiller,
- M. A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 31 mars 2021.
Le rapporteur,
K. A...Le président,
P. HAMON
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 19PA03685 2