Par un jugement n° 1820156/3-3 du 28 mai 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 26 juillet 2019, et un mémoire de production de pièces, enregistré le 29 octobre 2019, M. A..., représenté par Me E..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1820156/3-3 du 28 mai 2019 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'article 3 de la décision prise le 7 septembre 2018 par la ministre du travail qui autorise son licenciement, mais de confirmer pour le surplus cette décision en ce qu'elle annule pour non-respect du principe du contradictoire la décision prise le 15 février 2018 par l'inspectrice du travail, et à titre surabondant d'annuler la décision implicite du
18 août 2018 par laquelle la ministre du travail a rejeté son recours gracieux et d'annuler la décision prise le 15 février 2018 par l'inspectrice du travail autorisant son licenciement ;
3°) de mettre à la charge de la société United Parcel Service (UPS) France le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'enquête menée par la direction de la société UPS France n'a pas respecté le principe du contradictoire et n'a pas fait preuve d'objectivité et d'impartialité ;
- le respect du principe du contradictoire n'a pas été respecté lors de l'enquête menée par la ministre du travail dès lors que, d'une part, les pièces transmises par la société UPS France ne lui ont pas été communiquées et que, d'autre part, la ministre du travail s'est fondée sur les seules attestations transmises par la société UPS France sans procéder à l'audition des salariés de la société ;
- contrairement à ce qu'a retenu le jugement attaqué et la décision ministérielle litigieuse, qui est entachée d'erreurs de fait, il n'a pas utilisé les moyens électroniques de l'entreprise pour " menacer Mme I... " ; la relation avec cette dernière, qui était librement consentie, relevait de leur vie personnelle ; il n'a pas adressé à Mme I... " une multitude de messages " après leur rupture ;
- aucun manquement rattachable à l'exécution de son contrat de travail ne saurait lui être reproché ;
- la décision ministérielle implicite née le 18 août 2018, qui est entachée des mêmes illégalités que celle, explicite, du 7 septembre 2018, devra de même être annulée ;
- le respect du principe du contradictoire n'a pas été respecté lors de l'enquête menée par l'inspectrice du travail, car elle a rendu sa décision explicite le 15 février 2018 sans avoir recueilli ses observations sur le retrait de la décision implicite née le 11 février 2018 ; la décision ministérielle du 7 septembre 2018 devant être annulée, la décision explicite de l'inspectrice du travail du 15 février 2018 devra être annulée par voie de conséquence.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 septembre 2019, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Par un mémoire en observations, enregistré le 15 octobre 2019, la société United Parcel Service France, représentée par Me B... et Me H..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D...,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- et les observations de Me J... de la MGG Legal, avocat de la société United Parcel Service France.
Considérant ce qui suit :
1. La société UPS France a sollicité le 11 décembre 2017 l'autorisation de licencier
M. A..., qui occupait sur le site de l'entreprise de Jonage (Rhône) les fonctions de responsable régional de réseau de l'activité " feeder " (coordination de poids lourds) et était titulaire du mandat de délégué du personnel suppléant. Par une décision du 15 février 2018, l'inspectrice du travail de la 6ème section de l'unité de contrôle Transport de l'unité départementale de Paris a accordé cette autorisation. Un recours hiérarchique, formé le 18 avril 2018, a été implicitement rejeté le 18 août 2018. Par la décision contestée du 7 septembre 2018, la ministre du travail a, en premier lieu, retiré cette décision de rejet implicite, en deuxième lieu a annulé la décision prise le 15 février 2018 par l'inspectrice du travail, et en troisième lieu, par l'article 3 de sa décision, a autorisé le licenciement de M. A.... Par le jugement du 28 mai 2019 dont M. A... relève appel, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :
2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Un agissement du salarié intervenu en-dehors de l'exécution de son contrat de travail ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s'il traduit la méconnaissance par l'intéressé d'une obligation découlant de ce contrat.
3. Il ressort des pièces du dossier que M. A... et Mme C... I..., elle aussi salariée de la société UPS France, ont noué une relation sentimentale à partir de février 2016 ; le 7 juillet 2017, Mme I... a mis un terme à cette relation ; la relation aurait brièvement repris en octobre 2017, avant que Mme I... ne rompe une seconde fois le 7 novembre 2017, ce qui a été la cause des agissements reprochés à M. A... (nombreux messages électroniques adressés à Mme I..., échanges de messages électroniques entre M. A... et Mme F..., qui était la confidente commune des deux amants, et deux messages électroniques de menace, adressés l'un au frère de Mme I... et l'autre à son compagnon), qui ont été retenus par la décision ministérielle contestée comme d'une gravité suffisante pour justifier, à eux seuls, le licenciement de M. A....
4. D'une part, il ressort des pièces du dossier que les 17 textos, adressés par M. A... à Mme I... du 6 au 17 novembre 2017 (2 le 6 novembre, 3 le lendemain, 2 le surlendemain et 10 le 17 novembre, dont 6 ont été envoyés en l'espace de six minutes, entre 22 heures 25 et 22 heures 31), ont été envoyés soit du téléphone privé de M. A..., soit par le biais de la messagerie Messenger ; le courriel adressé le 9 novembre 2017 par M. A... à Mme F..., qui était la confidente commune des deux protagonistes, par lequel il lui faisait part de son état après leur rupture et de son intention de prévenir le frère et le compagnon de Mme I..., a été envoyé depuis la messagerie électronique professionnelle de M. A... à l'adresse électronique personnelle de Mme F... ; les échanges de textos entre le 12 novembre et le 16 novembre 2017 entre M. A... et Mme F... ont été effectués sur les téléphones privés des deux correspondants ; les échanges de messages entre M. A... et Mme F..., le 21 novembre 2017, ont eu lieu sur la messagerie instantanée Skype de la société ; enfin, les deux messages de menace adressés le 23 novembre 2017 par M. A... au frère de Mme I... et à son compagnon ont été envoyés sur Facebook. Par suite, la quasi-totalité des messages susmentionnés, hormis celui adressé le 9 novembre 2017 par M. A... à Mme F..., au demeurant à l'adresse électronique personnelle de cette dernière, et ceux échangés entre ces deux derniers le 21 novembre 2017, ayant été envoyés en dehors du cadre de la société par des moyens de télécommunication extérieurs à celle-ci, la décision litigieuse de la ministre du travail en date du 7 septembre 2018, qui est motivée par la circonstance que M. A... a " utilisé les moyens de communication de l'entreprise (messagerie instantanée et courrier électronique) ", est entachée sur ce point d'une erreur de fait.
5. D'autre part, la circonstance que Mme I..., après la rupture avec M. A... survenue le 7 novembre 2017, a fait l'objet d'arrêts de travail du 29 novembre au 18 décembre 2017 motivés par une anxiété réactionnelle accompagnée de troubles du sommeil, ne saurait être regardée comme la conséquence de la méconnaissance, par M. A..., de l'interdiction de porter atteinte à la sécurité d'autres membres du personnel, M. A... n'ayant pas entendu porter atteinte, directement ni même indirectement, à la sécurité de Mme I.... Par suite, c'est à tort que la décision contestée de la ministre du travail en date du 7 septembre 2018 se fonde sur la méconnaissance, par M. A..., de " son obligation, découlant de son contrat de travail, de ne pas porter atteinte à la sécurité d'autres membres du personnel ".
6. Il résulte de ce qui précède que les faits reprochés à M. A... consistant, comme il a été dit, en des messages électroniques adressés à Mme I..., en des échanges de messages électroniques entre M. A... et Mme F... et en deux messages électroniques de menace adressés l'un au frère de Mme I... et l'autre à son compagnon, qui fondent la décision attaquée de la ministre du travail du 7 septembre 2018 autorisant le licenciement de M. A..., relèvent exclusivement à la vie privée du salarié et, entièrement extérieurs à celui-ci, ne sont pas rattachables à l'exécution de son contrat de travail. Par suite, M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que la ministre du travail, dans la décision précitée, a estimé que " ces comportements inappropriés, tenant, en partie, à la vie personnelle du salarié, sont toutefois rattachables à l'exécution du contrat de travail du salarié, ce dernier ayant utilisé les moyens de communication de l'entreprise (messagerie instantanée et courrier électronique) et méconnu son obligation, découlant de son contrat de travail, de ne pas porter atteinte à la sécurité d'autres membres du personnel [et que] dès lors, ces faits doivent être regardés comme fautifs [et ] (...) d'une gravité suffisante et justifiant, à eux seuls, le licenciement sollicité ". Il s'ensuit que le jugement attaqué du 28 mai 2019 du tribunal administratif de Paris et l'article 3 de la décision litigieuse de la ministre du travail du 7 septembre 2018 autorisant le licenciement de M. A... doivent être annulés.
Sur les frais liés à l'instance :
7. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative la Cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais liés à l'instance ; dès lors, les conclusions présentées à ce titre par la société United Parcel Service France doivent être rejetées.
8. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la société United Parcel Service France, qui n'est pas l'auteur de la décision attaquée, le paiement à M. A... de la somme de 1 500 euros au titre des frais liés à l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1820156/3-3 du 28 mai 2019 du tribunal administratif de Paris et l'article 3 de la décision de la ministre du travail du 7 septembre 2018 autorisant le licenciement de M. A... sont annulés.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société United Parcel Service France, tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... A..., à la société United Parcel Service France S.A.S. et à la ministre du travail.
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président,
- M. D..., président assesseur,
- Mme Collet, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 2 décembre 2019.
Le rapporteur,
I. D...Le président,
J. LAPOUZADELe greffier,
Y. HERBERLa République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
6
N° 19PA02445