II. Sous le n° 1700374, la société Polyagro a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler les décisions du 23 février 2017 par lesquelles le président de la commission de répartition et de contingentement des produits de première nécessité a attribué aux sociétés Wing Chong et Coutimex des quotas d'importation de 3 300 tonnes chacune de farine panifiable pour le premier semestre de l'année 2017.
Par un jugement n° 1700374 du 27 février 2018, le tribunal administratif de la Polynésie française a annulé ces décisions.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête et un mémoire, enregistrés sous le n° 18PA01816 les 28 mai 2018 et 15 mars 2019, la Polynésie française, représentée par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1700155 du 27 février 2018 du tribunal administratif de la Polynésie française ;
2°) de rejeter la demande de la société Polyagro présentée devant le tribunal administratif de la Polynésie française ;
3°) de mettre à la charge de la société Polyagro la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le motif d'annulation retenu par les premiers juges est infondé dès lors que le vice-président, ministre de l'économie était bien compétent pour adopter le cahier des clauses générales du 7 février 2017 sur le fondement duquel les décisions contestées ont été adoptées ;
- les autres moyens soulevés par la société Polyagro en première instance et repris en appel ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 août 2018, la société Polyagro, représentée par la SELARL DetS Légal, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la Polynésie française une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable en raison du défaut de qualité à agir du président de la Polynésie française ;
- le moyen soulevé par la requérante n'est pas fondé ;
- les articles 2 et 9 du cahier des clauses générales (CCG) sont illégaux dès lors que les capacités des candidats ne peuvent être prises en compte au stade de l'analyse des offres ; la commission ne peut pas retenir un critère identique pour l'examen des candidatures et des offres ; le CCG ne comporte pas des critères objectifs en méconnaissance des arrêtés n°s 178 / CM et 179 /CM du 18 février 1994 ; le critère de l'expérience acquise en Polynésie française constitue une mesure protectionniste contraire à la décision n° 2013/755/ EU du Conseil du 25 novembre 2013 ;
- le fait de soumettre la délivrance des licences d'importation de farine à une procédure d'appel d'offres en l'absence notamment de tout critère objectif méconnaît les principes de libre concurrence et de liberté du commerce et de l'industrie ; aucune considération d'intérêt général ne peut justifier l'interdiction d'importer de la farine en gros hors appel d'offres ;
- le rejet de son offre est entaché d'erreur manifeste d'appréciation.
II. Par une requête et des mémoires, enregistrés sous le n° 18PA01859 les 31 mai 2018, 24 octobre 2018 et 15 mars 2019, la Polynésie française, représentée par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1700374 du 27 février 2018 du tribunal administratif de la Polynésie française ;
2°) de rejeter la demande de la société Polyagro présentée devant le tribunal administratif de la Polynésie française ;
3°) de mettre à la charge de la société Polyagro la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soulève les mêmes moyens que ceux exposés sous le n° 18PA01816.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 août 2018, la société Polyagro, représentée par la SELARL DetS Légal, conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que ceux exposés sous le n° 18PA01816 et à ce que soit mise à la charge de Polynésie française une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La requête a été communiquée à la société Coutimex et à la société Wing Chong, qui n'ont pas présenté d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- la loi n° 84-820 du 6 septembre 1984 ;
- l'arrêté n° 178 CM du 18 février 1994 ;
- l'arrêté n° 179 CM du 18 février 1994 ;
- l'arrêté n°25 PR du 16 janvier 2017 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Larsonnier,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- les observations de Me A...de la SELARL DetS Légal, avocat de la société Polyagro.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes susvisées n°s 18PA01816 et 18PA01859, présentées pour la Polynésie française, sont relatives au même litige et ont fait l'objet d'une instruction commune. Par suite, il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.
2. Il ressort des pièces du dossier que par une décision n° 168 VP du 7 février 2017, le vice-président, ministre de l'économique, a lancé un appel d'offres publié par voie de presse les
8 et 9 février 2017 en vue d'attribuer des quotas d'importation de 3 300 tonnes de farine panifiable pour le premier semestre de l'année 2017 divisé en deux lots. Par deux décisions du 23 février 2017, le vice-président, ministre de l'économique, en sa qualité de président de la commission de répartition et de contingentement des produits de première nécessité, a attribué aux sociétés Wing Chong et Coutimex ces quotas d'importation. Par une décision du 24 février 2017, il a informé la société Polyagro du rejet de son offre. Par des jugements du 27 février 2018, le tribunal administratif de la Polynésie française, à la demande de la société Polyagro, a annulé les décisions des 23 et 24 février 2017. La Polynésie française relève appel de ces jugements.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif de la Polynésie française :
3. Aux termes des dispositions de l'article 25 de la loi du 6 septembre 1984 portant statut du territoire de la Polynésie française alors en vigueur : " Le conseil des ministres du territoire fixe les règles applicables aux matières suivantes : / (...) / 9° Restrictions quantitatives à l'importation (...) ". Sur le fondement de ces dispositions, le conseil des ministres a, d'une part, par un arrêté n° 178 CM du 18 février 1994, institué une procédure d'appel d'offres à l'importation de certains produits de première nécessité et créé une commission de répartition des contingents des produits de première nécessité ayant compétence pour organiser ces appels d'offres et les conditions de commercialisation de ces produits sur le territoire et, d'autre part, par un arrêté n° 179 CM du même jour, a fixé les modalités particulières de cette procédure pour l'importation des farines de froment.
4. D'une part, l'article 90 de la loi organique du 27 février 2004 dispose que : " (...) le conseil des ministres fixe les règles applicables aux matières suivantes : / (...) / 8° Restrictions quantitatives à l'importation (...) ". D'autre part, aux termes de l'article 64 de cette même loi : " Le président de la Polynésie française représente la Polynésie française. Il dirige l'action du gouvernement. (...) Il exerce le pouvoir réglementaire pour l'application des actes du conseil des ministres " et aux termes de l'article 67 de cette loi : " Le président de la Polynésie française peut déléguer certains de ses pouvoirs au vice-président et aux ministres ".
5. Par un arrêté n° 25 PR du 16 janvier 2017, le président de la Polynésie française a délégué au vice-président, ministre de l'économie, en charge des grands projets d'investissement et des réformes économiques, la gestion de la procédure d'appel d'offres relative à l'importation des produits de première nécessité et l'attribution des marchés correspondants. Le vice-président, ministre de l'économie, agissant sur le fondement de cette délégation, a adopté le 7 février 2017 le cahier des clauses générales qui fixe l'organisation des appels d'offres et détermine les critères de sélection des candidats. Aux termes de l'article 9 de ce cahier des clauses générales : " La commission choisit librement l'offre précise qu'elle juge la plus intéressante, en tenant compte non seulement du prix, mais également de la qualité, de la source d'approvisionnement, des garanties professionnelles et financières présentées par chacun des concurrents ainsi que de leur expérience acquise en Polynésie française. Son choix peut aussi être guidé par le souci de ne pas placer dans une position de dépendance les professionnels ainsi que par toute autre considération relative à un intérêt de portée générale pour la Polynésie française. ".
6. Pour prononcer l'annulation des décisions contestées au motif qu'elles avaient été prises à l'issue d'une procédure organisée en application des dispositions réglementaires du cahier des clauses générales prises par une autorité incompétente, les premiers juges ont estimé que les dispositions de ce cahier des clauses générales, en particulier celles de l'article 9, fixaient des règles relatives aux restrictions quantitatives à l'importation relevant de la seule compétence du conseil des ministres et que l'arrêté n° 25 PR du 16 janvier 2017 relatif aux attributions du ministre chargé de l'économie, par lequel le président de la Polynésie française lui délègue ses pouvoirs pour la gestion de la procédure d'appel d'offres relative à l'importation des produits de première nécessité, ne pouvait dès lors avoir ni pour objet, ni pour effet, de conférer à ce ministre le pouvoir de réglementer la procédure en cause.
7. La Polynésie française soutient que ce cahier des clauses générales a été adopté au titre du pouvoir réglementaire détenu par son président pour l'application des arrêtés du conseil des ministres du 18 février 1994 en vertu de l'article 64 de la loi organique du 27 février 2004 et qui avait été délégué au vice-président, ministre de l'économie, comme l'autorisait l'article 67 de cette même loi. Il ressort toutefois des dispositions du cahier des clauses générales du 7 février 2017, qui a pour objet de définir les clauses générales applicables aux appels d'offres à l'importation et à la distribution au stade de gros de certains produits de première nécessité en Polynésie française, que celui-ci détermine les principes de la procédure d'appel d'offres et fixe les critères de sélection des bénéficiaires de quota d'importation des produits de première nécessité. Ainsi, eu égard à la portée des dispositions réglementaires de ce cahier des charges qui régissent indistinctement tous les appels d'offre relatifs aux produits de première nécessité, celles-ci doivent être regardées comme fixant des règles applicables aux restrictions quantitatives à l'importation dont l'édiction relevait de la seule compétence du conseil des ministres en application de l'article 90 de la loi organique du 27 février 2004. Par suite, c'est à bon droit que les premières juges ont annulé les décisions des 23 et 24 février 2017 du ministre de l'économie prises sur le fondement des dispositions réglementaire du cahier des charges édictées par une autorité incompétente.
8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la société Polyagro, que la Polynésie française n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de la Polynésie française a annulé les décisions des 23 et 24 février 2017 par lesquelles le ministre de l'économie, en sa qualité président de la commission de répartition et de contingentement des produits de première nécessité, a respectivement attribué des quotas d'importation aux sociétés Wing Chong et Coutimex et rejeté l'offre de la société Polyagro.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société Polyagro, qui n'est pas dans la présente instance, la partie perdante, verse à la Polynésie française la somme qu'elle demande au titre des frais liés à l'instance. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de la Polynésie française, le versement d'une somme de 1 500 euros à verser à la société Polyagro sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Les requêtes n°s 18PA01816 et 18PA01859 de la Polynésie française sont rejetées.
Article 2 : La Polynésie française versera à la société Polyagro la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la Polynésie française, à la société Polyagro et aux sociétés Wing Chong et Coutimex.
Délibéré après l'audience du 20 juin 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- Mme Larsonnier, premier conseiller,
- Mme Guilloteau, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 4 juillet 2019.
Le rapporteur,
V. LARSONNIERLe président,
J. LAPOUZADE
Le greffier,
C. POVSELa République mande et ordonne à la ministre des Outre-mer en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°s 18PA01816, 18PA01859