Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 19 décembre 2017, M. A..., représenté par Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1616232/3-1 du 5 décembre 2017 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 28 juillet 2016 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour motif économique ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision litigieuse de l'inspecteur du travail est insuffisamment motivée ;
- le motif économique du licenciement n'est pas établi ;
- la demande d'autorisation de licenciement est en lien avec ses mandats représentatifs.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2018, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que la requête n'appelle pas de sa part d'autres remarques que celle exposées dans son mémoire présenté devant le tribunal administratif, qu'elle joint à son mémoire en défense.
Par un mémoire en observation, enregistré le 22 février 2018, le groupement d'intérêt économique IT-CE, représenté par Me Bonnet-Mantoux et Callies, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 2 000 euros soit mis à la charge de M. A...sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A...ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Luben,
- les conclusions de Mme Aurélie Bernard, rapporteur public,
- et les observations de Me Bonnet-Mantoux, avocat du groupement d'intérêt économique IT-CE.
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., recruté en février 1989, exerçait, depuis 2011, les fonctions de " manager d'entité " au sein du groupement d'intérêt économique informatique et technologies - caisse d'épargne (GIE IT-CE). Par ailleurs, il détenait les mandats de délégué du personnel et de représentant syndical au comité d'entreprise. Par un courrier du 23 juin 2016, le GIE IT-CE a demandé à l'inspecteur du travail l'autorisation de le licencier pour motif économique. Par la décision litigieuse du 28 juillet 2016, l'inspecteur du travail a autorisé ce licenciement.
Sur le bien fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 2421-12 du code du travail : " La décision de l'inspecteur du travail est motivée ".
3. Il ressort de ses motifs que la décision contestée du 28 juillet 2016 de l'inspecteur du travail comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent son fondement et, notamment, précise le motif du licenciement économique, du fait d'un contexte économique défavorable et notamment une compétitivité moindre que celle de ses concurrents, le groupe BPCE a engagé un plan de transformation de ses activités informatiques consistant en la mutualisation des activités de production informatique au sein d'une nouvelle entité juridique (BPCE Infogérance et Technologies), ce qui a entraîné la suppression de 787 postes au sein de l'entreprise IT-CE (dont l'emploi de " manager entité production service " occupé par M. A...sur le site de Bordeaux), relate la procédure du plan de sauvegarde de l'emploi qui a alors été mis en oeuvre, détaille avec suffisamment de précision les différentes propositions de reclassement faites à l'intéressé et relève qu'il n'a pas été établi de lien entre la demande d'autorisation de licenciement et les anciens mandats détenus par M.A.... Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que le moyen tiré d'un défaut de motivation de la décision contestée devait être écarté.
4. En deuxième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 1233-3 du code du travail : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ".
5. Lorsque l'employeur sollicite une autorisation de licenciement pour motif économique fondée sur le refus du salarié d'accepter une modification de son contrat de travail, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si cette modification était justifiée par un motif économique. Si la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise peut constituer un tel motif, c'est à la condition que soit établie une menace pour la compétitivité de l'entreprise, laquelle s'apprécie, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, au niveau du secteur d'activité dont relève l'entreprise en cause au sein du groupe.
6. Il ressort des pièces du dossier que le groupe BPCE, issu de la fusion de la Caisse nationale des caisses d'épargne et de la Banque fédérale des Banques populaires, comportait trois entités de support informatique, le groupement d'intérêt économique (GIE) Informatique et technologie (IT-CE) pour les Caisses d'épargne et le Crédit foncier, spécialisé dans la production informatique et l'édition, où travaillait M.A..., la société Informatique Banque Populaire (i-BP), son équivalent pour les Banques populaires, et le GIE BPCE - Infogérance et Technologie (BPCE-IT), créé en octobre 2015 comme structure commune des filiales informatiques du groupe BPCE, dont la mission était l'infogérance et les achats du groupe. Le groupe BPCE a décidé de restructurer ses activités informatiques en regroupant d'une part les activités de production informatique du GIE IT-CE et de la société i-BP au sein du GIE BPCE-IT et, d'autre part, en spécialisant le GIE IT-CE dans l'édition informatique. Cette restructuration par mutualisation, à l'origine de la suppression du poste de M.A..., était justifiée par le fait que le coefficient d'exploitation (ratio des charges d'exploitation par rapport au produit net bancaire) du groupe BPCE était plus élevé que la moyenne de ses concurrents (ainsi, en 2013, les coefficients d'exploitation des Banques populaires et des Caisses d'épargne ont été respectivement de 66,3% et 65,8%, par rapport à un coefficient moyen de 61,9% pour les banques de détail en France) ; de surcroît, ce coefficient d'exploitation du groupe BPCE a connu une hausse pour atteindre 70,4% au premier semestre 2016, alors que le coefficient moyen d'exploitation des banques françaises, même s'il a lui aussi augmenté, n'était que de 66,4%. En outre, les principaux concurrents du groupe BPCE (la Société Générale, BNP Paribas Fortis), qui présentaient déjà un coefficient d'exploitation moins élevé, ont entamé des plans de réduction des coûts visant à améliorer leur efficacité opérationnelle par la simplification de leur organisation, s'agissant en particulier de leurs activités informatiques, dans un contexte marqué par la généralisation de la numérisation des services bancaires et d'assurance. Enfin, la circonstance que le GIE IT-CE aurait procédé à des recrutements après qu'il a été spécialisé dans l'édition informatique ne saurait mettre en cause la nécessité de la restructuration de l'ensemble des activités informatiques du groupe BPCE, ni de la suppression qui en a découlé au sein du GIE IT-CE des postes de production informatique, correspondant à celui occupé par M.A.... Par suite, dans ce contexte concurrentiel, la mutualisation des activités de production informatique des GIE IT-CE et i-BP au sein du GIE BPCE-IT et la spécialisation du GIE IT-CE dans l'édition informatique étaient de nature à réduire les coûts de l'exploitation informatique et, par conséquent, les charges d'exploitation du groupe, cette réorganisation des activités informatiques répondant ainsi à la nécessité de sauvegarder la compétitivité des réseaux du groupe BPCE, qui était menacée, quand bien même le groupe BPCE a connu une croissance en 2014 et 2015. Il s'en suit que M. A...n'est pas fondé à soutenir que le motif économique du licenciement n'est pas établi.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie. / Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. / Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises ".
8. Pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation en matière de reclassement, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié, tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises du groupe auquel elle appartient, ce dernier étant entendu, à ce titre, comme les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel.
9. Il ressort des pièces du dossier que, d'une part, M.A..., qui occupait en dernier lieu le poste de manager d'entité (direction, animation et gestion d'une entité informatique) dans le domaine de la production informatique (activités de projets techniques, de mise en production et d'exploitation des applications ainsi que de gestion des infrastructures) de classification CM7, s'est vu proposer, en considération de ses voeux d'affectation géographique, le 10 septembre 2015 et le 5 novembre 2015, de manière écrite, précise et personnalisée, le poste de " manager de projet ", statut cadre, niveau de classification CM7 (cadre/manager) rattaché au pôle " présidence ", direction de la " sécurité ", au sein même d'IT-CE sur le site de Bordeaux, le poste de " directeur de projet ", statut cadre, niveau de classification I, avec un rattachement au département " Projets Editeurs Mysys ", direction " Projets techniques ", au sein de BPCE-IT sur le site de Toulouse, et le poste d'architecte informatique, statut cadre, niveau de classification I, rattaché à la direction Architecture et sécurité au sein du service architecture technologie OPEN et Poste de travail au sein de BPCE-IT sur le site de Toulouse. Les caractéristiques de ces postes correspondaient à la même catégorie que son poste de manager d'entité et offraient une rémunération proche de celle qu'il percevait, les postes vacants ayant été recherchés par l'employeur dans les entreprises du groupe BPCE dont l'organisation et les activités (les activités informatiques) et le lieu d'exploitation permettaient, en raison des relations qui existaient avec elles, d'effectuer la permutation du personnel. Enfin, si M. A... avait fait part de son souhait d'intégrer la direction d'Architecture, Technique et Innovation (ATI) d'IT-CE sur le site de Bordeaux où deux postes étaient vacants, le poste de directeur de projet ne lui a pas été initialement proposé parce que n'étant pas d'un niveau équivalent à celui qu'il occupait (il lui sera toutefois ultérieurement proposé) et le poste de chef de projet n'a été pourvu qu'à titre temporaire pour une mission de courte durée. De plus, plusieurs mesures de formation ont été prévues dans le plan de sauvegarde de l'emploi, cadre dans lequel M. A...a bénéficié d'un accompagnement, par le cabinet Altedia, pour sa création d'entreprise. Au surplus, une liste des postes vacants dans les différentes entreprises du groupe a été communiquée à trois reprises à M. A.... Par suite, le GIE IT-CE de M. A...doit être regardé comme ayant satisfait à son obligation de reclassement en recherchant ainsi sérieusement un poste équivalent et en proposant à l'intéressé des offres concrètes, précises et personnalisées.
10. Par ailleurs, M. A...ne peut utilement se prévaloir à l'encontre de la décision attaquée de la méconnaissance par son employeur de l'obligation prévue à l'article L. 6321-1 du code du travail d'assurer l'adaptation de ses salariés à leur poste de travail, dès lors que l'autorisation de licenciement litigieuse n'est pas subordonnée au respect de cette obligation. Au surplus, il ressort des pièces du dossier que M. A...a bénéficié quasiment chaque année, depuis 2006, d'une formation.
11. En quatrième lieu, en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé.
12. Il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment eu égard à la circonstance que l'ensemble des postes relevant de sa catégorie professionnelle (les managers d'entité du pôle production) ont été supprimés ou transférés vers BPCE-IT, que la demande d'autorisation de licenciement de M. A...soit en lien avec les mandats de délégué du personnel et de représentant syndical au comité d'entreprise qu'il détenait.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 5 décembre 2017, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge du groupement d'intérêt économique IT-CE les frais liés à l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le groupement d'intérêt économique IT-CE, tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au groupement d'intérêt économique IT-CE et à la ministre du travail.
Délibéré après l'audience du 4 octobre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président,
- M. Luben, président assesseur,
- Mme Larsonnier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 mars 2019.
Le rapporteur,
I. LUBENLe président,
J. LAPOUZADELe greffier,
Y. HERBER
La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA03881