Par un jugement n° 1901266/6-1 du 24 mai 2019, le tribunal administratif de Paris a mis à la charge du département de la Manche les dépenses d'aide sociale exposées en faveur de M. D... pour la période du 1er octobre 2015 au 30 septembre 2025.
Par une décision du 4 mars 2020, enregistrée le 8 avril 2020 au greffe de la Cour, le Conseil d'État statuant au contentieux a transmis à la Cour administrative d'appel de Paris la requête présentée par le département de la Manche.
Procédure devant la Cour :
Par une requête sommaire et des mémoires, enregistrés les 22 juillet et 21 octobre 2019 et les 1er juillet et 12 août 2020, le département de la Manche, représenté par Me J..., demande à la Cour dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement n° 1901266/6-1 du 24 mai 2019 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande du département de l'Eure ;
3°) de mettre à la charge du département de l'Eure la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal a insuffisamment motivé son jugement et a commis une erreur de droit en se bornant, pour fixer le domicile de secours de M. D..., à constater que celui-ci avait déclaré avoir été hébergé dans le département de la Manche entre sa libération le 4 novembre 2011 et sa nouvelle incarcération le 11 mai 2012, sans rechercher s'il y avait effectivement résidé pendant cette période ;
- il a dénaturé les faits du dossier en jugeant qu'il résultait de l'instruction que M. D... avait été hébergé pendant plus de 6 mois à Saint-Hilaire-du-Harcouët avant son incarcération, pour en déduire qu'il y avait son domicile de secours ;
- il a commis une erreur de droit en mettant à sa charge le versement de la prestation de compensation du handicap accordée à M. D... pour la période allant du 1er octobre 2015 au 30 septembre 2025, sans tenir compte de la circonstance que l'intéressé avait élu domicile à compter du 1er septembre 2017 auprès de l'établissement pénitentiaire de Val-de-Reuil, situé dans le département de l'Eure.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 17 juillet et 19 août 2020, le département de l'Eure, représenté par Me I..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge du département de la Manche le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
- le décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- les observations de Me C... substituant Me J..., avocat du département de la Manche,
- et les observations de Me E... substituant Me I..., avocat du département de l'Eure.
Une note en délibéré, enregistrée le 9 octobre 2020, a été présentée pour le département de la Manche.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., né le 17 juin 1977, a été incarcéré du 14 mai au 4 novembre 2011 dans le département d'Ille-et-Vilaine. A compter du 11 mai 2012 il a été de nouveau incarcéré successivement dans différents établissements, et à compter du 11 janvier 2017 au sein du centre de détention de Val-de-Reuil situé dans le département de l'Eure où il a élu domicile le 1er septembre 2017. Entretemps, par une décision du 5 juillet 2016, la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées d'Ille-et-Vilaine a accordé à M. D..., qui était alors incarcéré dans ce département à Vézin-le-Coquet, le bénéfice de la prestation de compensation du handicap pour la période du 1er octobre 2015 au 30 septembre 2025 pour prendre en charge les coûts liés à un besoin d'aide humaine pour un montant correspondant au forfait pour cécité, sur le fondement du 1° de l'article L. 245-2 et de l'article D. 245-9 du code de l'action sociale et des familles. Par un courrier notifié le 4 juillet 2017, le président du conseil départemental d'Ille-et-Vilaine a transmis le dossier de M. D... au président du conseil départemental de la Manche sur le fondement de l'article L. 122-4 du code de l'action sociale et des familles au motif que l'intéressé avait conservé son domicile de secours dans ce département. Par un courrier notifié le 14 septembre 2017, le président du conseil départemental de la Manche a transmis à son tour le dossier de M. D... au département de l'Eure au motif que M. D... ne justifiait pas de sa résidence dans la Manche avant son incarcération et que son domicile de secours se trouvait dans l'Eure du fait de son élection de domicile, le 1er septembre 2017, auprès du centre de détention de Val-de-Reuil. Par jugement rendu le 24 mai 2019 le tribunal administratif de Paris, saisi de la demande du département de l'Eure, a mis les dépenses d'aide sociale exposées en faveur de M. D... au titre de la prestation de compensation du handicap, qui lui a été attribuée le 5 juillet 2016 par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées d'Ille-et-Vilaine pour la période du 1er octobre 2015 au 30 septembre 2025, à la charge du département de la Manche. Le département de la Manche a formé un pourvoi contre ce jugement devant le Conseil d'Etat, qui a renvoyé l'affaire à la Cour de céans par décision du 4 mars 2020.
Sur le bien-fondé de la demande du département de l'Eure présentée au tribunal administratif de Paris :
2. D'une part, aux termes du I de l'article L. 245-1 du code de l'action sociale et des familles : " Toute personne handicapée résidant de façon stable et régulière en France (...) dont l'âge est inférieur à une limite fixée par décret et dont le handicap répond à des critères définis par décret (...) a droit à une prestation de compensation qui a le caractère d'une prestation en nature qui peut être versée, selon le choix du bénéficiaire, en nature ou en espèces ". Aux termes de l'article L. 245-2 du même code : " La prestation de compensation est accordée par la commission mentionnée à l'article L. 146-9 et servie par le département où le demandeur a son domicile de secours ou, à défaut, où il réside (...). Aux termes de l'article L. 121-1 de ce code : " (...) Les prestations légales d'aide sociale sont à la charge du département dans lequel les bénéficiaires ont leur domicile de secours (...) ". Aux termes de l'article L. 122-1 du même code : " Les dépenses d'aide sociale prévues à l'article L. 121-1 sont à la charge du département dans lequel les bénéficiaires ont leur domicile de secours. / A défaut de domicile de secours, ces dépenses incombent au département où réside l'intéressé au moment de la demande d'admission à l'aide sociale ". Aux termes du 1er alinéa de l'article L. 122-2 du même code : " (...) le domicile de secours s'acquiert par une résidence habituelle de trois mois dans un département postérieurement à la majorité ou à l'émancipation, sauf pour les personnes admises dans des établissements sanitaires ou sociaux, (...) qui conservent le domicile de secours qu'elles avaient acquis avant leur entrée dans l'établissement (...) ". Aux termes de l'article L. 122-3 du même code : " Le domicile de secours se perd : / 1° Par une absence ininterrompue de trois mois (...) / 2° Par l'acquisition d'un autre domicile de secours. / Si l'absence résulte de circonstances excluant toute liberté de choix du lieu de séjour (...) le délai de trois mois ne commence à courir que du jour où ces circonstances n'existent plus ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 264-1 du code de l'action sociale et des familles : " Pour prétendre au service des prestations sociales légales, réglementaires et conventionnelles (...) les personnes sans domicile stable doivent élire domicile soit auprès d'un centre communal ou intercommunal d'action sociale, soit auprès d'un organisme agréé à cet effet (...) Le département débiteur de l'allocation personnalisée d'autonomie, de la prestation de compensation du handicap et du revenu de solidarité active mentionnés respectivement aux articles L. 232-1, L. 245-1 et L. 262-1 est celui dans le ressort duquel l'intéressé a élu domicile ". Et aux termes de l'article 30 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 : " Les personnes détenues peuvent élire domicile auprès de l'établissement pénitentiaire : (...) 2° Pour prétendre au bénéfice des droits mentionnés aux articles L. 121-1 et L. 264-1 du code de l'action sociale et des familles, lorsqu'elles ne disposent pas d'un domicile de secours ou d'un domicile personnel au moment de leur incarcération ou ne peuvent en justifier ".
4. Enfin, aux termes de l'article L. 122-4 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsqu'il estime que le demandeur a son domicile de secours dans un autre département, le président du conseil départemental doit, dans le délai d'un mois après le dépôt de la demande, transmettre le dossier au président du conseil départemental du département concerné. Celui-ci doit, dans le mois qui suit, se prononcer sur sa compétence. Si ce dernier n'admet pas sa compétence, il transmet le dossier à la commission centrale d'aide sociale mentionnée à l'article L. 134-2. Lorsque la situation du demandeur exige une décision immédiate, le président du conseil départemental prend ou fait prendre la décision. / Si, ultérieurement, l'examen au fond du dossier fait apparaître que le domicile de secours du bénéficiaire se trouve dans un autre département, elle doit être notifiée au service de l'aide sociale de cette dernière collectivité dans un délai de deux mois. Si cette notification n'est pas faite dans les délais requis, les frais engagés restent à la charge du département où l'admission a été prononcée. (...) ". Il résulte du deuxième alinéa de cet article que lorsqu'un département, après avoir pris une décision d'admission d'un demandeur à l'aide sociale, pouvant le cas échéant ressortir de l'engagement de frais pour sa prise en charge, transmet le dossier, plus de deux mois après cette admission, à un autre département dans lequel il estime que le demandeur a son domicile de secours, il conserve la charge des frais engagés jusqu'à la date de cette transmission, même si le demandeur a effectivement son domicile de secours dans cet autre département. En revanche, si, en vertu du premier alinéa du même article, le département qui estime que le demandeur a son domicile de secours dans un autre département doit, dans le délai d'un mois après le dépôt de la demande, transmettre le dossier au département concerné, la méconnaissance de ce délai est par elle-même sans incidence sur la détermination du département auquel incombe les dépenses d'aide sociale susceptibles d'être exposées, y compris au titre de la période antérieure à cette transmission, qui est celui dans lequel l'intéressé a son domicile de secours.
5. Pour mettre à la charge du département de la Manche les dépenses d'aide sociale exposées en faveur de M. D... au titre de la prestation de compensation du handicap, qui lui a été attribuée par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées d'Ille-et-Vilaine pour la période du 1er octobre 2015 au 30 septembre 2025, le tribunal administratif a considéré que pendant la période, supérieure à trois mois, écoulée entre sa libération le 4 novembre 2011 et sa nouvelle incarcération le 11 mai 2012, M. D..., a été hébergé à Saint-Hilaire, dans le département de la Manche.
6. Une incarcération étant une " circonstance excluant toute liberté de choix du lieu de séjour ", au sens des dispositions de l'article L. 122-3 du code de l'action sociale et des familles, l'incarcération de M. D... à compter du 11 mai 2012 n'a pas pu entrainer la perte d'un domicile de secours en application de cet article, quels qu'aient été les lieux successifs de sa détention. Dès lors, il convient de vérifier si M. D... disposait d'un domicile de secours à la date du 11 mai 2012 à laquelle est intervenue sa dernière incarcération.
7. Sur ce point, l'attestation établie par M. D... le 5 avril 2017, dans laquelle il a indiqué que son " dernier domicile reconnu " était chez M. A... à Le Teilleul dans le département de la Manche, ne peut être regardée comme constituant une justification de la détermination d'un domicile de secours au cours de la période du le 4 novembre 2011 au 11 mai 2012 dès lors qu'elle n'est étayée par aucun document probant concernant M. A... et le lieu de sa résidence, et qu'en outre elle ne comporte aucune précision sur les dates d'un séjour que M. D... aurait effectué à Le Teilleul, alors que sa mère a attesté le 27 novembre 2017 qu'il avait été hébergé par M. A... sur une autre période, soit de juin 2010 à mai 2011. Et le courrier électronique du 15 décembre 2017 par lequel l'agent du service pénitentiaire d'insertion et de probation du centre de détention de Val-de-Reuil expose que M. D... lui a indiqué avoir été hébergé du mois de novembre 2011 jusqu'au mois de mars 2012 à Saint-Hilaire-du-Harcouët (50) chez son oncle M. G..., décédé depuis, puis toujours dans la même commune de mars 2012 jusqu'au 11 mai 2012 chez M. H..., également décédé depuis, ne revêt pas un caractère suffisamment probant quant à la détermination du domicile de secours de M. D... au cours de la période du 4 novembre 2011 au 11 mai 2012.
8. Il suit de là que le département de la Manche est fondé à soutenir que, contrairement au motif retenu par les premiers juges pour mettre à sa charge les dépenses d'aide sociale exposées en faveur de M. D... au titre de la prestation de compensation du handicap, qui lui a été attribuée par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées d'Ille-et-Vilaine pour la période du 1er octobre 2015 au 30 septembre 2025, M. D... ne peut pas être regardé comme ayant disposé d'un domicile de secours dans la Manche à la date du 11 mai 2012 à laquelle est intervenue sa dernière incarcération.
9. Par suite, en l'absence de tout argument avancé par le département de l'Eure en première instance ou en appel qui permettrait de fixer le domicile de secours de M. D... dans le département de la Manche pour quelque période que ce soit, et alors d'ailleurs qu'en application des dispositions du 2° de l'article 30 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire, rappelées au point 3, M. D... a élu domicile le 1er septembre 2017 au centre de détention de Val-de-Reuil dans l'Eure, quand bien même il aurait été invité à le faire par les services du département de la Manche, ce département est fondé à demander à la Cour d'annuler le jugement du 24 mai 2019 du tribunal administratif de Paris et de rejeter la demande par laquelle le département de l'Eure a demandé à ce tribunal de mettre à la charge du département de la Manche les dépenses d'aide sociale exposées en faveur de M. D... pour la période du 1er octobre 2015 au 30 septembre 2025 .
Sur les frais de l'instance :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du département de la Manche, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement au département de l'Eure d'une somme au titre des frais de l'instance. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du département de l'Eure, par application des mêmes dispositions, le versement au département la Manche de la somme de 1 500 euros au titre des frais de l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1901266/6-1 du 24 mai 2019 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande présentée par le département de l'Eure au tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : Le département de l'Eure versera au département la Manche la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au président du conseil départemental de l'Eure et au président du conseil départemental de la Manche.
Délibéré après l'audience du 24 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Vinot, président de chambre,
- M. Luben, président assesseur,
- Mme B..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 octobre 2020.
Le rapporteur,
A. B...Le président,
H. VINOT
Le greffier,
C. POVSELa République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA01200