Par une requête, enregistrée le 27 janvier 2021, Mme A... D..., représentée par Me Mahbouli, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1908503 du 16 décembre 2020 du tribunal administratif de Melun ;
2°) d'annuler l'arrêté du 20 août 2019 de la préfète de Seine-et-Marne ;
3°) d'enjoindre à la préfète de Seine-et-Marne de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dès la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ou de réexaminer sa demande de régularisation en indiquant expressément les documents essentiels et de lui octroyer un délai raisonnable pour les produire ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les premiers juges, en retenant à tort la méconnaissance du champ d'application de la loi et en substituant ainsi comme base légale de l'arrêté en litige le pouvoir discrétionnaire du préfet en lieu et place de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ont contredit les dispositions du jugement du 2 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Melun avait enjoint à la préfète de Seine-et-Marne d'examiner sa demande d'admission au séjour au regard des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et ont ainsi méconnu l'autorité de la chose jugée et le principe de sécurité juridique ;
- les services de la préfecture, par les envois successifs de demandes de pièces complémentaires dont la formulation ne permettait pas de distinguer celles facultatives de celles indispensables à l'examen de sa demande, ne lui ont pas permis de produire dans un délai raisonnable l'autorisation de travail, pièce seulement exigée le 19 juillet 2019, et ont ainsi méconnu leur obligation de loyauté ;
- la préfète n'a pas procédé à un examen complet de sa situation ;
- l'arrêté contesté méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle justifie des documents permettant son admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il méconnaît les stipulations des article 3-1, 9-1 et 9-3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation personnelle et familiale.
La requête a été communiquée au préfet de Seine-et-Marne, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- l'accord franco-tunisien en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Collet,
- et les observations de Me Mahbouli, avocat de Mme A... D....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... D..., ressortissante tunisienne née le 24 février 1988, s'est mariée le 24 mars 2012 avec M. B... C.... Elle a bénéficié d'une carte de résident valable du 21 mai 2014 au 20 mai 2024 délivrée au titre du regroupement familial avant de divorcer le 20 avril 2015. Par un arrêté du 16 février 2018, la préfète de Seine-et-Marne a refusé de l'admettre au séjour au motif qu'elle ne remplissait pas les conditions prévues par les stipulations de l'accord-franco tunisien du 17 mars 1988 modifié et l'a obligée à quitter le territoire français. Par un jugement n° 1802142 du 2 mai 2019, le tribunal administratif de Melun a annulé cet arrêté et a enjoint à la préfète de Seine-et-Marne de réexaminer la demande de Mme A... D... dans un délai de trois mois. Par lettre du 3 juin 2019, la préfète de Seine-et-Marne a invité Mme A... D... à se présenter en préfecture dans les meilleurs délais, munie de ce jugement, d'un passeport en cours de validité, d'un justificatif de domicile de moins de trois mois, de deux photographies et d'un relevé d'identité bancaire ou de celui de son conseil. Par une lettre du 19 juillet 2019, la préfète a demandé à Mme A... D... de lui communiquer un justificatif de domicile de moins de six mois, tous éléments relatifs à sa vie privée et familiale en France et à l'étranger et, le cas échéant, les formulaires de demande d'autorisation de travail à pré-remplir en ligne par l'employeur. Par un arrêté du 20 août 2019, la préfète de Seine-et-Marne a rejeté la demande de titre de séjour présentée par Mme A... D..., lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement. Mme A... D... relève appel du jugement du 16 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. En premier lieu, il ne ressort ni des termes de l'arrêté contesté, ni des pièces du dossier que la préfète de Seine-et-Marne n'aurait pas procédé à un examen complet de la situation de l'intéressée. En outre, si Mme A... D... soutient que les services préfectoraux auraient manqué à leur devoir de loyauté en lui demandant tardivement, par un courrier du 19 juillet 2019, les formulaires " demande d'autorisation pour conclure un contrat de travail avec un salarié étranger résidant en France ", l'intéressée n'établit pas ni même n'allègue, alors qu'il lui avait été laissé un délai d'un mois pour y procéder, qu'elle aurait informé les services préfectoraux de l'impossibilité de communiquer l'autorisation de travail sollicitée dans le délai accordé.
3. En deuxième lieu, en ce qui concerne les ressortissants tunisiens, l'article 11 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 en matière de séjour et de travail stipule que : " Les dispositions du présent Accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'Accord. / Chaque Etat délivre notamment aux ressortissants de l'autre Etat tous titres de séjour autres que ceux visés au présent Accord, dans les conditions prévues par sa législation ". L'article 3 du même accord stipule que " Les ressortissants tunisiens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent accord, reçoivent, après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention ''salarié'' ". De même, le protocole relatif à la gestion concertée des migrations entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne, signé le 28 avril 2008, stipule, à son point 2.3.3, que " le titre de séjour portant la mention ''salarié'', prévu par le premier alinéa de l'article 3 de l'accord du 17 mars 1988 modifié est délivré à un ressortissant tunisien en vue de l'exercice, sur l'ensemble du territoire français, de l'un des métiers énumérés sur la liste figurant à l'Annexe I du présent protocole, sur présentation d'un contrat de travail visé par l'autorité française compétente sans que soit prise en compte la situation de l'emploi (....) ". Enfin l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa numérotation alors applicable, dispose que " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 (...) peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7. (...) ".
4. Portant sur la délivrance des catégories de cartes de séjour temporaire prévues par les dispositions auxquelles il renvoie, l'article L. 313-14 n'institue pas une catégorie de titres de séjour distincte mais est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France soit au titre de la vie privée et familiale, soit au titre d'une activité salariée. Il fixe ainsi, notamment, les conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France au titre d'une activité salariée. Dès lors que l'article 3 de l'accord franco-tunisien prévoit la délivrance de titres de séjour au titre d'une activité salariée, un ressortissant tunisien souhaitant obtenir un titre de séjour au titre d'une telle activité ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article
L. 313-14 à l'appui d'une demande d'admission au séjour sur le territoire national, s'agissant d'un point déjà traité par l'accord franco-tunisien, au sens de l'article 11 de cet accord. Toutefois, si l'accord franco-tunisien ne prévoit pas, pour sa part, de semblables modalités d'admission exceptionnelle au séjour, ses stipulations n'interdisent pas au préfet de délivrer un titre de séjour à un ressortissant tunisien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit. Il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, en fonction de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation.
5. D'une part, il résulte de ce qui précède que la préfète de Seine-et-Marne ne pouvait légalement rejeter la demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié présentée par Mme A... D... en se fondant sur les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. C'est, dès lors, à bon droit que le tribunal administratif de Melun a substitué à cette base légale erronée celle tirée du pouvoir, dont dispose le préfet, de régulariser ou non la situation d'un étranger dès lors que cette substitution de base légale n'a pas eu pour effet de priver l'intéressée d'une garantie et que l'administration disposait du même pouvoir d'appréciation, dans l'exercice de son pouvoir général de régularisation, que lorsqu'elle examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié présentée sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En outre, la circonstance que par un jugement du 2 mai 2019, le tribunal administratif de Melun ait annulé une précédente décision de refus de délivrance d'un titre de séjour à Mme A... D... pour défaut d'examen de la situation de l'intéressée au regard des conditions d'admission exceptionnelle au séjour et a enjoint à la préfète de Seine-et-Marne de réexaminer sa demande est sans incidence sur la légalité de la décision en litige et ne saurait caractériser une méconnaissance par les premiers juges de l'autorité de la chose jugée, la condition d'identité d'objet n'étant pas remplie dès lors que les décisions sont distinctes. Au surplus, et à supposer que Mme A... D... ait entendu soutenir que la préfète aurait méconnu l'autorité de la chose jugée attachée au jugement rendu par le tribunal administratif de Melun le 2 mai 2019, l'annulation prononcée par le tribunal, qui n'impliquait qu'un réexamen de sa demande, ne s'opposait pas à ce que la préfète, à l'issue d'un nouvel examen de la situation de l'intéressée, décide de lui refuser la délivrance d'un titre de séjour.
6. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que Mme A... D..., qui se prévaut de sa présence régulière sur le territoire français depuis mars 2014, a obtenu, en février 2014 un master en gestion - marketing auprès de l'université de Sfax en Tunisie et justifie, depuis le 26 février 2017, soit depuis deux ans et six mois à la date de l'arrêté en litige, d'un contrat à durée indéterminée à temps partiel en qualité d'employé polyvalent au sein de l'entreprise Five Guys Disney, spécialisée dans la restauration rapide. Toutefois, ces circonstances ne sont pas suffisantes pour constituer un motif exceptionnel de nature à lui ouvrir un droit au séjour. Dans ces conditions, Mme A... D... n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que la préfète de Seine-et-Marne, en lui refusant de l'admettre exceptionnellement au séjour en qualité de salarié, aurait méconnu les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne pour la sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) ".
8. Mme A... D..., qui est entrée régulièrement en France en mars 2014 dans le cadre du regroupement familial, soutient qu'elle y réside depuis, qu'elle s'est remariée en 2018 et que le couple a eu un enfant, né en France le 3 décembre 2018, qu'elle est parfaitement intégrée dans la société française, notamment professionnellement dès lors qu'elle justifie d'un contrat à durée indéterminée au sein de la même entreprise de restauration. Toutefois, si la requérante justifie exercer une activité professionnelle à temps partiel en qualité d'employé polyvalent au sein de l'entreprise de restauration rapide " Five Guys Disney " depuis le 26 février 2017, il ressort des pièces du dossier que Mme A... D..., qui a épousé un compatriote en Tunisie le 20 mars 2018, ne justifie pas que son époux vivrait régulièrement en France à ses côtés. De même, il ne ressort pas des pièces du dossier que la vie familiale de Mme A... D... ne pourrait se poursuivre en Tunisie dès lors que son mari et son fils sont également de nationalité tunisienne. Dans ces conditions, et dès lors que Mme A... D... ne justifie pas d'une intégration particulière dans la société française ni qu'elle serait dépourvue d'attaches personnelles et familiales dans son pays d'origine où elle a vécu au moins jusqu'à l'âge de 26 ans, la préfète de Seine-et-Marne n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne pour la sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Aux termes de l'article 9-1 de la même convention : " Les États parties veillent à ce que l'enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l'intérêt supérieur de l'enfant. Une décision en ce sens peut être nécessaire dans certains cas particuliers, par exemple lorsque les parents maltraitent ou négligent l'enfant, ou lorsqu'ils vivent séparément et qu'une décision doit être prise au sujet du lieu de résidence de l'enfant ". Enfin, aux termes de l'article 9-3 de la même convention : " Les États parties respectent le droit de l'enfant séparé de ses deux parents ou de l'un d'eux d'entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs, mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.
10. Mme A... D... soutient que la préfète de Seine-et-Marne aurait méconnu l'intérêt supérieur de son enfant dès lors que celui-ci a commencé à établir ses repères en France et qu'il sera nécessairement séparé de son père en cas de retour en Tunisie. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que son fils, né en France le 3 décembre 2018, n'était âgé que de huit mois à la date de l'arrêté en litige. En outre, et ainsi qu'il a été dit au point 8 du présent arrêt, Mme A... D... n'établit pas que sa vie familiale ne pourrait se poursuivre en Tunisie dès lors que son époux et son fils sont également de nationalité tunisienne. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations des articles 3-1, 9-1 et 9-3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doivent être écartés.
11. En cinquième lieu, pour les motifs exposés aux points 6, 8 et 10 du présent arrêt, Mme A... D... n'est pas fondée à soutenir que la préfète de Seine-et-Marne aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de son arrêté sur sa situation personnelle et familiale.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction sous astreinte ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... A... D..., et au ministre de l'intérieur.
Copie sera adressée au préfet de Seine-et-Marne.
Délibéré après l'audience du 14 octobre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Le Goff, président,
- M. Ho Si Fat, président assesseur,
- Mme Collet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 novembre 2021.
La rapporteure,
A. COLLET Le président,
R. LE GOFF
La greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA00476