Par un jugement n° 1600305 du 18 mai 2017, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une ordonnance n° 428220 du 1er mars 2019, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Paris le même jour, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis à la Cour, en application de l'article R. 351-8 du code de justice administrative, le jugement de la requête de M.A....
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 4 août 2017 et 19 mars 2018 au greffe de la Cour administrative d'appel de Bordeaux, M.A..., représenté par MeC..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1600305 du 18 mai 2017 du tribunal administratif de la Guyane ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 402 209, 18 euros portant intérêts à compter de sa demande préalable au titre du préjudice matériel et la somme 20 000 euros au titre du préjudice moral ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les premiers juges ont méconnu l'autorité de la chose jugée qui s'attache à la constatation matérielle des faits opérée par le juge pénal ;
- il ressort des décisions du juge pénal que les faits retenus par l'inspecteur du travail et le ministre pour autoriser son licenciement ne sont pas établis ; en particulier, aucun défaut d'information de la direction de la SOGRI ne peut lui être reproché ;
- les premiers juges ont fait une lecture erronée des motifs retenus par l'inspecteur du travail pour autoriser son licenciement ;
- le tribunal a dénaturé le sens de ses conclusions en jugeant que le moyen tiré de l'inexactitude des faits qui lui étaient reprochés était inopérant ;
- une bonne administration de la justice et l'équité auraient voulu que le juge administratif sursoit à statuer jusqu'à la décision du juge pénal ;
- la situation née de l'intervention de la juridiction pénale postérieurement à celle de la juridiction administrative l'a privé de la possibilité de faire valoir des faits et des arguments qui étaient de nature à modifier le sens des décisions de cette dernière en méconnaissance du principe de l'égalité des armes et des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- à titre subsidiaire, la responsabilité de l'Etat sera engagée pour faute dans l'organisation du service public de la justice.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 octobre 2017, le ministre de la transition écologique et solidaire, représenté par Me Pichon, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. A...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code du travail ;
- le code pénal ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Larsonnier,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- et les observations de Me Pichon, avocat du ministre de la transition écologique et solidaire.
Considérant ce qui suit :
1. M. A...a été recruté par la Société Guyanaise de Restauration Industrielle (SOGRI) le 3 mars 2003 par un contrat à durée indéterminée, en qualité de responsable économique. Il avait notamment pour mission de vérifier et d'enregistrer les recettes des bars exploités par la SOGRI dans l'enceinte de l'aéroport international de Cayenne-Félix Eboué avant de les déposer en banque. Par ailleurs, il a exercé les fonctions de délégué du personnel, membre de la délégation unique, à compter du mois de juin 2005. Le 17 novembre 2006, la SOGRI a sollicité de l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier M. A...pour faute. Cette autorisation a été refusée par une décision du 11 décembre 2006 au motif que l'employeur avait méconnu les dispositions de l'article L. 122-14 du code du travail. La deuxième demande d'autorisation de licenciement présentée par la SOGRI a également été rejetée par une décision de l'inspecteur du travail du 22 janvier 2007. Par une décision du 11 mai 2017, le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer a annulé cette décision et a autorisé le licenciement de M.A.... Entre-temps, saisi d'une nouvelle demande de la SOGRI, l'inspecteur du travail a, par une décision du 10 avril 2007, autorisé le licenciement de M.A.... Par un jugement en date du 25 novembre 2008, le tribunal administratif de Cayenne a rejeté la demande de M. A...tendant à l'annulation de la décision du 10 avril 2007 de l'inspecteur du travail et de la décision du 11 mai 2007 du ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer. Ce jugement a été confirmé par un arrêt du 11 mai 2010 de la cour administrative d'appel de Bordeaux.
2. Par un jugement du 8 décembre 2011, le tribunal de grande instance de Cayenne a prononcé la relaxe de M. A...de l'ensemble des faits qui lui étaient reprochés, soit les délits d'abus de confiance (détournement de sommes d'argent) au préjudice de la SOGRI et du groupe Servair et de faux en écriture et usage. Par un arrêt du 16 janvier 2014, la cour d'appel de Cayenne a confirmé ce jugement. Le pourvoi formé par la SOGRI devant la Cour de cassation a été rejeté par un arrêt du 25 mars 2015. M. A...a adressé au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social une demande indemnitaire en date du 2 novembre 2015 par laquelle il sollicitait la somme totale de 311 096 euros en réparation des préjudices subis du fait, d'une part, des fautes commises par l'administration en autorisant son licenciement pour faute et, d'autre part, du dysfonctionnement des services de la justice. Sa demande a été implicitement rejetée. M. A...relève appel du jugement du 18 mai 2017 du tribunal administratif de la Guyane rejetant sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser les sommes de 348 967, 56 euros au titre de son préjudice matériel et de 20 000 euros au titre de son préjudice moral.
Sur la responsabilité de l'Etat du fait des décisions de l'administration autorisant le licenciement de M.A... :
3. S'il ressort des termes du jugement du tribunal de grande instance de Cayenne du 8 décembre 2011, confirmé comme il a déjà été dit par les arrêts de la cour d'appel de Cayenne du 16 janvier 2014 et de la Cour de cassation du 25 mars 2015, que le juge pénal a relaxé M. A...des chefs d'abus de confiance, de faux et usage en estimant que les éléments de preuve étaient insuffisants pour caractériser les infractions reprochées à M.A..., l'inspecteur du travail ne s'est pas, en tout état de cause, fondé sur ces faits pour autoriser le licenciement de l'intéressé. Dans ces conditions, M. A...n'est pas fondé à soutenir que les premiers juges ont méconnu l'autorité de la chose jugée s'attachant à la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement du tribunal de grande instance de Cayenne et repris par la cour d'appel de Cayenne.
4. Il ressort des termes de la décision du 10 avril 2007 que l'inspecteur du travail a estimé qu'eu égard à ses fonctions, M. A...aurait dû aviser sa hiérarchie du traitement anormal du compte transit espèces de la SOGRI qui révélait la disparition d'espèces pour un montant d'environ 80 000 euros, et ce d'autant " qu'il avait déjà été alerté par les services comptables du groupe du traitement irrégulier du compte transit espèces de la SA SOGRI " et que, eu égard à son positionnement dans l'organigramme de l'entreprise, il avait ainsi commis une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement. En se bornant à soutenir que s'agissant de cette somme, le juge pénal avait prononcé sa relaxe des faits de détournement de fonds, qu'il n'était pas le seul à avoir accès au système de traitement comptable de la SOGRI et que le compte transit espèces de la société avait un solde positif de 63 681 euros en juillet 2006, M. A...n'apporte aucun élément de nature à justifier le fait qu'il n'ait pas alerté sa hiérarchie de cette grave anomalie et, par suite, à remettre en cause l'appréciation portée par l'inspecteur du travail. Il s'ensuit que l'inspecteur du travail n'a pas commis de faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat en autorisant le licenciement de M.A....
5. Par ailleurs, et alors que le licenciement de M. A...a été prononcé par la SOGRI le 19 avril 2007 sur le fondement de la décision de l'inspecteur du travail du 10 avril 2017, le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer n'a pas, en tout état de cause, commis de faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat en annulant la précédente décision de l'inspecteur du travail du 22 janvier 2007 et en autorisant de manière surabondante le licenciement de M. A...par une décision du 11 mai 2007.
6. Il résulte des points 3 à 5 que les conclusions indemnitaires présentées par M. A... tendant à la réparation des préjudices qu'il aurait subis du fait des fautes commises par l'administration en autorisant son licenciement pour faute doivent être rejetées.
Sur la responsabilité de l'Etat du fait du fonctionnement des services de la justice :
7. M. A...soutient que le principe d'une bonne administration de la justice, le principe de l'égalité des armes et les stipulations des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales commandaient au juge administratif de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du juge pénal et que la situation née de l'intervention de la juridiction administrative avant celle de la juridiction pénale l'a privé de la possibilité de faire valoir des éléments de droit et de faits de nature à modifier le sens des décisions de cette première.
8. Le juge administratif n'est pas tenu, avant de se prononcer lui-même sur le litige qui lui était soumis, d'attendre que le juge pénal eût statué sur les poursuites engagées devant lui. Au surplus, dans les circonstances de l'espèce, eu égard aux éléments développés aux points 3 à 5 du présent arrêt, prononcer le sursis à statuer dans l'attente en particulier du jugement du tribunal de grande instance de Cayenne ne présentait pas, pour le juge administratif, un caractère utile à la résolution du litige qui lui était soumis. Par suite, ce dernier a pu statuer, sans méconnaître le principe de bonne administration de la justice, le droit à un recours effectif ainsi que le droit à un procès équitable, sur le recours pour excès de pouvoir formé à l'encontre de la décision du 10 avril 2007 de l'inspecteur du travail et de la décision du 11 mai 2007 du ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer avant que le juge pénal se soit prononcé sur les chefs d'abus de confiance (détournement de sommes d'argent) au préjudice de la SOGRI et du groupe Servair et de faux en écriture et usage. Il s'ensuit que la responsabilité de l'Etat ne saurait être engagée à raison du fonctionnement des services de la justice. Les conclusions indemnitaires présentées par M. A... sur ce fondement doivent ainsi être rejetées.
9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur l'exception de prescription quadriennale de la créance de l'Etat opposée par le ministre, que M. A...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. A...demande au titre des frais liés à l'instance. Par ailleurs, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A...une somme de 800 euros au titre des frais exposés par le ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire dans la présente instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.
Article 2 : M. A...versera à l'Etat (ministre de la transition écologique et solidaire) une somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A...et au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.
Délibéré après l'audience du 13 mai 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président,
- M. Luben, président assesseur,
- Mme Larsonnier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 20 juin 2019.
Le rapporteur,
V. LARSONNIERLe président,
J. LAPOUZADE
Le greffier,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire et à la ministre du travail en ce qui les concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA22649