Procédure devant la Cour :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, et un nouveau mémoire, enregistrés respectivement le 13 avril 2018, le 6 novembre 2018 et le 29 mars 2019,
M.B..., représenté par MeA..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1602555 du 2 février 2018 du tribunal administratif de Melun ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 19 janvier 2016 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité territoriale de Seine-et-Marne a autorisé son licenciement ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros et à la charge de la société Magic Pockets la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision contestée est entachée d'une erreur de droit en ce que l'inspectrice du travail s'est autosaisie, sans base légale, à la suite du jugement du tribunal administratif de Melun du 18 novembre 2015 ;
- dès lors qu'il existe des changements dans les circonstances de fait et de droit entre la première demande d'autorisation de licenciement présentée le 26 mai 2014 et la décision contestée, l'inspectrice du travail ne pouvait l'édicter sans procéder à nouveau à une enquête contradictoire ; l'enquête, en l'espèce, n'a pas respecté le principe du contradictoire ;
- la décision litigieuse méconnaît les dispositions des articles R. 2421-5 et R. 2421-12 du code du travail ainsi que la circulaire DGT 07/2012 du 30 juillet 2012 relative aux décisions administratives en matière de rupture ou de transfert du contrat de travail des salariés protégés en ce qu'elle est entachée de contradiction de motifs ;
- le non-respect des horaires n'est que le motif apparent de la demande d'autorisation de licenciement, celle-ci étant en réalité justifiée par la volonté de l'employeur de faire quitter l'entreprise à un représentant du personnel très investi dans sa fonction ;
- les retards qui lui ont été reprochés étaient liés à une souffrance au travail et à un état dépressif ; de plus il existait une tolérance dans la société Magic Pockets quant aux retards des salariés.
Par un mémoire, enregistré le 1er février 2019, un mémoire de production de pièces, enregistré le 15 février 2019, et un nouveau mémoire enregistré le 6 mai 2019, la société Magic Pockets, représentée par MeC..., conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 4 000 euros soit mis à la charge de M. B...sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. B...ne sont pas fondés.
Un mémoire de production de pièces, présenté par la ministre du travail, a été enregistré le 19 février 2019.
Une mise en demeure a été adressée le 2 janvier 2019 à la ministre du travail en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Luben,
- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 29 juillet 2014, l'inspectrice du travail de l'unité territoriale de Seine-et-Marne a refusé d'autoriser le licenciement pour motif disciplinaire de M. B..., employé par la société Magic Pockets en qualité d'infographiste, qui avait été élu délégué du personnel. Par un jugement du tribunal administratif de Melun du 18 novembre 2015, cette décision a été annulée au motif que les faits reprochés à M. B...relatifs à des retards revêtaient un degré de gravité suffisant pour justifier son licenciement. Par la décision contestée du 19 janvier 2016, l'inspectrice du travail de l'unité territoriale de Seine-et-Marne a autorisé le licenciement de l'intéressé, au seul motif des retards répétés et réguliers retenus par le jugement du 18 novembre 2015. Par le jugement attaqué du 2 février 2018, le tribunal administratif de Melun a rejeté la demande de M. B...tendant à l'annulation de cette décision.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En premier lieu, l'annulation d'une décision de refus d'autoriser un licenciement pour motif disciplinaire oblige l'autorité administrative, qui demeure saisie de la demande de l'employeur, à procéder à une nouvelle instruction de celle-ci, sans que l'employeur soit tenu de la confirmer. Par suite, le jugement susmentionné du tribunal administratif de Melun du 18 novembre 2015 ayant annulé la décision de l'inspectrice du travail de l'unité territoriale de Seine-et-Marne refusant à la société Magic Pockets l'autorisation de licencier pour faute M.B..., il appartenait à l'administration de se prononcer à nouveau sur la demande d'autorisation. Ainsi, c'est sans erreur de droit que l'inspectrice du travail s'est considérée comme automatiquement saisie du fait de l'annulation de sa décision du 29 juillet 2014.
3. En deuxième lieu, d'une part, le moyen tiré de ce que la demande de la société Magic Pockets tendant à l'annulation de la décision du 29 juillet 2014 de l'inspectrice du travail comme les nouveaux moyens qu'elle avait produits devant le tribunal administratif de Melun à son appui n'auraient pas été communiqués à M. B...et que ce dernier n'aurait pas pu faire valoir ses observations devant le tribunal administratif de Melun dans la précédente instance ayant donné lieu au jugement susmentionné du 18 novembre 2015 est inopérant à l'appui de la présente requête.
4. D'autre part, en application de l'article R. 2421-11 du code du travail, l'inspecteur du travail, saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, " procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat ". Le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément à ces dispositions impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, de mettre à même l'employeur et le salarié de prendre connaissance de l'ensemble des éléments déterminants qu'il a pu recueillir, y compris des témoignages, et qui sont de nature à établir ou non la matérialité des faits allégués à l'appui de la demande d'autorisation. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de l'annulation de sa décision du 29 juillet 2014, l'inspectrice du travail, comme il a été dit, s'est considérée comme automatiquement saisie et, par un courrier du 4 décembre 2015, a procédé à une nouvelle enquête contradictoire en convoquant la société Magic Pockets et M. B...dans les locaux de l'inspection du travail le 18 décembre 2015, une copie du jugement du 18 novembre 2015 du tribunal administratif de Melun étant envoyée avec cette convocation. Lors de cette enquête contradictoire, M. B...a remis à l'inspectrice du travail quatre documents (une attestation du médecin du service de santé au travail, des arrêts de travail, les projets réalisés en tant que concepteur de 2006 à 2010 et des attestations d'employés), que l'inspectrice du travail a transmis par une lettre du 23 décembre 2015 à la société Magic Pockets. Celle-ci, en réponse, par un courrier électronique du 6 janvier 2016 puis par un courrier, plus développé, en date du 7 janvier 2016 et remplaçant celui-ci, s'est bornée à réfuter les pièces et les arguments présentés par M. B...et à donner quelques éléments de contexte, et n'a présenté ainsi ni éléments déterminants, ni faits nouveaux. Par suite, l'inspectrice du travail, qui ne les a pas pris en considération au soutien de sa décision contestée, a pu, sans méconnaître les dispositions susrappelées de l'article R. 2421-11 du code du travail, s'abstenir de les communiquer à M.B....
5. En troisième lieu, comme l'ont à bon droit indiqué les premiers juges, la circonstance que la décision contestée du 10 janvier 2016 mentionne que deux griefs formulés par l'employeur ne sont pas établis mais que le troisième l'est et suffit à justifier le licenciement n'est pas de nature à entacher cette décision de contradiction dans ses motifs, ni à méconnaître les dispositions des articles R. 2421-5 et R. 2421-12 du code du travail.
6. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
7. En quatrième lieu, l'autorité absolue de la chose jugée, qui s'attache au dispositif du jugement du 18 novembre 2015 du tribunal administratif de Melun, qui est devenu définitif, et au motif, qui en constitue le soutien nécessaire, tiré de ce que les " retards répétés et réguliers [de M.B...] sont à eux seuls constitutifs d'une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement ", faisait obstacle à ce que l'inspectrice du travail, qui restait saisie, comme il a été dit, de la demande d'autorisation de licenciement, se prononçât à nouveau sur ce motif. Elle s'est ainsi, à bon droit, bornée à faire application de ce jugement en rappelant le motif retenu par les juges du tribunal administratif de Melun. Par suite, M. B...ne peut utilement soulever à nouveau le moyen tiré de ce que les retards qui lui ont été reprochés n'étaient pas de nature à justifier son licenciement.
8. En dernier lieu, M. B...n'établit pas, par les pièces qu'il verse au dossier (des échanges de courriers électroniques, ses réalisations comme concepteur de jeux vidéo (" game designer "), des bulletins de salaire faisant apparaître, pour certains, une prime exceptionnelle, la lettre du 20 juin 2014 qu'il a adressée à l'inspectrice du travail lors de la première enquête contradictoire et une attestation d'un employé de la société qui aurait également été licencié), qu'il existerait un lien entre la demande d'autorisation de licenciement et son mandat de délégué du personnel, qui ne ressort pas, par ailleurs, des autres pièces du dossier.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 2 février 2018, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 19 janvier 2016 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité territoriale de Seine-et-Marne a autorisé son licenciement. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la société Magic Pockets les frais liés à l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B...est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Magic Pockets, tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...B..., à la société Magic Pockets et à la ministre du travail.
Délibéré après l'audience du 13 mai 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président,
- M. Luben, président assesseur,
- Mme Larsonnier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 20 juin 2019.
Le rapporteur,
I. LUBENLe président,
J. LAPOUZADELe greffier,
Y. HERBERLa République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA01263