Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 15 juin 2018, la société KetK, représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 16 mai 2018 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge de l'obligation de payer la somme totale de 64 380 euros mise à sa charge au titre de la contribution spéciale et de la contribution forfaitaire représentative de frais de réacheminement des étrangers dans leur pays d'origine par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ;
3°) de condamner l'OFII à lui rembourser la somme de 19 167,67 euros déjà versée ;
4°) à titre subsidiaire, de prononcer la réduction de la contribution spéciale à la somme de 27 520 euros ;
5°) à titre infiniment subsidiaire, de réévaluer le montant de la contribution spéciale au regard des circonstances de l'espèce ;
6°) de mettre à la charge de l'OFII le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision de l'OFII du 1er octobre 2013 ne lui a pas été notifiée ; le délai de deux mois prévu par l'article R. 421-1 du code de justice administrative n'a pas commencé à courir et, par suite, sa requête est recevable ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, elle a exercé son recours dans un délai raisonnable dès lors qu'elle a pris connaissance de la décision de l'OFII du 1er octobre 2013 le 30 juin 2016 lors de la notification de l'avis de saisie à tiers détenteur et que sa demande de première instance a été enregistrée au greffe du tribunal le 9 février 2017 ;
- le taux réduit à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti aurait dû lui être appliqué dès lors que seule l'infraction d'emploi de deux travailleurs étrangers en situation irrégulière peut lui être reprochée ; par suite, elle ne devrait être redevable que de la somme de 27 520 euros au titre de la contribution spéciale ;
- la matérialité des faits n'est pas établie dès lors que M. B. n'était pas employé au sein de la société, que M. A. a utilisé une identité usurpée et que M. M. faisait un essai avant une éventuelle embauche ;
- la détermination du montant de la contribution spéciale doit tenir compte, non seulement de sa bonne foi, mais également du temps de travail réellement effectué par les ressortissants étrangers en cause.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 juillet 2018, l'Office de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la requérante sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Lors d'un contrôle effectué le 1er février 2012 dans le restaurant exploité sous l'enseigne Etoile du Kashmir par la société KetK, les services de police ont constaté la présence de trois ressortissants étrangers démunis d'autorisation de travail et de titre de séjour et qui n'avaient pas fait l'objet d'une déclaration préalable à l'embauche. Par une décision du 1er octobre 2013, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à la charge de la société KetK la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, d'un montant de 51 600 euros, ainsi que la contribution forfaitaire représentative de frais de réacheminement prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'un montant de 6 927 euros. Deux titres de perception ont été émis le 25 octobre 2013 en vue du recouvrement de ces sommes. Un avis à tiers détenteur lui a été notifié le 30 juin 2016. Après avoir formé une réclamation préalable auprès du directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris qui a été rejetée le 16 août 2016, la société KetK a demandé au tribunal administratif de Paris de la décharger de l'obligation de payer les sommes mises à sa charge par l'OFII ou, à titre subsidiaire, de réduire le montant de ces sommes. Par un jugement du 16 mai 2018, le tribunal a rejeté sa demande. La société KetK relève appel de ce jugement.
2. Aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ". Aux termes de l'article 117 du décret du 7 novembre 2012 : " Les titres de perception émis en application de l'article L. 252 A du livre des procédures fiscales peuvent faire l'objet de la part des redevables (...) d'une opposition à l'exécution en cas de contestation de l'existence de la créance, de son montant ou de son exigibilité (...) ". Aux termes de l'article 118 de ce même décret : " Avant de saisir la juridiction compétente, le redevable doit adresser une réclamation appuyée de toutes justifications utiles au comptable chargé du recouvrement de l'ordre de recouvrer. / La réclamation doit être déposée, sous peine de nullité (...) En cas d'opposition à l'exécution d'un titre de perception, dans les deux mois qui suivent la notification de ce titre ou du premier acte de poursuite qui procède du titre en cause (...). / L'autorité compétente délivre un reçu de la réclamation, précisant la date de réception de cette réclamation. Elle statue dans un délai de six mois (...). A défaut d'une décision notifiée dans ces délais, la réclamation est considérée comme rejetée. ". Aux termes de l'article 119 de ce décret : " Le débiteur peut saisir la juridiction compétente dans un délai de deux mois à compter de la date de notification de la décision prise sur sa réclamation ou, à défaut de cette notification, dans un délai de deux mois à compter de la date d'expiration des délais prévus à l'article 118. ". Il en résulte que le non-respect de l'obligation d'informer le débiteur sur les voies et les délais de recours, prévue par la première de ces dispositions, ou l'absence de preuve qu'une telle information a été fournie, est de nature à faire obstacle à ce que le délai de forclusion, prévu par les dispositions du décret relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, lui soit opposable.
3. Toutefois, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable.
4. S'agissant des titres exécutoires, sauf circonstances particulières dont se prévaudrait son destinataire, le délai raisonnable ne saurait excéder un an à compter de la date à laquelle le titre, ou à défaut, le premier acte procédant de ce titre ou un acte de poursuite a été notifié au débiteur ou porté à sa connaissance.
5. La société KetK soutient devant la Cour que sa demande, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Paris le 9 février 2017, a été présentée dans un délai raisonnable dès lors qu'elle a pris connaissance de la décision du 1er octobre 2013 de l'OFII le 30 juin 2016 lors de la notification de l'avis de saisie à tiers détenteur. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la société KetK a eu notification le 25 octobre 2013 des titres de perception tendant au recouvrement de la contribution spéciale et de la contribution forfaitaire représentative de frais de réacheminement des étrangers dans leur pays d'origine mises à sa charge par l'OFII et que ces titres de perception mentionnaient la décision du 1er octobre 2013 de l'OFII. Dans ces conditions, la société KetK disposait, à compter du 25 octobre 2013, d'un délai d'un an pour contester le bien-fondé des sanctions financières mises à sa charge. Par suite, les conclusions aux fins de décharge de l'obligation de payer les sommes faisant l'objet des titres exécutoires du 25 octobre 2013 enregistrées au greffe du tribunal le 9 février 2017 étaient tardives.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la société KetK n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les frais liés à l'instance :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'OFII, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande la société KetK au titre des frais liés à l'instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de l'OFII les frais liés à l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société KetK est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'Office français de l'immigration et de l'intégration tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société KetK et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Copie en sera adressée à la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris.
Délibéré après l'audience du 26 septembre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. Luben, président assesseur,
- Mme C..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 22 octobre 2019.
Le rapporteur,
V. C...Le président,
J. LAPOUZADE
Le greffier,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et à la ministre du travail en ce qui les concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 18PA02020